Jubilé Spécial Martial Solal au théâtre du Châtelet le 15 mars 2008

Publié le 07 février 2011 par Assurbanipal

Martial Solal Special Jubilee.

Paris. Théâtre du Châtelet.

Samedi 15 mars 2008. 21h.

La photographie de Martial Solal est l'oeuvre du Majestueux Juan Carlos HERNANDEZ.

Martial Solal: piano

Stefano Bollani: piano

Mats Vinding: contrebasse

Roy Haynes: batterie

Bireli Lagrène: guitare électrique

Eric Le Lann: trompette

Claudia Solal: chant

Adorables lectrices, charmants lecteurs, j'avais eu l'honneur et le plaisir d'être invité au Théâtre du Châtelet à Paris le samedi 15 mars 2008 pour le jubilé de Martial Solal. J'avais perdu mes notes. Je viens de les retrouver. Les voici. 

Deux piano à queue se trouvent côte à côte sur la scène, leurs rondeurs s'épousant harmonieusement. 

" Nulle part ailleurs je n'ai lu que jubilé correspondait à 63 années de pianiste de Jazz " dit Martial Solal. Le programme de la soirée nous est annoncé par le principal intéressé: " Histoire de Blues " en solo, " My funny Valentine " en duo avec sa fille Claudia. J'attends toujours l'album en duo de ces deux là. " Coming Yesterday " et " Incoercible " avec Eric Le Lann et Mats Vinding. Duo de pianos avec Stefano Bollani. PAUSE. Trois morceaux avec Bireli Lagrène. " Roy Haynes avec qui j'ai enregistré dans les années 50. Roy Haynes à cause de qui je ne peux être le doyen de la soirée ". Rappel avec tout le monde. Où est la surprise avec un programme aussi clairement annoncé? Lisez la suite et vous le saurez.

Histoire de Blues en piano solo. C'est la pompe bien particulière de la main gauche de Martial Solal. La gravité de la main gauche est sans cesse perturbée par des fantaisies de la main droite. 

Arrivée de la chanteuse préférée de Martial Solal, Claudia, sa fille. En toute subjectivité, il n'a pas mauvais goût. Claudia commence par ses vocalises si reconnaissables. Puis elle chante. L'avantage d'une voix de femme c'est qu'elle ne peut être comparée à Chet Baker sur cette chanson. Mats Vinding et Eric Le Lann les rejoignent pour Coming yesterday ( à écouter sur l'album " Suite for trio " avec NHOP (contrebasse) et Daniel Humair (batterie), MPS, 1978). Le Lann joue de la trompette bouchée. Claudia vocalise. Le Lann est inspiré ce soir. Ce quartette sans batteur fonctionne à merveille. Claudia vocalise. Eric Le Lann enlève la sourdine, devient plus acide comme Claudia. Sa voix colle à l'archet de la contrebasse alors que Martial trille. Le Lann ajoute un supplément d'âme à cette musique de virtuoses. Claudia transforme un simple " Aah! " en un souffle chaud, grave et envoûtant. Incoercible  tiré de l'album " Exposition sans tableau " du New Decaband de Martial Solal. Réduit de dix à quatre musiciens, le charme fonctionne toujours. Musique labyrinthique et cosmicomique. Solo déchirant, griffant de Le Lann. Le dialogue Solal/Le Lann nourri depuis 1981 ne cesse de nous enrichir.

Solal reste seul sur scène. Arrivée de Stefano Bollani. Martial change de piano. Stefano lance Tea for two  une des scies qu'affectionne Martial Solal. Dialogue de virtuoses. De véritables " ivory ticklers ". Deux vrais crocodiles dans une vraie salle de concert maniés par deux dompteurs de cette classe, ça dégage. Ils sont tellement ailés, légers qu'ils semblent jouer du hautbois. La scène est filmée. Je l'ai retrouvé depuis dans le documentaire sur Martial Solal " Jazz never ends ". Ils se lancent dans  Caravan  (Duke Ellington). Ils changent de piano. Vous reprendrez bien une coupe de Solal?  Embraceable You torrentiel, fougueux, passionné. Ils s'amusent comme des petits fous. Après un tel duo, il faut une pause pour se remettre de ses émotions. " Nous tenons la partition de ce que nous venons de jouer à votre disposition " nous lance en gentil défi Martial Solal. Un autre standard ellingtonien, Take the A train ( Billy Strayhorn). Ce n'est pas Ellington/Strayhorn, c'est Solal/ Bollani, plus démonstratif, plus volubile, plus méditerranéen. Harlem sent le soleil et la mer aux rivages sans nuages, au ciel enchanté comme la chantait Tino Rossi. Ils terminent par une chanson de Barbara, " Y a un arbre, je m'y colle dans le petit bois de Saint-Amand ". Un pur délice.

ENTRACTE

Duo Martial Solal/Bireli Lagrène.

En 1953, Martial Solal fut le pianiste de la dernière séance en studio de Django Reinhardt, une rencontre qui le marqua à jamais. Bireli Lagrène porte une belle vieille guitare électrique américaine à caisse en bois. Il commence seul une ballade. What is this thing called love? Manifestement, eux savent de quoi ils parlent. Nuages (Django Reinhardt). Une belle batterie a été installée dans l'attente de Mr Roy Haynes. Bireli est absolument somptueux, Martial au diapason. Dans un tel moment de grâce chaque seconde se savoure. On voudrait que le temps s'arrête mais il reste toute une vie pour profiter des émotions laissées par cette musique. All the things You are. La musique vole, virevolte comme des papillons sur un champ de fleurs au printemps. Quelle fraîcheur sur un morceau si rebattu joué par des musiciens si expérimentés! Bireli fait la base, le galop du cheval pendant que Martial survole le clavier. Il ne s'agit plus de maîtriser l'instrument mais de le subjuguer, le sublimer. Ces grands standards sont inépuisables s'ils sont joués par des Maîtres de cette dimensions.

Bireli s'en va. Mats Vinding et Roy Haynes arrivent. Roy Haynes commence seul, en étrange, en finesse, faisant parler les tambours. Il sonne très africain. Il est la dernière légende vivante de la batterie. Puis il lance une pulsation de cymbales implacable relancée par la contrebasse alors que le pianiste tricote. Roy Haynes défie le temps et le tempo! Solo de contrebasse ponctué par un cliquetis sur le bord de la caisse claire précis, léger, ponctuel. Série de breaks piano/batterie. Roy Haynes n'a rien perdu de sa finesse, de sa puissance, de son invention. Conversation de haut vol, stimulante, entre piano et batterie. La contrebasse assure le lien. Roy prend les balais après l'intro piano/contrebasse de I remenber April. c'est une ballade certes mais ça pulse. Joli solo de contrebasse ponctué par le hachis ultra fin de la batterie. Solo de piano pour introduire une ballade. Roy reste aux balais. Someone to watch over me. Ca balance puissamment et doucement à la fois. S'ensuit un morceau joyeux, rapide. Nouvelle série de breaks piano/batterie. Solal vole, Haynes ancre. Pour conclure, Solal en trois notes nous joue " Salt peanuts " (Dizzy Gillespie) clin d'oeil amical au bebop et à Roy Haynes.

RAPPEL

Tout le monde revient sur scène pour Yesterdays, un standard des années 30. Curieux d'entendre Claudia Solal dans ce répertoire. Ca aussi, elle sait le faire. Elle n'a pas chanté My heart belongs to daddy mais le coeur y était. Le Lann à la trompette bouchée, véloce, précis et émouvant. 

Martial Solal reste seul sur scène. " J'espérais du renfort mais ils sont un peu âgés. Il faut les comprendre. " Une composition solalienne ouï les trilles mirifiques. La musique est un élixir de jouvence. Une dernière révérence et un geste pour saluer le piano. 

Martial revient encore jouer pour nous remercier d'avoir été très bien. Nous fîmes ce que nous pûmes. Nous essayâmes de suivre. C'est une ballade grave, profonde. Lover Man. Martial Solal au piano, c'est un grand orchestre à lui tout seul. Il termine par Happy birthday to You!

Trois ans après, des souvenirs me reviennent en écrivant ces mots. Des émotions de cette soirée mémorable. Le souvenir d'une discussion quelques jours après, à une autre soirée, chez un voisin de palier. Un couple de ses amis avait été à cette soirée, avait détesté et était parti à l'entracte. J'essayai de défendre Martial Solal, sa musique, ses invités mais nos points de vue étaient incompatibles. Ils le restent encore. Nul n'est obligé d'apprécier l'oeuvre de Marcel Proust, d'entrer dans ses méandres, de s'y laisser emporter mais personne ne peut en nier l'importance, la recherche, la nouveauté, l'originalité. Avec Martial Solal, à mon sens, nous sommes dans le même ordre de grandeur.