Le plus grave est ailleurs. Le ministère du (non)travail vient de livrer discrètement quelques analyses sur l'emploi. Sarkozy agite les polémiques judiciaires comme des diversions faciles et indignes. Son échec est aussi et surtout économique.
Agitation judiciaire
Nicolas Sarkozy resterait « serein » et « confiant pour 2012.» C'est du moins ce que tentent de faire croire quelques proches du Monarque. Pour le Figaro, « l'antisarkozysme déchaîné du mois de septembre a marqué le pas », et la campagne présidentielle « va se jouer dans les trois mois de la campagne.» Cette déclaration de zenitude présidentielle ne manque pas de surprendre. La France connaît une crise sans précédent, comme le candidat s'est plu à le rappeler à chacun de ses discours de voeux.
La récente attaque verbale contre policiers et magistrats dans l'affaire Laëtitia n'était qu'une diversion ... de trop. Les polémiques en cascade qui affectent sa ministre des Affaires Etrangères le laissent de marbre. « Vous comprendrez qu’à Varsovie, comme d’ailleurs dans les autres capitales, je ne dise pas un mot sur les questions de politique intérieure sur lesquelles j’aurai l’occasion de m’exprimer cette semaine » a-t-il répondu à un journaliste qui l'interrogeait sur le sort gouvernemental de Michèle Alliot-Marie, lundi à Varsovie. Lundi, Brice Hortefeux a échappé à une troisième condamnation. Le tribunal de grande instance de Paris a refusé de statuer sur la demande de Ryad Hannouni, arrêté en septembre, jamais condamné, présumé innocent mais qualifié de « djihadiste français » le 6 octobre dernier par le ministre de l'intérieur. Brice Hortefeux était présumé innocent également.
Pourtant, le Monarque est « serein ». La mobilisation du corps judiciaire contre sa provocation est inédite. Lundi, François Fillon a convoqué en « urgence » quelques-uns de ses ministres à Matignon, dont Michel Mercier et Brice Hortefeux. Sarkozy était absent, caché à Varsovie. Dans sa déclaration officielle qui suivit cette réunion imprévue, Fillon tenta de minorer les propos présidentiels de jeudi : « Si les inspections en cours révélaient des dysfonctionnements collectifs ou des insuffisances dans l’organisation de la chaîne pénale, nous avons le devoir de prendre des mesures de correction, pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise.» Qui dit le contraire ? Sarkozy, jeudi, a accusé magistrats et policiers sans attendre les résultats des enquêtes.
Et le chômage, Nicolas ?
Mais le danger, pour le candidat Sarkozy, est ailleurs. Sur le front économique, les ténors de Sarkofrance s'exercent à masquer les mauvaises nouvelles, en particulier sur l'emploi.
Le chômage a aggravé la fracture territoriale. Dans son édition du 8 février, le Monde détaille cette « France qui pleure » : le Nord et le Pas-de-Calais (16,2% de chômage dans le Calaisis, 14,9% à Roubaix et Tourcoing, 14,8% dans le bassin minier de Lens), la Picardie (14,9% de chômage à Saint-Quentin, ville de Xavier Bertrand), le Languedoc-Roussillon (15% de chômage à Bézier) ou PACA. La France des bassins sans-emploi est l'exact contraire de celle visitée par Nicolas Sarkozy depuis un an.
En 2010, le nombre de plans sociaux a été divisé par deux. Ce serait le signe que la reprise est là. La Direction de l'animation de la recherche du ministère du travail (Dares) avait comptabilisé 88 nouveaux plans sociaux fin 2010, contre 140 fin 2009 et 151 fin 2008. Il faudrait sans doute rappeler, sur la même période, l'envolée du nombre de ruptures conventionnelles. Nul besoin de plans de sauvegarde de l'emploi ! Ce dispositif, lancé en pleine récession, a surtout favorisé le licenciement de seniors.
Autre évolution, tout aussi inquiétante et déjà connue, le nombre de radiations ou désinscriptions à pôle emploi, hors motif de reprises d'emplois ou de préretraite, a littéralement explosé de 340.300 personnes supplémentaires entre 2007 et 2009. Dans une analyse détaillée que la Dares vient de publier sur les inscriptions à pôle emploi en 2009, on peut lire que le nombre de « non-renouvellement accidentel » de l'inscription à pôle emploi est passé de 303.000 en 2007, à 319.500 en 2008 et 429.000 en 2009. +126.000 en deux ans ! Les non-renouvellement volontaires sont passés de 161.600 en 2007 à 175.900 en 2009. En parallèle, les « défauts d'actualisation suivis d'une réinscription » ont cru de 770.900 en 2007 et 755.100 en 2008, à 971.000 en 2009 ! En 2009, plus de 1,5 millions de personnes ont été « sorties » des statistiques de pôle emploi, sans job ni retraite.
La même Dares, dans une autre publication, révélait, avec 12 mois de retard, que le nombre de contrats d'apprentissage signés en 2009, malgré le soutien gouvernemental affiché, avait chuté de 4% pour atteindre 288.000.
Et la pénibilité, Nicolas ?
Une autre étude, livrée en ce début d'année 2011, s'attardait sur le travail de nuit des salariés (i.e. entre minuit à 5 heures du matin.) Depuis 1991, le nombre de travailleurs nocturnes a cru de 1 million de personnes, pour se chiffrer à 3,5 millions en 2009 (15% des salariés). Ce travail nocturne est occasionnel pour 1,8 million d'entre eux et frappent principalement les hommes (21% des salariés). « Au cours des vingt dernières années, le nombre de femmes travaillant la nuit, occasionnellement ou habituellement, a doublé (500 000 en 1991 ; 1 million en 2009), alors que le nombre d’hommes concernés n’augmentait que de 26%.» Les plus gros effectifs concernés (42%) se trouvent chez les conducteurs de véhicules, l’armée, la police, les pompiers (des métiers très masculins) et les infirmiers et sages-femmes (à 90 % féminin).
Cette étude permet de recadrer quelques clichés récemment propagés par nos gouvernants. Primo, les travailleurs nocturnes sont sur-représentés dans le secteur public (31% du total, alors que les fonctionnaires ne représentent que 24% des salariés) et l'industrie (21% contre 15%). Secundo, le travail nocturne est plus pénible : « à métier équivalent, la plus grande pénibilité du travail de nuit est largement confirmée. Ce surcroît de difficultés se traduit par un sentiment plus fréquent d’usure professionnelle : les travail- leurs de nuit sont significativement plus nom- breux à penser qu’ils ne « tiendront » pas jusqu’à 60 ans ou leur retraite. »
La Dares rappelle les conclusions d'une enquête précédente sur les effets du travail nocturne et la santé : « À caractéristiques sociodémographiques équivalentes, une exposition de quinze ans ou plus au travail de nuit accroît la probabilité d’être limité dans les activités quotidiennes de presque 50 %.» Le 21 janvier dernier, le gouvernement avait surpris et choqué les organisations syndicales en « proposant » de limiter le bénéfice d'une retraite anticipée aux personnes justifiant 17 années d'exposition à des conditions de travail pénibles.
Les magistrats ont raison de protester. Dans tout autre démocratie, Nicolas Sarkozy aurait été menacé des pires représailles institutionnelles. Les chômeurs ne protestent pas. Dans d'autres démocraties, Nicolas Sarkozy pourrait s'en sortir avec un si maigre bilan.
Et en France ?