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Incident de personne, roman d'Eric Pessan, chez Albin Michel

Publié le 07 février 2011 par Dominique_lin

incident-de-personne« Incident de personne », annonce le haut parleur grésillant du TGV stoppé en rase campagne; c'est la manière dont la SNCF annonce qu'une personne vient de se suicider en se jetant sur les rails au passage du train. Le huis clos est en place. Le spectacle peut commencer, les confidences affluer, sorte de déversement de trop-plein, de réminiscences nombreuses, trop nombreuses pour un seul homme. Le narrateur engage la conversation avec sa voisine, une consultante en développement personnel, rencontre improbable. Elle écoute, on ne l'entend qu'à travers lui.
À la limite de l'usure, il traîne une vie pleine de drames, pas forcément les siens. Il va raconter et se raconter. Il est fatigué, endetté, ne souhaite pas rentrer chez lui. Il revient de Chypre où il animait un atelier d'écriture, comme il en a animé pendant des années. Un livre sur la vie fatiguée d'un être.
Un roman intimiste bien écrit, avec de courts récits enchassés.
Si certains lecteurs n'ont pas aimé le rythme de ce livre —être bloqué dans un train pendants plusieurs heures n'entraîne pas à l'action— j'ai apprécié le style, le pari tenu par Éric Pessan de tenir son lecteur dans un long dialogue indirect, voire monologue, fil de pensée, profitant au passage de rappeler certaines vérités dérangeantes sur la vie, les comportements, les relations humaines… Derrière une apparente simplicité d'écriture, l'auteur manie la langue avec souplesse et force d'images.
Certes, les deux personnages ne se marieront pas et n'auront donc pas d'enfants, mais nous sommes en droit d'attendre autre chose d'un roman. Cindy, appuyée sur la Ferrari, ne peut pas toujours être amoureuse de Ken et regretter un amour d'été quand la mer se retire sur la plage de septembre…
Plusieurs histoires dans une histoire qui n'en est pas vraiment une. Oser sortir des schémas classiques pour explorer de nouvelles formes. C'est la liberté de l'écrivain qu'il est bon de rappeler.

C'est le 6e roman d'Éric Pessan qui est aussi auteur de pièces de théâtre. On le ressent bien dans le rythme de ce livre qui se prêterait tout aussi bien à la scène.

Dominique LIN

  • Broché: 183 pages
  • Editeur : ALBIN MICHEL (18 août 2010)
  • 15€
  • ISBN-13: 978-2226215192

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Le Magazine Littéraire (Octobre 2010)
L'originalité de ce roman discrètement traversé de références littéraires [... ] tient dans son unité paradoxale, sa manière - fluide, et parfois éblouissante - de tisser toutes ses histoires en une, et de faire de ce tissage son authentique sujet.
Télérama (21 août 2010)
Eric Pessan construit son exploration d'essayiste à la façon d'un romancier, en offrant corps et âme à un personnage que rien ne laisse insensible...
EXTRAITS :
"Un grattement contre la vitre, mais je ne vois rien.
Et rien qui soit visible gratte. Des esprits, des fantômes. Combien sommes-nous dans ce train ? Trois ou quatre cents. Combien de fantômes par personne, libérés par l'inaction et la proximité de la mort violente ? C'est ma question : combien chaque individu transporte-t-il en lui de fantômes ? (...) Cela ferait une belle image dans un film ou un roman : un suicide ouvrirait momentanément les portes verrouillées des mémoires, et des milliers de fantômes se verraient libérés pour quelques heures, ils folâtreraient dans les champs, prendraient des nouvelles du monde, s'indigneraient du peu d'honneur que les vivants leur accorde. Ils dégourdiraient leurs membres immatériels, pressés de s'agiter, sachant que les choses rentreront très vite dans l'ordre, qu'ils se retrouveront très vite cadenassés derrière les préoccupations quotidiennes."
"Je suis trop préoccupé par mes propres pensées pour que la conversation roule doucement. Ce serait à moi d'entretenir le feu. Distraitement, je relis plusieurs fois chaque titre à la une du journal. Je regrette presque de l'avoir acheté, ce journal, qui contient surtout des anecdotes, des bribes de récits, des nouvelles histoires qui s'agglomèrent aux histoires dont je déborde. Je suis encombré. Au lieu de me décharger j'ai perdu beaucoup de temps à faire autre chose : à fuir, à trop boire, à continuer d'accumuler des histoires. Je suis saturé maintenant, j'aime bien la définition chimique de ce verbe : rendre impossible l'ajout de nouveaux éléments. Saturée de sel, l'eau n'arrive plus à le dissoudre, il tombe comme de petits cailloux au fond du verre. L'étymologie des mots m'est souvent d'un grand secours. Les mots sont mon outil de travail et il vaut mieux connaître ses outils. J'apprends aux autres à user des mots et - en échange - ils m'envoient des paquets de phrases dans la gueule. C'est mon métier, c'est la raison de mon voyage à Chypre. C'est pourquoi je cherche le silence. Je ne veux plus que l'on me raconte quoi que ce soit."

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