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Puccini

Publié le 24 janvier 2008 par Julien Peltier
L’Asie, terre lointaine, mystérieuse et romantique constitue un théâtre idéal pour des récits emprunts d’amour et d’exotisme. Les mutations intervenues dans l’Opéra de la fin du XIXème siècle, l’apogée du vérisme, ont permis une explosion des thèmes abordés dans un Art alors engoncé dans une certaine vision du passé, des traditions, des héros de jadis dont l’opéra Wagnerien constitue certainement l’apogée. Cette nouvelle ouverture, dans tous les domaines de l’Art, sur le monde réel – vérisme vient du latin verus, le vrai – a permis de dépasser ce carcan, de réexplorer les thèmes éternels de l’amour et de la mort dans un cadre "réaliste".
Parmi les compositeurs les plus célèbres de ce nouvel âge d’or, Giacomo Puccini est sans doute un des plus populaires. Maître incontesté de la mélodie - si j'osais, le Paul MacCartney de son temps - il a écrit certaines des plus belles pages du répertoire et nombres de ses airs sont devenus célèbres bien au-delà des planches, voire de véritables hymnes. La Tosca et la Bohème, pour ne citer qu’eux, contiennent plusieurs mélodies qui font partie aujourd’hui de la culture populaire musicale mondiale. Parmi l'ensemble de ses chefs d’œuvre, deux se déroulent en Asie : Madama Butterfly au Japon et Turandot en Chine.
L’Asie constitue un lieu idéal pour situer des histoires d’amours tragiques. Lointain et encore largement inconnu à une époque où le monde n’est pas « globalisé », il permet à l’auteur de laisser libre cours à son imagination : un Empire chinois totalement imaginaire dans Turandot; chocs culturels entre deux civilisations - la frivolité d’un occident déjà « décadent » face à l’honneur, suranné, japonais - dans Madama Butterfly.
Madama Butterfly est un des opéras les plus représentés dans le monde. Il est tiré d’un roman français Madame Chrysanthème de Pierre Loti. Puccini l’adaptera en 1904, avec le succès que l’on sait. Il illustre le choc des civilisations occidentale et japonaise peu après la réouverture de ce pays au commerce et, plus généralement, au monde dit "civilisé", à la fin du XIXème siècle. Le Japon de Madama Butterfly est enfermé dans une certaine idée chevaleresque de l’amour, des valeurs médiévales que le soldat Pinkerton viendra fouler du pied.
Pinkerton, officier américain en poste au Japon, séduit la douce Butterfly, geisha se son état, pour le "sport". Il l’épouse, à la seule fin de partager sa couche, puis l’abandonne et part retrouver son épouse légitime aux Etats-Unis. Butterfly ne se doute pas un seul instant avoir été trompée et attend patiemment le retour de son bien-aimé, d’autant plus qu’elle est tombée enceinte de lui. Pinkerton reviendra au Japon, plusieurs mois plus tard, mais accompagné de son épouse légitime. Butterfly, couverte de honte et désespérée, se suicidera en se tranchant la gorge, après avoir confié son enfant aux Pinkerton. Celui-ci se rend alors compte, mais un peu tard, de sa frivolité.
Pour composer cet opéra, Puccini s’est imprégné de la culture musicale nippone dont il réutilise des thèmes tout le long de son œuvre avec bonheur. La mort de Butterfly est ici un révélateur puissant de l’incompréhension entre les cultures : la frivolité, le « consumérisme amoureux », de Pinkerton est totalement incompatible avec la pureté quasi virginale de Butterfly. Plus généralement, cet opéra illustre la souillure de certaines valeurs romantiques par ce que la modernité peut comporter de grossièreté. Cette dernière joue donc un rôle ambivalent : en effet, si c'est la modernité qui permet aux cultures de se rencontrer - un progrès indéniable - elle porte également en elle les germes de l’annihilation de certains « arts de vivre ». Quoi de plus moderne que cette critique (au sens étymologique), avant l’heure, de la "mondialisation" ?
L’action de Turandot est tirée d’un vieux conte Persan adapté en « fable théâtral » par Carlo Gozzi en 1762. Turandot est une princesse chinoise connue pour sa beauté mais, également, sa cruauté : ses prétendants sont soumis à diverses épreuves qui conduisent, en cas d'échec, à leur mort. C’est finalement un prince de passage, Calaf, qui arrivera à lui voler son cœur. Mais pour se faire, une victime expiatoire devra mourir, la jeune et innocente Liu perdra la vie pour que Turandot laisse enfin parler son cœur. La mort sert ici aussi de révélateur, comme dans Madama Butterfly...
Turandot est un opéra inachevé, Puccini mourant avant d’avoir terminé la partition qui sera achevée par Franco Alfano. Il utilise ici aussi, de manière récurrente, des thèmes musicaux traditionnels chinois, procédé déjà utilisé dans Madama Butterfly, avec le même bonheur. D'aucun considère Turandot comme le chef d'oeuvre absolu de Puccini, la démonstration finale de sa maestria, de sa maîtrise mélodique...
Il illustre également une certaine idée de l’Empire chinois très répandue à l’époque : un Empire centralisé sous la coupe d’Empereurs ne répugnant pas à utiliser des tortures cruelles et raffinées (les fameuses "tortures chinoises", comme si l'Inquisition n'avait rien inventé). Il s’agit donc d’une caricature poussée à l’extrême mais, de ce fait, le théâtre idéal pour faire passer le message de l’auteur : l’amour finit toujours par triompher. La puissance de l’amour est d’autant plus forte qu’elle répond à une situation de mort et de danger. La Chine correspond très exactement, dans l’imaginaire populaire, à cette définition de la violence.
L’Asie est donc le décor de deux opéras majeurs de Puccini. Elle sert bien entendu de prétexte au compositeur pour illustrer certaines valeurs « éternelles », idées fortes et thèmes romantiques qui lui sont chers. Mais quoi de mieux que la Chine pour illustrer la « violence » raffinée ? Quoi de plus pertinent que le Japon du tournant du XXème siècle pour illustrer un choc de civilisations dévastateur ? Même si ces deux pays ne constituent assurément que des cadres faciles, qu’ils y sont caricaturés de manière outrancière, on voit mal quels pays européens de l’époque auraient pu servir ces objectifs.
Du reste, on peut se demander si notre vision actuelle de la Chine et du Japon est tellement éloignée de celle qu'en avaient Puccini et son public. Malgré nos moyens de communications modernes sensés nous apporter la « transparence absolue », la Chine du travail des enfants et du Tibet est-il, dans notre imaginaire occidental, très éloigné de celui de Turandot ? Est-il autre chose qu'un Empire lointain et terrifiant? Le Japon n’est-il pas encore aujourd’hui cette terre étrange souvent présentée comme une dilution de la modernité dans une tradition éternelle, tout comme Madama Butterfly ? Est-il vraiment devenu autre chose qu'un condensé d'images d'Épinal sur les geisha et une certaine idée de l'honneur?
Duncan
Liens:
Nessun Dorma de Turandot par Luciano Pavarotti:
http://www.youtube.com/watch?v=RdTBml4oOZ8
Un bel di Vedremo de Madama Butterfly par Angela Gheorgiu:
http://www.youtube.com/watch?v=Uut6X4E-Kgk
Quando me'n vo de La Bohème par Anna Netrebko ( ):
http://www.youtube.com/watch?v=uZzC6e6olCY
E Lucevan le Stelle de Tosca par Placido Domingo:
http://www.youtube.com/watch?v=DeTAaFrKplk
Crédit photo: Wikipedia Commons

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