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L’ouvrage débute en relatant l’histoire de l’invention du moteur à vapeur par James Watt vers la fin du 18e siècle, laquelle a joué un rôle primordial dans la révolution industrielle qui a suivi. Watt a obtenu son brevet en 1968, mais en 1975, son brevet a été prolongé jusqu’en 1800, grâce à l’influence politique de son partenaire d’affaires, le riche industrialiste Matthew Boulton.
Premier fait à noter, Watt n’est pas parti de rien pour en arriver à son invention; il s’est basé sur un moteur existant : le Newcomen. Son innovation a consisté à ce que l’expansion et la condensation de la vapeur se produisent dans des compartiments séparés. Si le Newcomen avait été sous brevet, Watt n’aurait pas pu mettre de l’avant son innovation.
Deuxième fait à noter, l’efficience des moteurs à vapeur n’a pas changé durant le règne du brevet de Watts alors qu’une fois le brevet expiré, entre 1810 et 1835, l’efficience a été multipliée par cinq grâce à diverses innovations apportées par des compétiteurs. En fait, Watts et Boulton ne produisaient pas vraiment de moteurs; leur activité principale consistait à mener des batailles légales contre leurs compétiteurs pour obtenir des royautés et des dédommagements. Ces actions ont limité l’innovation, notamment celle de Hornblower, que Watts et Boulton ont défait en cour dans les années 1790s.
Troisième fait à noter, l’expiration du brevet de Watt ne l’a pas mis en faillite, au contraire, les affaires se sont mises à s’épanouir. Watt et Boulton ont continué d’augmenter leurs prix et leurs volumes de production, bénéficiant d’une certaine notoriété attribuable au fait qu’ils furent les premiers sur le marché.
En somme, non seulement la possibilité d’obtenir un brevet n’a pas accéléré le développement du moteur à vapeur, elle l’a en fait grandement ralenti, tout comme son adoption. Et ce cas est la règle plutôt que l’exception. Notez que l’histoire des frères Wright, ayant breveté l’avion, n’est pas tellement différente de celles de Watt puisque ceux-ci ont aussi apporté une amélioration marginale à un produit existant et l’ont ensuite breveté pour s’approprier une rente monopolistique. Ils ont par le fait même grandement nuit au développement de l’industrie américaine de l’aviation. En fait, l’inventeur Glenn Curtiss avait parallèlement son propre avion, dont le système de contrôle était supérieur, mais Curtiss n’a pas été aussi efficace que les frères Wright à ériger une barrière légale autour de son invention. D’ailleurs, après s’être approprié son système de contrôle par élévateurs et ailerons (encore utilisé aujourd’hui), les Wright ont poursuivi Curtiss en cour pour protéger leur brevet, avec succès. Selon l’auteur Seth Shulman, Glenn Curtis a davantage contribué au développement de l’avion que les frères Wright et c’est son modèle qui a inspiré les avions modernes.
L’innovation dans l’industrie du logiciel, qui avant 1981 n’était pas protégée par les brevets, a grandement bénéficié de cette liberté. Selon Bill Gates : “If people had understood how patents would be granted when most of today’s ideas were invented, and had taken out patents, the industry would be at a complete standstill today.” La raison est que les nouveaux logiciels innovateurs sont élaborés, en tout ou en partie, à partir de logiciels existants.
Est-ce que l’innovation cesserait si les logiciels ne pouvaient plus être brevetés? L’environnement Linux a été développé en “open source”, sans protection de la propriété intellectuelle. Linus Torvalds est tout de même un millionnaire. C’est sur la plateforme Linux que Google opère, l’une des entreprises les plus innovatrices des dernières années. Google est d’ailleurs une entreprise extrêmement profitable malgré le fait que la plupart de ses services, applications et logiciels soient distribués gratuitement. L’entreprise Red Hat vend une version modifiée du système Linux et distribue gratuitement son code source. Pourtant, cette entreprise survit et est profitable parce que les consommateurs sont prêts à payer une prime pour le logiciel de Red Hat, qui bénéficie d’une certaine notoriété. Red Hat vend son logiciel $59.95 alors que ses concurrents Hcidesign and Linuxemporium le vendent à $16.00. Dans l’Union Européenne, les bases de données sont protégées par des brevets alors que ce n’est pas le cas aux États-Unis. Il se trouve que le taux de création de bases de données est significativement plus élevé aux États-Unis qu’en Union Européenne.
L’ampleur du système de brevet ne cesse d’augmenter au fur et à mesure que de grandes entreprises cessent d’innover et désire se protéger des nouveaux concurrents plus dynamiques et innovateurs en transformant leurs profits en rentes monopolistiques. En plus de nuire à l’innovation, les brevets ne créent certainement pas d’emplois, sauf peut-être dans l’industrie du droit, car ce sont les avocats qui s’enrichissent le plus lorsque les monopolistes mènent d’épiques batailles légales contre les innovateurs. Le cas Polaroid versus Kodak dans les années 1980s est un bon exemple. Polaroid a reçu un dédommagement de $909 millions de Kodak, un record à l’époque, et cette dernière a instantanément délaissé le marché des caméras instantanées. Combien d’emplois furent créés suite à ce procès? Quelles innovations sont apparues grâce à ce procès?
L’une des stratégies d’enrichissements permise par le bureau des brevets consiste à utiliser des stratagèmes pour retarder autant que possible l’approbation finale du brevet (le brevet sous-marin). Par exemple, l’américain George Selden, un avocat et inventeur, a soumis son brevet pour l’automobile en 1879, mais il a ensuite soumis une série d’amendement qui ont eu pour effet de retarder l’approbation du brevet de 16 ans, jusqu’en 1895. Pendant ce temps, l’industrie de l’automobile s’est développée et améliorée d’elle-même. Une fois son brevet approuvé, Selden a pu bénéficier de ces innovations par l’entremise d’une redevance de 1.25% sur toutes les ventes d’automobiles aux États-Unis. Son brevet a été acheté en 1899 par un syndicat (l’Association of Licensed Automobile Manufacturers), qui l’a utilisé pour former un cartel restreignant l’accès au marché.
Plus récemment, Jerome Lemelson s’est certainement révélé être le plus grand spécialiste de tous les temps concernant la stratégie des brevets sous-marins. Il a détenu plus de 600 brevets lui conférant des revenus de plusieurs milliards de dollars. C’était davantage un « breveteur » qu’un véritable inventeur et il a utilisé ce talent pour soutirer des rentes d’un bon nombre d’entreprises.
Boldrin et Levine ont rassemblé une impressionnante revue de littérature académique visant à établir si l’introduction ou le l’augmentation de la protection des brevets permettait d’augmenter l’innovation. Ils ont trouvé 23 études couvrant les pays industrialisés depuis la Seconde Guerre Mondiale. Aucune d’elles ne représente une preuve solide prouvant que les brevets favorisent l’innovation.
En Allemagne et dans plusieurs pays européens (Italie et Suisse), les produits chimiques ne pouvaient jadis (avant 1980) pas être brevetés. Pour cette raison, les producteurs Allemands de produits chimiques devaient sans cesse innover pour demeurer compétitifs et maintenir une grande productivité, ce qui leur donna un net avantage sur les Britanniques et les Américains. C’est pour cette raison que l’Allemagne, la Suisse et l’Italie ont été des leaders mondiaux dans le développement de produits chimiques et pharmaceutiques entre 1850 et 1980.
Selon Peter Ringrose, scientifique en chef de la pharmaceutique Bristol Myers Squib, il existe environ 50 protéines potentiellement impliquées dans le cancer que la compagnie s’abstenait d’étudier parce que celles-ci sont brevetées. Encore une fois, cette situation est la règle plutôt que l’exception. Pour cette raison, les brevets nuisent grandement au développement de médicaments. Pourtant, les grandes pharmaceutiques affirment qu’elles ont besoin des rentes monopolistiques que leur procurent leurs brevets pour couvrir les immenses frais de R&D nécessaires à développer un nouveau médicament. Une étude réalisée par des économistes de l’Université de Chicago en 1995 a démontré que des $25 milliards dépensés annuellement en recherche biomédicale à l’époque, environ $11.5 milliards était financé par le gouvernement fédéral, plus un crédit d’impôt de 20% équivalent à $2 milliards et $3.6 milliards provenant des universités et fondations. La majorité des R&D n’est donc pas financée par les compagnies pharmaceutiques. En revanche, les compagnies pharmaceutiques dépenses d’immenses sommes en frais légaux pour ériger et défendre leurs brevets.
En 2006, le British Medical Journal a demandé à ses lecteurs de nommer les découvertes médicales et pharmaceutiques les plus fondamentales pour l’humanité. Voici le top 15 des réponses (ne pas tenir compte de l’ordre) :
Pénicilline, rayons-X, culture des tissus, éther, chlorpromazine, systèmes sanitaires publiques, théorie des germes, médecine basée sur les preuves, vaccins, pilule, ordinateur, thérapie de réhydratation orale, structure de l’ADN, technologie de monoclonage d’anticorps, risque associé au tabagisme.
Dans cette liste, seulement deux ont été soit brevetés ou développés durant un projet de recherche motivé par l’intention d’obtenir un brevet : le chlorpromazine et la pilule. D’ailleurs, le “cocktail” utilisé pour traiter le VIH n’a pas été inventé par une grande pharma, mais bien par un chercheur universitaire (Dr. David Ho).
D’autre part, en 1999-2000, le US Centers for Disease Control and Prevention (CDC) a compilé une liste des 10 plus grands accomplissements de la médecine aux États-Unis durant le 20e siècle. Des 10 découvertes de cette liste, aucune n’a été brevetée. Selon une liste compilée par Chemical and Engineering News Magazine, seulement 20 des 46 médicaments les plus vendus au monde ont eu quelque chose à voir avec un brevet.
En somme, Against Intellectual Monopoly est un livre très intéressant à lire et qui combine des arguments légaux à de solides preuves empiriques dans un langage divertissant et pas trop lourd. Cet ouvrage complète très bien les écrits de Stephen Kinsella et de Murray Rothbard à l’égard des fondements philosophiques de l’opposition à la propriété intellectuelle. Il arrive d’ailleurs à point, dans un monde où la protection coercitive de la propriété intellectuelle n’a jamais été aussi imposante et continue de prendre de l’expansion. Boldrin et Levine démontre bien qu’au final, ce sont les pauvres gens qui se font extirper des rentes et subissent les conséquences d’une économique moins dynamique, au profit de grosses corporations voulant s’assurer des rentes monopolistiques.
Note : je publierai bientôt une synthèse de tous mes articles sur la propriété intellectuelle qui me permettra de regrouper mes arguments en un tout plus cohérent. À suivre…