C’est tellement gros qu’on se demande naturellement dans un premier temps s’il ne s’agit pas d’un canular. Et pourtant non. L’association Anadir (association nationale des victimes d’adoptions illégales) appuie ses affirmations sur un décret datant de 1940, qui permettait au régime franquiste de placer les enfants sous sa garde si leur “éducation morale” était en danger.
Les enfants étaient essentiellement soustraits “pour raisons politiques” à des femmes républicaines pour éviter de devenir de futurs “rouges”. Encore plus inexcusable, il semblerait que la fin de la dictature n’ait pas mis un terme à cette pratique mais qu’au contraire, jusqu’en 1987, elle ait dérivé vers le commerce de bébés.
Une situation permise par une législation sur l’adoption très souple, réformée en 1987, et surtout la complicité de médecins et de religieux travaillant dans des maternités. En tout état de cause, l’église catholique pilier du franquisme est très largement impliquée.
Aussi incroyable que cela paraisse, jusqu’à 1987, le contrôle de l’administration sur le système des adoptions était quasi-inexistant, ce qui conférait un grand pouvoir aux médecins. Avec la complicité de la police, les identités des bébés étaient falsifiées et l’enfant acheté figurait sur le livret de famille comme enfant biologique de la famille. Les mères dont les enfants étaient volés étaient des femmes d’origine modeste, dont on savait qu’elles n’auraient pas les moyens d’engager des poursuites en cas de doute. On leur disait que leur bébé était mort sans toutefois leur permettre de voir le cadavre.
La plainte déposée par l’association Anadir était soutenue par l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH), qui réclame des enquêtes sur les disparus du franquisme mais ces années noires jouissent encore d’un important tabou au titre de la réunification nationale et du Pacte du silence en vertu duquel, les franquistes acceptaient la démocratisation en échange de l’oubli du passé.
Signe d’un frémissement dans la société, le parquet de l’Audience Nationale, la plus haute instance judiciaire espagnole, avait demandé début décembre au ministère de la Justice d’aider les enfants volés sous le franquisme à rétablir leur identité, proposant l’ouverture d’un bureau chargé de ces enquêtes.
Le refus du parquet général de l’Etat espagnol témoigne du caractère explosif du dossier qui amènerait obligatoirement à une introspection des années franquistes. Cette décision n’empêche pas des actions à l’échelon régional mais contribue à fragmenter le passé pour diminuer son horreur.
Difficile de savoir combien d’enfants sont concernés (30 000, peut être 150 voir 300 000) car la plupart des preuves a été effacée, les actes de naissance ont été falsifiés ou brûlés. Mais la marche vers la vérité est initiée. Emissions et articles se multiplient semant le doute dans de nombreuses familles.