Interview parue dans le Journal du Dimanche, dimanche 6 février 2011.
Dominique Strauss-Kahn baisse dans les sondages. Est-ce un signe de l’impatience des Français ?
Cet effritement très commenté le conduit cependant à rester... en tête. Il faut demeurer calme et faire deux constats : la multiplication des attaques à la fois d’une partie de la gauche et de la droite contre le mieux placé des socialistes et un soutien faiblissime à l’égard du président de la République. La politique actuelle est rejetée, mais les gens demandent à voir.
La victoire n’a jamais été aussi proche pour la gauche ?
L’élection présidentielle n’interviendra que dans plus d’un an. Des imprévus peuvent surgir, internationaux, financiers, sociaux, politiques. Nous avons encore beaucoup de travail devant nous. Ce qui nous attend, c’est quoi ? L’alliage entre un esprit de conquête, de sérieux et de justice. Voilà notre cap ! Les Français veulent qu’on leur propose un chemin. Il ne s’agit pas de raconter des balivernes, de dire qu’on doublera toutes les prestations, mais de montrer qu’il y a des solutions pour l’emploi, pour les services publics, pour l’investissement dans l’avenir. Reconquête, sérieux, justice. C’est autour des thèmes économiques et sociaux que se fera l’élection.
C’est la fin des promesses ?
Autour de Martine Aubry, la dizaine des principaux dirigeants du PS discutent ensemble, tous les quinze jours, ce qui malheureusement ne s’était pas fait depuis de longues années. Le climat - je puis en témoigner - est excellent. Personne ne propose de plomber... la dent du Midi avec le plomb du Cantal. Les propositions sont ambitieuses et sérieuses. On sent la volonté de changer et de gagner.
Vous dites que si DSK baisse un peu c’est à cause des critiques d’une partie de la gauche, vous pensez à Jean-Luc Mélenchon, c’est un problème pour le PS ?
Jean-Luc Mélenchon est un de mes amis et il a du talent. Mais choisir le PS comme adversaire numéro 1 ou numéro 2 quand on veut le changement n’est pas pertinent. Au bout du bout, la question sera : soutenez-vous le candidat de la gauche ou M. Sarkozy ? Puisque c’est ainsi que le grand choix se termine, autant l’avoir tous à l’esprit.
DSK est-il un bon candidat pour la gauche ?
Vous connaissez ma position : il y a deux favoris, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry. Ils ont tous deux de grandes qualités, complémentaires. Ils ne s’opposeront pas l’un à l’autre et ce sont tous deux mes amis. Le choix se fera autour de l’été. Notre calendrier est d’une simplicité biblique : au premier trimestre, les cantonales ; au deuxième, notre projet ; au troisième, la candidature et le rassemblement. Voilà notre feuille de route.
Vous avez longtemps été en conflit avec DSK, pourquoi vous êtes vous rapprochés l’un de l’autre ?
Nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, mais nous nous sommes toujours estimés. La période où nous avons été successivement Ministre de l’Economie a été l’une des meilleures pour la croissance, le commerce extérieur et la baisse des déficits. Après la défaite de 2007, nous avons décidé, avec Dominique, Martine - et beaucoup d’autres - de travailler ensemble. Changer les choses est une tâche d’intérêt général. Les résultats du pouvoir actuel ne sont pas bons, la situation est difficile sur le plan financier, l’affaiblissement industriel et agricole est manifeste, les inégalités explosent, le pessimisme est évident. On ne voit pas pourquoi un quinquennat supplémentaire de M. Sarkozy changerait la donne. Nous sommes déterminés à gagner. Voilà pourquoi nous avons décidé de travailler ensemble et nous sommes heureux de le faire.
DSK n’est pas en France depuis 2007....
C’est difficile d’être directeur général du FMI depuis Sarcelles. On dit parfois, à propos de Dominique, de Martine, ou de moi-même, « ont-ils vraiment envie de la Présidence ? Pour être candidat il faut en avoir envie ! » C’est confondre l’envie et la détermination. L’envie, c’est pour le chocolat. Présider la République demande de la détermination. Et ces personnalités, je puis vous l’assurer, ne manquent pas de détermination.
Comment jugez-vous l’attitude de la France sur la Tunisie ?
L’attitude de l’ensemble de l’exécutif a depuis longtemps été assez consternante. Le fait que M. Ben Ali était devenu un dictateur n’avait échappé à aucun regard objectif. Je vous livre un souvenir personnel. En 1997, le Président tunisien devait effectuer une visite d’Etat en France. Il souhaitait s’exprimer dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, que je présidais. J’ai refusé car je ne voulais pas lui apporter cette caution des droits de l’homme. Tension diplomatique. Finalement il a été reçu à l’Assemblée, mais pas dans l’hémicycle et sans aucun discours et, lorsque je l’ai rencontré, je lui ai remis une liste de prisonniers politiques dont je demandais la libération. L’atmosphère était plutôt fraîche. Mais c’est cela la France des libertés. L’aveuglement officiel me frappe. Il explique les retards, les déplorables connivences, les gestes ou les déclarations à contre-sens comme celles de Bruno Le Maire ou de Mme Alliot-Marie.
La diplomatie française s’est rattrapée avec la crise égyptienne ?
Je l’aurais souhaité. La France, comme l’Europe, a été trop silencieuse et trop longtemps. Il ne s’agit pas de jouer la mouche du coche. Je comprends l’embarras de M. Sarkozy qui, avec un sens particulier de l’anticipation avait choisi comme pilier de l’Union pour la Méditerranée, MM. Ben Ali et Moubarak. Mais tout de même ! La France est un des membres permanents du Conseil de Sécurité. Elle a une forte tradition de présence au Moyen-Orient. Elle symbolise les droits de l’homme. Quand des peuples se soulèvent contre des dictateurs, au nom de la liberté, du pain et de la dignité, on attend des dirigeants français mieux qu’un silence embarrassé ou qu’un communiqué tardif.
2011 devait être l’année de la politique étrangère avec le G 20 ?
Les enjeux du G20 sont décisifs. Avec pour M. Sarkozy trois difficultés. D’abord, les défis sont objectivement lourds. Ses grandes proclamations précédentes sur la fin des bonus, la mort des paradis fiscaux ou la moralisation du capitalisme ne semblent guère se traduire dans les faits. Enfin, il n’est pas crédible de plaider la régulation généralisée à l’extérieur quand on dérégule à tout va à l’intérieur. Nous jugerons les résultats. Traditionnellement, la politique étrangère faisait la force de nos présidents. Là, il y a de quoi être inquiet. En Afrique, depuis le désastreux discours de Dakar jusqu’au blocage de la situation en Côte d’ivoire, on ne peut pas dire que notre influence ait progressé. Aux Etats-Unis, je n’ai pas été impressionné par la dernière rencontre entre M. Obama et le Président français. En Amérique du Sud, j’avais compris que nous avions noué une alliance de fer avec le Brésil, dont nous attendions des retombées commerciales, attendons...Avec la Chine, nos déficits restent abyssaux. En Europe, nous avons économiquement décroché de l’Allemagne, nous essayons de nous raccrocher par des initiatives communes, mais l’Union, en tous cas jusqu’ici, n’avance guère. Quant à notre réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN, j’ai montré cette semaine à l’Assemblée qu’elle n’avait apporté ni le surcroît d’influence qu’on nous promettait ni la relance pourtant souhaitable d’une défense européenne. Le bilan tranche donc avec ses prédécesseurs. Mais pas dans le bon sens.
VU DANS www.laurent-fabius.net