Nous (Agoravox Italie) avons eu l’opportunité de passer deux heures, samedi, avec Julian Assange le fondateur de Wikileaks qui est aujourd’hui même en train de se défendre face à un tribunal britannique. Nous avons divisé le long entretien en deux parties. Un premier plus général est publié aujourd’hui et demain nous détaillerons ses opinions sur certains médias occidentaux comme le New York Times (et ses liens avec la CIA), The Guardian ou la BBC ainsi que sa vision de la politique internationale, notamment en Israël, en Egypte ou en Afghanistan
« Bonjour Julian, je suis Francesco, Francesco Piccinini… »
« Francesco ! Rentre ! » Une phrase « normale », presque « banale » mais si la personne qui est en train de t’inviter chez lui est Julian Assange, l’invitation à tout de suite une saveur particulière… Julian Assange, Fondateur de Wikileaks l’homme qui a ébranlé grâce à ses révélations, des bureaucraties mondiales et qui en ce moment même est en train de se défendre face à un tribunal anglais qui devra décider si’l sera extradé ou pas en Suède, où il est recherché pour une accusation de prétendu viol. On pourrait se demander pourquoi il est jugé par la Belmarsh Magistrates’ Court, une sorte de Guantanamo anglaise qui s’occupe de terroristes… Mais ceci est une autre histoire… Quand nous approchons Julian, il est dans sa voiture et dehors il y a beaucoup de vent. Ainsi, pendant que son assistante continue à lui répéter s’il est vraiment sûr de vouloir faire une interview, il nous fait signe de rentrer. Les deux heures passées avec Julian Assange chez lui face à sa cheminée ont démarré de cette manière. Deux heures pendant lesquelles, j’essaie de me concentrer sur ce que je dois lui demander et non pas sur ce que répresente la personne que j’ai en face. Heureusement je suis avec Giorgio Scura, un ami de la revue italienne Leggo et c’est lui qui m’aide parfois à reprendre le fil du discours. Avec Julian nous avons d’abord parcouru les années 90 d’Internet, période à laquelle j’ai eu la chance de le « rencontrer » même si à l’époque pour moi il n’était qu’un simple nickname, un pseudo anonyme. Notre voyage avait commencé le jour avant cette interview. Giorgio passe me prendre à la maison où je logeais à Londres et nous partons en voiture vers Norfolk sur la mer du nord. Une contrée écrasée entre les navires et la chasse. Pendant que nous sommes en voiture, je continue à appeler sur le portable du porte-parole de Wikileaks, Kristin Hrafnsson : « Francesco je ne sais pas si vous réussirez à vous voir, Julian est très occupé ces jours-ci avec la préparation du procès, vas y essaie de le rencontrer et s’il a un peu de temps, il te rencontrera » Nous avons traversé des ville immergées dans le vent jusqu’à arriver à Beccles où nous avons rencontré la police locale près de laquelle Assange effectue sa garde à vue dans l’attente d’être jugé aujourd’hui. A peine rentré dans le commissariat, le policier nous regarde et dit « encore des journalistes ! » comme un refrain répété mille fois. Le jour d’après nous sommes là-bas à 14 heures à l’extérieur du commissariat à attendre l’arrivée de Julian. Avec nous la BBC. A 16h45 Assange arrive, son assistante gare la voiture et lui il va signer au commissariat, et ne veut pas parler ni accorder d’interview. Il est grand, très grand, et tout habillé en bleu. Mais revenons à notre interview réalisée chez lui. Avant de nous faire rentrer dans son salon à Ellingham Hall et de démarrer nos deux heures de discussion, Julian nous a fouillé. Après que son assistante nous demande de déposer tout ce que nous avions dans nos poches, c’est Assange qui nous a fouillé de manière méticuleuse. Un geste inattendu mais compréhensible pour quelqu’un qui, comme lui, n’a pas beauccoup de personne à qui faire confiance. Les premières trente minutes démarrent tranquillement avec « Monsieur Wikileaks » qui allume sa cheminée tout en me demandant comment se porte AgoraVox…. Ensuite nous rentrons dans le coeur de la discussion en commençant par la situation de l’Italie. Pourquoi n’avez-vous jamais donnée des « câbles » à des journaux Italiens ? « Nous l’avons fait. Nous les avons donné à un grand journal mais ils ont décidé de ne pas les publier directement mais à travers uniquement des articles. » A quel journal les as-tu donné ? « Deux journaux, les deux principaux mais à la fin ils n’ont rien fait. La même chose est arrivée au Japon. Nous avons donné les câbles au principal quotidien régional, qui a plus de 2200 journalistes mais eux aussi ont refusé. » Dans quelle ville de l’Australie as-tu grandi ? « Je viens de plusieurs endroits (il sourit) mes parents travaillaient au théâtre. J’ai donc vécu un peu partout de Darwen jusqu’à Melbourne. Et toi où est-ce que tu habitais en Australie ? » Sydney Paramatta. « Tu as dû apprendre pas mal de choses là-bas ? » Disons que j’en ai appris davantage à Naples, du quartier d’où je suis issu. « Lequel ? » Un quartier tout proche où on a tourné le film Gomorra, Secondigliano « Gomorra je le connais, j’ai échangé des mails avec son auteur, Roberto Savieno. » Es-tu préoccupé par le procès ? « Non j’ai 40% de possibilité de gagner mais de toute façon en cas de victoire ou de défaite il y aura un appel. Nous avons l’intention de le demander et naturellement si nous perdons ce sera à l’accusation de faire appel. Même si le procès de lundi sera important, l’appel le sera encore plus puisque tout devra recommencer. » Entre temps est-ce qu’ils te laisseront ici ou tu devras partir ? « Si nous perdons je serais arrêté et je devrai à nous nouveau rester en prison. Nous essaierons de démontrer que ce n’est pas juste que j’aille à nouveau en prison puisque que je ne pense pas être un sujet dangereux. Probablement qu’il faudra que j’y passe quelques jours et ensuite on m’assignera à résidence. Ce serait quand même un grand soulagement de pouvoir revenir ici. Si par contre nous gagnons je serais libre de partir ». Ca a été dur en prison ? « Ca a été une expérience, une expérience importante. J’ai appris beaucoup de choses, mais une expérience de 10 jours trop longue. 5 jours auraient été suffisants je pense… » Comment tu te trouves ici à Beccles ? « Un endroit très tranquille… Disons qu’il n’y a pas beaucoup de choses qui se passent. Il s’agit de personnes très accueillantes même si je suis responsable de l’augmentation de la « criminalité » dans ce lieu…. » Est-ce que tu penses que Wikileaks va s’en sortir d’un point de vue économique ? « Pour nous ça a été un vrai problème. Jusqu’au moment de mon arrestation nous avions réussi à recueillir jusqu’à cent dix mille dollars en trois jours et demi. Mais ceci a duré très peu de temps. Nous avons perdu ce que nous aurions pu gagner avec cette popularité puisqu’on nous a bloqué toutes les donations. Nous aurions pu utiliser cette popularité pour nous financer et nous améliorer. Ceci te montre combien est puissant le système bancaire qui, sans même attendre un jugement de la cour, sans rien attendre du tout, a décidé de tout bloquer mes comptes. Mais grâce à cet argent nous avons réussi à rendre notre site plus sûr et plus accessible : maintenant il est plus facile de trouver les informations. » Une banque peut en arriver jusqu’à un tel point ? « Oui car elles sont très puissantes. Elles tracent toutes les opérations que nous faisons. Visa, BankAmeriacard, etc, enregistrent tout ce que nous faisons et d’ailleurs c’est la raison pour laquelle en Russie ils ont leur propres cartes de crédit nationales parce qu’il ne veulent pas que les Etats-Unis à travers leurs bases de données puissent surveiller les citoyens. Les banques par ailleurs contrôlent qui fait du commerce avec qui. Les prochains câbles que nous publierons, les plus attendus, concernent l’univers bancaire. » Qu’est-ce que tu penses de l’Italie et de la situation actuelle de Silvio Berlusconi ? « Je ne l’aime pas mais les italiens oui…. Le problème de Berlusconi n’est pas son pouvoir politique ou économique mais la manière dont il l’a utilisé uniquement pour ses propres intérêts, en corrompant le système. » Est-ce qu’il y a quelque chose sur l’Italie qui ressort ? « Il y a beaucoup de câbles qui parlent de la corruption en Italie surtout dans les grandes sociétés. Il y a beaucoup d’informations qui vont ressortir, surtout concernant l’Eni, la société nationale du pétrole qui est le moyen que l’Italie utilise pour entrer dans certains pays corrompus comme par exemple le Kyrgyzstan. L’Eni est la vraie grande entreprise corrompue… » Pourquoi ces histoires ne sortent pas dans les journaux italiens ? « Le vrai problème est qu’en Italie les grands journaux ne parlent pas de corruption quand il s’agit de grandes entreprises. Les journaux italiens s’occupent des personnes déjà en prison ou sous procès, mais ne s’occupent jamais de personnes qui ne sont pas poursuivies, même si nous les citons dans des câbles. » Est-ce qu’il y a autres choses d’intéressant dans les câbles ? « Oui il y a des éléments intéressants en ce qui concerne les rapports entre les compagnies pétrolières et les Etats. Par exemple BP fait beaucoup d’affaires avec l’Iran… Voici la grande hypocrisie : les Etats se plaignent de l’Iran et ensuite ils font du business avec sans soucis » Je regarde ma montre et je vois que ça fait déjà une heure que nous sommes là. Je demande à Julian s’il veut que nous partions et lui nous répond qu’il n’y a pas de problème. Nous continuons donc. Est-ce que vous avez déjà demandé le financement à des fondations ou des organisations ? « Oui nous avons frappé à plusieurs portes. Mais les fondations ne veulent pas financer des projets qui puissent engendrer des problèmes. Ils ont uniquement deux règles : ne pas financer des organisations qui puissent prendre l’argent et s’enfuir et ne pas financer des projets qui pourraient les mettre face à des situations compliquées par rapport à l’establishment. Elles se trouvent donc à financer des projets qui n’ont aucune valeur ajoutée. En réalité, elles agissent dans un environnement très fermé dans lequel elles s’échangent des conseillers au sein de leurs conseils d’administration et à travers les financements à octroyer ils essaient de rentrer dans d’autres sphères d’influence. Toutes les structures fonctionnent ainsi. Les conseils d’administration de toutes les fondations sont constitués par des personnes qui essaient uniquement de maintenir le statu quo et l’inaction. C’est l’antithèse de ce que devrait être le travail d’une fondation. Un exemple pourrait être par exemple la fondation Ford. Un de leurs objectifs est de recruter des personnes potentiellement dangereuses afin de les « neutraliser ». Mais leur plus grande erreur est de prétendre ne pas faire de politique : mais comment on peut affirmer ne pas faire de politique quand on participe à la vie publique ? Quand on finance la vie publique, qu’est-ce que cela veut dire ne pas faire de politique ? » A part les fondations quels sont à ton avis les problèmes que créent les lobbies en général ? « Un autre problème c’est le financement de la recherche scientifique. Prenons l’exemple de la malaria avec environ quinze mille morts par jour. Ceci pourrait se résoudre facilement puisqu’il y a une possibilité de modifier génétiquement les moustiques qui véhiculent la malaria de manière à ne plus porter le virus. Ceci n’est pas fait puisqu’on prétend que le risque est trop élevé et qu’on ne connaît pas les conséquences. Personnellement je pense qu’on pourrait au moins faire des essais qui permettraient de sauver des milliers de personnes par jour. » Pourquoi avez-vous commencé le projet Wikileaks ? « Mon histoire vient de loin. Je ne me suis pas réveillé un jour et j’ai lancé Wikileaks. J’avais commencé en Australie avec d’autres personnes, ensuite j’ai eu un peu de notoriété avec des documents publiés contre la scientologie et en 94 en Australie, j’ai mené des opérations de hacking sous un autre nom… J’ai écrit plusieurs programmes d’élaboration d’images et j’ai commencé à m’intéresser aux mathématiques, à la physique et à la mécanique car pour comprendre les technologies il faut être capable de regarder dans plusieurs directions. » Qu’est-ce qui t’a poussé à t’orienter dans le domaine de l’information ? « J’ai commencé car trop souvent les journalistes ont renoncé à leur rôle de conduire le débat public en devenant simplement des spectateurs. Ce que nous avons fait avec wikileaks c’est probablement quelque chose que personne n’aurait fait. Les journalistes ne comprennent pas qu’ils ont un pouvoir quasiment unique : pouvoir contribuer aux débats et pas uniquement les subir. » Quelques exemples ? …..Demain sur AgoraVox la deuxième partie avec l’opinion de Julian Assange sur les médias occidentaux ainsi que sa vision de la politique internationale. Voir également, la version italienne de cet entretien sur AgoraVox Italie.
AgoraVox a rencontré Julian Assange de Wikileaks – AgoraVox le média citoyen.