Max | Nowotny et les rails

Publié le 07 février 2011 par Aragon

Belvédère de Montfort, assis sur un banc ce dernier dimanche. Je suis peinard. L'immense paysage moutonneux-collineux de Chalosse s'étale sous mes yeux. Si beau. J'attends l'heure d'ouverture du Café & Scène de Jacques Bocquet. Tout d'un coup, le bruit du moteur d'un avion venant de Dax me tire de mes songes.

Je lève la tête, il apparaît "en contrebas". On dirait un CAP 10, j'en suis resté à lui, je sais qu'il existe des descendants modernes numérotés 231, 232 et au-delà bientôt, ça me rappelle des souvenirs, je me revois bien des années plus tôt au même aéro-club de Dax.

Rouge vif dans ce ciel bleu, incroyable la qualité de ce ciel en cette après-midi. Il passe devant moi à 1000 pieds, juste la hauteur minima réglementaire et le voilà qui se met à voltiger devant mes yeux stupéfaits : boucle, tonneau, vrille, rétablissement tombé, virage de dos, tout y passe, fantastique ballet sous mes yeux, on dirait qu'il fait exprès, je suis aux premières loges et le spectacle est pour moi.

Je ferme les yeux, Walter Nowotny "Nowi" me rejoint, il a connu ce ciel de Chalosse en 1944, obligatoire, il ne peut pas en être autrement. Il a volé sur l'océan, d'Hendaye à Capbreton... Nommé responsable de l'école des pilotes de chasse de Pau en février 44, il a volé dans ce ciel, c'est sûr. Je pense à son rêve, une année plus tôt en 43, rêve-cauchemar qui le bouleverse, le tétanise, le perturbe durant des semaines à tel point qu'il veut tout lâcher... Il ne peut pas, il continuera de voler. Il en parle à son fidèle pote "Quax" dont l'amitié est totale, indéfectible. Ce dernier essaye de l'aider, de le rassurer.

Le rêve de Nowi : Il est dans les nuées cette nuit-là, il vole très haut, 20 000 pieds, un chiffre est inscrit dans le ciel : 258. Un gigantesque avion se transforme en main, sort d'un nuage, saisit et brise son chasseur comme une vulgaire allumette. Il quittera Pau en juillet 44 et sera mortellement abattu au-dessus de l'Allemagne en novembre de la même année, le 8. Vingt-quatre ans Nowi, vingt-quatre petites et jeunes années et une immense vie (vie d'enfer : l'enfer des as des as de la Luftwaffe) derrière lui, il rentrait d'une enième mission. Il venait juste d'obtenir ce jour-là sa 258 ième victoire en combat aérien !

Je pense à toi, Nowi, que j'appelle "mon double" depuis des années. Je pense à ton merveilleux sourire qui se confond dans cette voltige rouge, étincelante de soleil. Je pense, très fort à ta vie si courte, tu haïssais Hitler, tu lui a serré la main avec répugnance (tu le diras à Quax, on le voit dans le film joint) le jour où il te remettra les diamants, mais tu étais dans la tourmente, je pense à ta mort.  Abattu par des P51 en "chasse au rat" en atterrissant ? Oiseaux dans les réacteurs ? On ne saura jamais. Je pense à la mort, à ma mort aussi. Qu'est-ce que c'est que la mort ? L'avion rouge disparaît vers Dax, retour au bercail, je le salue d'un geste de la main, vieux réflexe.

Un message sur mon appareil. Lucie est au loin, sur des rails, son train est retardé au moment même où j'assistais à ma voltige. Des heures d'attente en rase campagne. Suicide sur la voie. Le train repartira, nouvel itinéraire pour rejoindre le port d'attache... Incroyable : nouveau long retard pour elle plus tard, car il y aura un autre suicide sur une autre voie, sur d'autres rails. Il y a des jours comme ça.