Article publié dans Le Bulletin d’Amérique.
Ce 6 février, Ronald Reagan aurait eu 100 ans. Souvent méprisé et calomnié, le quarantième président des États-Unis laisse un souvenir contrasté dans la mémoire de nos contemporains. En France notamment, il est vu bien souvent comme la bête immonde — à l’instar de Margaret Thatcher — qui a favorisé le règne de « l’ultralibéralisme ». Un qualificatif réducteur qui ne permet pas de comprendre l’apport politique et idéologique majeur de Ronald Reagan à la vie des idées en Amérique.
Et pourtant, on mesure mal aujourd’hui l’importance de sa présidence. Son élection triomphale en 1980 et sa réélection — non moins triomphale — en 1984 (élu dans 49 des 50 États) montre que les Américains ne s’y sont pas trompés. Pour avoir contribué à mettre à genoux le totalitarisme soviétique, pour avoir tenté de libérer l’économie américaine de ses lourdeurs, pour avoir réaffirmé la prééminence de la société civile sur la bureaucratie gouvernementale, le souvenir de Ronald Reagan mérite mieux, aujourd’hui, que les quolibets dont il est parfois victime. Selon une enquête nationale réalisée pour la télévision en 2005 un an avant sa mort, il reste l’une des personnalités publiques préférées des Américains, toutes catégories confondues.
Liberté et responsabilité
Dès son arrivée à la Maison Blanche, le 4 novembre 1980, Ronald Reagan a tenu à démystifier le rôle de l’État pour promouvoir la liberté et la responsabilité individuelle. A ce titre, il est l’un des pères fondateurs du parti républicain moderne. Sa redéfinition du conservatisme fiscal, fondé sur des baisses d’impôts, son opposition à l’imposition progressive, aux questions de protection de l’environnement et à l’avortement, l’importance accordée à une opinion publique puritaine (the Moral Majority), et même son soutien aux systèmes de missiles de défense, sont autant de positions qui sont devenus caractéristiques des leaders républicains qui ont suivi, y compris George W. Bush.
Lecteur assidu de l’économiste français Frédéric Bastiat ou des autrichiens Hayek et Mises, Ronald Reagan s’est prononcé très tôt en faveur d’une réduction du rôle de l’État dans la société américaine. Une doctrine que les observateurs ont appelé les Reaganomics et qui a connu des succès certains. Dans son discours inaugural, il n’a rien caché aux Américains du mal qui rongeait leur pays. (video)
Il faut dire qu’il arrivait au pouvoir dans une situation particulièrement difficile, tant sur le plan économique que budgétaire. Il devait faire face à un accroissement des dépenses tous azimuts, entamé depuis le New Deal du président Roosevelt en 1933, qui avait fait exploser le déficit et la dette américaine. Jimmy Carter laissait derrière lui la bagatelle de $79 milliards de déficit lors du dernier budget pour 1981.
Plus grave, l’Amérique était en proie à une profonde crise d’identité après l’extension importante des pouvoirs du gouvernement sur la société civile. Le modèle qui dominait parmi les intellectuels, et plus généralement au sein des élites du pays, était celui du keynésianisme, favorable à une intervention massive de l’Etat dans la vie économique et sociale des individus. Une intervention qui s’est traduite par des hausses d’impôts considérables. Seize jours après sa prise de fonction, Ronald Reagan déclarait que « le pourcentage de notre revenu global que le gouvernement fédéral prélevait en taxes et impôts en 1960 a, depuis, doublé. Et enfin, 7 millions d’Américains sont prisonniers de cette indignité humaine et de cette tragédie personnelle qu’est le chômage […]. Qu’est-il arrivé au rêve américain : devenir propriétaire de sa maison ? »
Que retenir de Ronald Reagan ?
Il faut rendre hommage à Ronald Reagan d’avoir su rappeler aux Américains que le salut d’une nation ne passe que par l’initiative individuelle de chacun de ses citoyens. En matière fiscale, comme le souligne Chris Edwards du Cato Institute, sa politique s’est traduite « par une réduction du taux de l’impôt sur le revenu de 70% à 28% et celui de l’impôt sur les entreprises de 46 à 34%. Quant aux dépenses publiques, la première version du plan de février 1981 prévoyait des réductions visant à les ramener à 19,3% du PIB en 1984 et ainsi équilibrer le budget. Le Congrès refusant de voter cette réduction, le déficit est resté élevé et les dépenses ont été bloquées à plus de 22% jusqu’à la fin des années 1980. »
La crise des États-providence en Europe a rappelé le discours de Ronald Reagan à la mémoire des Européens : pour sortir de la crise économique, pour faire face à la concurrence internationale, pour améliorer la vie des citoyens, l’État n’est pas la solution. Il est le problème. Les politiques d’assistance publique, tant vantées par les socialistes de tous bords, n’ont pas permis de faire disparaître la pauvreté en France et en Europe. Elles ont au contraire empêché durablement ceux qui vivent dans le dénuement d’en sortir, créant des effets de plafonds de verre. Elles ont également favorisé l’apparition de situations d’assistanat, humainement et philosophiquement indignes.
D’autre part, ces politiques publiques ont profondément grevé le dynamisme économique et la capacité d’entreprise des individus. Et pour cause, l’argent public ne tombe pas du ciel, il vient de la poche des contribuables que l’on a taxés. Autant de revenus que les individus ne peuvent plus utiliser pour créer des entreprises, investir, consommer, épargner. Ou en d’autres termes : mener leur vie comme bon leur semble.
Surtout, le progressisme a distillé l’idée selon laquelle les individus seraient incapables de diriger leur vie de façon responsable, qu’ils seraient incapable d’élever correctement leurs enfants, ou encore qu’ils seraient incapable de faire des choix complexes et déterminants. Dans les faits, cette idée s’est traduite par une déresponsabilisation croissante des citoyens, l’État s’assurant de prendre en charge tout ou partie de la vie privée : « Bougez, ne mangez pas trop gras, faites du sport », « Le jeu peut entraîner une dépendance », « Fumer tue », etc. Ce que le progressisme n’a pas vu venir, c’est qu’en prenant en charge la vie des individus, il a détérioré la qualité de ces individus. Des individus moins libres de faire leurs propres choix donnent des citoyens moins responsables et moins éclairés. C’est un cercle vicieux qui permet ensuite de dire « Voyez, ces personnes ne seront jamais capables de choisir ce qui est bon pour elles, mieux vaut que l’État s’en charge. »
Dans un article paru sur Le Bulletin d’Amérique, Damien Theillier rappelait ce discours célèbre prononcé en 1964 par Reagan pendant la campagne de Barry Goldwater :
« Soit nous croyons en notre capacité d’auto-gouvernement, soit nous abandonnons la révolution américaine et nous admettons qu’une élite intellectuelle peut, dans une capitale lointaine, planifier notre vie pour nous mieux que nous-mêmes. […] Les Pères Fondateurs savaient qu’un gouvernement ne peut pas contrôler l’économie sans contrôler les gens. Et ils savaient que lorsqu’un gouvernement se propose de faire cela, il doit user de la force et de la coercition pour arriver à ses fins. Donc nous sommes arrivés au temps du choix. »
Où va la France ?
En France, point de Ronald Reagan hélas pour rappeler ces principes essentiels aux Français. Et l’on célèbre toujours les derniers lambeaux du communisme agonisant, à grand renfort de spectacles — son et lumière — que nous offrent chaque année la fête de l’Huma, les grèves en cascade, et les chants de l’Internationale tous poings levés. En dépit de l’espoir très fort suscité par son élection, Nicolas Sarkozy n’a pas été le Ronald Reagan dont la France aurait besoin. 35h, régimes spéciaux, retraites, réforme du statut des fonctionnaires, les choses n’ont hélas pas beaucoup changé depuis son accession au pouvoir. Et la France continue à perdre du terrain face à ses concurrents. Ronald Reagan n’a pas rencontré que des succès, il a échoué parfois. Son bilan est toujours sujet aux critiques, et c’est tant mieux. Toutefois, il a laissé derrière lui une leçon que la France serait bien inspirée de reprendre à son compte, dans la droite ligne des écrits de Frédéric Bastiat :
« Au cours des décennies passées, on a parlé de la nécessité de réduire les dépenses gouvernementales aux fins de pouvoir ensuite diminuer le fardeau fiscal. […] Mais on a toujours dit que les impôts ne pouvaient être diminués tant que les dépenses n’étaient pas réduites. Nous pouvons reprocher à nos enfants de trop dépenser, et ce jusqu’à en avoir une extinction de voix : nous pouvons aussi remédier à la situation en diminuant la quantité d’argent que nous leur donnons. Il est temps de comprendre que nous sommes arrivés à un tournant. Nous sommes face à une calamité économique de proportions incroyables, et le vieux traitement habituel ne peut plus nous sauver. […] Nous devons accroître la productivité, et cela veut dire remettre les Américains au travail. »
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À l’occasion du centième anniversaire de Ronald Reagan, Le Bulletin d’Amérique a traduit plusieurs articles d’auteurs et analystes américains :
Ronald Reagan et la promotion de la Démocratie, par Peter Wehner (Ethics and Public Policy Center)
Jean-Paul II et Ronald Reagan, par George Weigel (Théologien, Ethics and Public Policy Center)
Déficit et politique fiscale sous Ronald Reagan, par Chris Edwards (Economiste, CATO Institute)
Celui-ci a été publié il y a quelques semaines :
Il y a trente ans, Ronald Reagan, par Damien Theillier (Philosophe, Président de l’Institut Coppet)