La littérature africaine et la question de l'altérité

Par Benard

La littérature africaine et la question de l’altérité
Abdoulaye Imorou
Bernard Mouralis, L’Illusion de l’altérité. Études de littérature africaine, Paris : Honoré Champion, coll. « Bibliothèque de littérature générale et comparée », 2007, 763 p., EAN 9782745314833.

Bernard Mouralis réunit dans L’Illusion de l’altérité une sélection de ses articles, recensions d’ouvrages et communications dont les plus anciens datent de la fin des années 1960 et les plus récents du milieu des années 2000. Ce qui frappe pourtant dans cet ouvrage qui compte une quarantaine de textes portant sur des problématiques très variées1, c’est son unité. Celle-ci vient de ce que chacun des essais est animé du souci de considérer la littérature africaine comme faisant partie de la littérature générale et les sociétés africaines comme étant semblables à toutes les autres. À cet égard, le titre, L’Illusion de l’altérité, ne pouvait mieux traduire le projet scientifique de l’auteur qui consiste à montrer combien le paradigme de l’altérité qui informe, le plus souvent, le discours sur l’Afrique ne repose sur aucune réalité et à donner à ce continent le statut d’un objet d’étude à part entière. Dans cette optique, B. Mouralis attire l’attention sur le fait que le critère de l’altérité est, à bien des égards, contredit par les faits. Il démontre également, en mobilisant notamment les notions d’intertextualité et d’intersection que la littérature africaine elle-même est loin d’être aussi spécifique qu’elle ne le parait. L’ouvrage invite ainsi à un renouvellement de la réception des textes sur l’Afrique, l’Université devant, sur ce point, jouer un rôle de premier plan.

L’Afrique et le paradigme de l’altérité

Il apparaît que la notion d’altérité, telle qu’elle est appliquée à l’Afrique, prend toute sa dimension lorsque la politique coloniale valide, d’emblée, l’idée d’une différence radicale des sociétés africaines par rapport aux sociétés occidentales. Cette position va avoir un certain nombre de conséquences.

Sur le plan politique, elle va biaiser les modalités de la rencontre coloniale puisque celle-ci va être vécue et pensée non pas comme la rencontre de deux parties capables de traiter d’égale à égale, mais comme celle de deux cultures que tout oppose. Cette logique conduit à des violences non seulement physiques mais encore symboliques dans la mesure où le colonisé constate, atterré, que le colon refuse de voir qu’ils partagent les mêmes valeurs, la même humanité. La lecture que B. Mouralis donne, s’appuyant sur Le Pauvre Christ de Bomba2, de l’action missionnaire est significative à cet égard. Comme le rappelle Zacharie, un des personnages du roman, les principes religieux des Africains étaient, en dernière analyse, proches des principes chrétiens :

“Vous vous êtes mis à leur parler de Dieu, de l’âme, de la vie éternelle, etc. Est-ce que vous imaginez qu’ils ne connaissaient pas déjà tout cela avant, bien avant votre arrivée ?” (p. 410).

De ce point de vue, la souffrance du converti ne résulte pas d’un sentiment d’aliénation, conséquence de ce qu’on lui impose une religion étrangère. Celui-ci « éprouve le sentiment douloureux que le missionnaire ne reconnaît pas ce que les Africains partagent avec les Européens sur le plan religieux3 » (p. 410). À un autre niveau, la politique coloniale prend prétexte de ce que la métropole et la colonie représenteraient des cultures sans valeurs communes pour conclure que les lois et les principes en vigueur dans l’une ne sauraient être appliqués dans l’autre. C’est ainsi que les idéaux républicains ne seront pas transposés dans les colonies. B. Mouralis s’oppose, à ce sujet, à la thèse d’une République colonialiste par nature que défendent Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès4. En ce qui le concerne, il n’est pas tout à fait justifié de dire, comme ces auteurs le font, que l’arbitraire qui prévaut dans les colonies est le produit même de la République. Il résulte, justement, de ce que les valeurs républicaines sont ignorées :

“La République n’est pas véritablement la République si elle s’accommode, dans une partie des territoires où elle exerce sa souveraineté, de pratiques et de lois en opposition complète avec les principes de justice et d’égalité qu’elle proclame et par lesquels elle entend se définir.” (p. 163)

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