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Ruines circulaires, 5 : Zouc, une femme simple par Maryline Desbiolles

Par Marcalpozzo

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Qui était donc cette « femme massive, tout en noir, sans maquillage, sans mèche affriolante, les cheveux tirés et la robe noire comme une paysanne » ? C’était Zouc. Quatre lettres. Un visage. Une personnalité. Un show. Une stature.

Maryline Desbiolles nous conte ce qu’elle doit à cette femme de spectacle, de son vrai nom Isabelle von Allmen, artiste suisse, née en 1950 dans le canton de Berne. « Le nom, par quel bout le prendre, le grand Z, le petit c ? Le Z de Zorro, Zouc et Zorro portent des habits noirs, un Zorro qui serait non seulement Don Diego mais aussi Bernardo, le valet sourd-muet, cette manière de hausser le sourcil, d’écarquiller les yeux, et le sergent Garcia. » La figure de Zouc hante l’auteur, au point de se confondre avec les héros de son enfance, les personnages mythiques et légendaires, cinématographiques. « Etre toujours soi-même et jamais soi-même ». C’est ainsi qu’elle s’est construite, enfin, je veux dire, c’est par Zouc qu’elle trouva une première identité, le désir mimétique comme l’appelait brillamment René Girard. Zouc, modèle d’admiration, Maryline Desbiolles ne cherche pas à entrer en concurrence, mais pourtant, elle ne va jamais plus la quitter, elle va structurer sa personnalité, elle va susciter une émulation, elle va être prise comme modèle (ou l’un des modèles). Et tout ça, parce que « Zouc n’est pas Zouc ».

D’où la figure obsédante qui va se mêler progressivement à l’histoire familiale. Depuis Primo Maryline Desbiolles a pris l’habitude de décrire les figures de sa propre histoire, ces personnages ordinaires, en apparences, qui ont marqué sa trajectoire, et coloré son petit monde. Parmi ses récents récits, que l’on peut qualifier de « romanquête », on connaît déjà bien la grand-mère maternelle, ses cuisines, son histoire mêlée à l’Italie. A présent, Maryline Desbiolles, tournée vers son père, explore ses origines savoyardes, son grand-père paternel.

Dans ce maelström de souvenirs, c’est l’enfance niçoise, les camarades de classe, les rues de Nice, un air nous venant des années 70, mais également la campagne où l’on y passe les vacances, les odeurs fortes, le lapin que l’on saigne, toute la part savoyarde qui marqua durablement l’esprit de l’auteur. Elle traverse ainsi toutes ses années d’enfance et d’adolescence sans que, jamais, la présence imposante de cette humoriste suisse ne la quitte vraiment. Zouc, « cette femme massive et tout en noir », a l’accent savoyard, comme la famille savoyarde « et bien que mon père et ma mère aient gardé un peu l’accent, surtout ma mère, la moins savoyarde des deux, née de parents italiens, immigrés depuis peu à sa naissance. »

Zouc lui apparait la majeure partie du temps dans le téléviseur. Celui des années 70. Celui en noir et blanc. Excepté une fois, à Nice, au Théâtre du Casino, depuis disparu. C’est probablement là que se fera la vraie rencontre, la rencontre physique, le moment ultime où Zouc sortira du téléviseur pour se mouvoir devant les yeux de l’auteur, à peine sortie de l’adolescence qui ainsi, « recevra » Zouc: « déplacements du corps, scène, lumière, gros yeux, paroles, mimiques ». Cette femme faisait rire. Faire rire. Déjà qu’on ne le pardonne pas aux hommes. Alors une femme ! Mais le « rire de Zouc est baigné de désespoir ». Tout comme les romans de Maryline Desbiolles qui, depuis son premier roman, placent des personnages, souvent des gens qui mènent une vie en marge de la société, dans des situations-limites. Avec les personnages de Maryline Desbiolles, on fait souvent l’expérience de la solitude, de l’étrangeté, du âpre goût de la nuit. Entre une difficile liberté, le mal-être existentiel, la révolte métaphysique, l’œuvre de Desbiolles s’est jusqu’ici déployée pour répéter les notions de frontière, d’exil, d’errance, de perdition, de solitude. Etonnant alors de l’entendre demander à l’un de ses lecteurs s’il a ri en la lisant : « il croit que je plaisante, il élude la question, il parle d’autres qualités, des qualités nobles, je suis un peu déçue. »

Maryline Desbiolles aimerait faire rire aux éclats avec une phrase dont la forme grammaticale s’y prêterait ; Zouc a longtemps fait la profession d’humoriste. Et pourtant, toutes deux se rejoignent sur un point : elles ne sont pas drôles. Elles ne sont pas drôles au sens où, ce qu’elles évoquent est le tragique de toute destinée. Lorsque Zouc se met dans la lumière, « la lumière, elle l’avale, elle nous conduit dans sa nuit, et pénétrant dans sa nuit nous savons qu’elle nous est familière ». Zouc est cet oiseau noir qui, par le rire, nous tend un miroir de notre humaine condition. Elle est une femme drôle, et son image inversée est celle d’une femme simple. Et c’est dans le fait d’être simplement femme qu’on voit la faute. Certes, elle a vêtu les habits du comique, mais c’était pour mieux s’armer contre la fronde. Car, ce que l’on ne lui pardonnera probablement jamais, c’est d’avoir été cette ligne de crête où luttent sans cesse les forces tragiques de l’existence. « Zouc est un étourneau et je crois l’avoir entendu battre des ailes, très doucement réunir ses ailes comme le plus tendre des porte-voix, et je crois avoir senti contre moi le chuchotement des plumes. »

(Etabli à partir de Maryline Desbiolles, Une femme drôle, Coll. « Figures libres », Editions de l’Olivier, 2010.)
(Paru dans Le Magazine des Livres n°28, jan-fev 2011)


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