Ce n’est pas un secret, depuis plusieurs années Clint Eastwood est obsédé par la mort. Après s’être intéressé à la vieillesse (Space Cowboys, Créance de Sang), au besoin de passer le relais à l’approche de la fin (Million Dollar Baby, Gran Torino) et avoir même mis en scène sa propre mort (Gran Torino toujours), il était tout à fait logique qu’il finisse par s’interroger sur ce qui se passe après la mort physique. Pour cela, il dresse les portraits croisés de trois personnages en quête de réponses. Il y a tout d’abord Marie (Cécile De France), une journaliste française qui a survécu de justesse à un tsunami, non sans avoir vécu une expérience de mort imminente. Durablement marquée, elle cherche à comprendre pourquoi il existe une sorte de chape de plomb sur les témoignages des personnes ayant eu des expériences similaires. Il y a ensuite Marcus (Frankie et George McLaren), un jeune garçon londonien qui n’arrive pas à se remettre de la mort accidentelle de son frère jumeau, Jason. Traumatisé, il cherche à contacter son frère défunt dans l’au-delà. Et enfin, il y a George, un médium fatigué qui tente de vivre une vie normale loin des requêtes incessantes des personnes connaissant son don.
Au-delà est donc un film plutôt ambitieux, d’une part à cause du sujet abordé, qui peut facilement prêter à controverse, mais aussi de part le format adopté par Eastwood, celui du film à sketches (même si les trois histoires finissent par se rejoindre). Peut-être était-ce pour une fois trop pour le réalisateur, car Au-delà n’est pas sans défauts malheureusement. Le premier problème, c’est que l’histoire mettant en scène Cécile de France est très loin d’être convaincante. On peine à s’attacher au personnage de Marie et à sa quête, principalement parce que tout arrive beaucoup trop vite. Pour une fois, le réalisateur peine à faire ressentir au spectateur le cheminement intérieur du personnage, alors que c’est habituellement l’une de ses grandes forces. Peut-être est-ce dû au fait qu’Eastwood a tourné ce segment en langue française, ou parce que malgré toute sa bonne volonté, Cécile de France n’arrive pas à attirer la sympathie. On a l’impression qu’elle part en guerre contre un ennemi qui n’est pas vraiment là, que suite à son expérience, elle devient une fanatique incapable d’accepter un autre point de vue que le sien. Le résultat, c’est qu’on s’ennuie ferme lors des scènes s’intéressant à cette partie de l’histoire. Le seul moment réussi de ce segment est la scène du tsunami en début de film, qui épate par sa violence et sa maestria. En une scène tout simplement hallucinante, Eastwood prouve qu’en termes de mise en scène pure il peut toujours en remontrer à la jeune génération.
Les deux autres segments sont quant à eux beaucoup plus réussis, principalement en termes d’émotions générées. Si l’histoire du jeune garçon londonien est très touchante et comporte encore une fois quelques passages d’une maitrise rare (la scène du métro, à la fois touchante et surprenante), c’est surtout le segment mettant en scène le médium qui s’avère le plus passionnant. Car si Matt Damon était très clairement le maillon faible d’Invictus, dans lequel on le sentait peu à l’aise, il est ici définitivement à sa place et fait preuve d’une sensibilité et d’une finesse de jeu qu’on ne lui connaissait pas. L’acteur est parfait dans la peau de ce médium fuyant les projecteurs et désespéré d’avoir enfin une relation normale avec les gens qui l’entourent, plutôt que de devoir les aider à communiquer avec leurs proches disparus. Un personnage complexe, de prime abord égoïste, mais dont le calvaire sera petit à petit dévoilé. On sent Eastwood beaucoup plus inspiré par cette histoire, et il emballe ici quelques scènes qui comptent certainement parmi les meilleures de sa filmographie. On retiendra particulièrement un beau début d’histoire d’amour entre Damon et Bryce Dallas Howard lors d’une dégustation les yeux bandés, ainsi que la très belle et très triste scène lors de laquelle George accepte de lui faire profiter de son don tout en sachant qu’il signe ainsi la fin de leur relation naissante.
Cependant, le film peine tout de même souvent à impliquer émotionnellement le spectateur dans les thématiques abordées, bien que celles-ci soient fondamentales. Peut-être justement parce que ce sont des thématiques universelles mais en même temps très personnelles. On sent que le réalisateur tente de pousser le spectateur à réfléchir sur l’au-delà et à s’ouvrir à de nouvelles hypothèses, mais le personnage de Cécile de France, principal vecteur de cette thématique, n’est définitivement pas le bon vaisseau. Trop extrémiste, trop rentre-dedans, elle agace plus qu’elle n’émeut. Par contre, là où Eastwood réussit son pari, c’est dans la réponse détournée qu’il apporte à son interrogation de départ : peu importe ce qu’il y a après, ce qui compte c’est le maintenant, et ce questionnement n’est finalement que la manifestation du besoin vital de connecter et partager avec d’autres êtres humains.
Il est donc difficile de ne pas considérer Au-delà comme un ratage dans la carrière du réalisateur. Mais à l’instar du Lovely Bones de Peter Jackson, traitant des mêmes thématiques, c’est un ratage tout à fait fascinant, comportant autant de scènes agaçantes que de purs éclairs de génie. La différence, c’est que le film d’Eastwood est probablement plus attachant et restera dans les esprits plus longtemps malgré ses défauts.
Note : 6/10
USA, 2011
Réalisation: Clint Eastwood
Scénario: Peter Morgan
Avec: Matt Damon, Cécile de France, Frankie McLaren, George McLaren, Bryce Dallas Howard, Thierry Neuvic