![Un bouleversant triptyque : les Sonates opus 109, 110 & 111 de Beethoven par Alexei Lubimov georg friedrich kersting homme lisant lueur lampe](http://media.paperblog.fr/i/412/4129879/bouleversant-triptyque-sonates-opus-109-110-1-L-O6edsh.jpeg)
Georg Friedrich Kersting (Güstrow, 1785-Meissen, 1847),
Homme lisant à la lueur de la lampe, 1814.
Huile sur toile, 47,5 x 37 cm,
Winterthur, Fondation Oskar Reinhart.
Il y a tout juste un an, Alexei Lubimov opérait un magnifique retour discographique avec un splendide enregistrement consacré aux Impromptus de Franz Schubert que j’avais salué ici même. Zig-Zag Territoires nous offre aujourd’hui sa vision des trois dernières sonates pour piano de Ludwig van Beethoven, captée dans la continuité des sessions du disque précédent, cette fois-ci sur un pianoforte viennois d’Alois Graff datant de 1828.
La genèse de ces trois œuvres, conçues comme un ensemble cohérent, s’échelonne sur un temps plus long que celui que le
compositeur avait originellement prévu puisqu’il songeait en avoir terminé avec elles en seulement quelques mois. L’Opus 109 a été écrit entre le printemps et décembre 1820, l’Opus
110 de la fin de l’été à la fin décembre 1821, avec une révision du Finale et du second mouvement au printemps 1822, tandis que la rédaction de l’Opus 111 s’est étalée de
l’automne 1821 au début de 1822, avec une nouvelle version du dernier mouvement en avril 1822. Contemporaines de la Missa Solemnis et des Variations Diabelli dont
l’élaboration était conduite de façon concomitante, les trois sonates se ressentent de l’imprégnation au contact de la musique ancienne effectuée par Beethoven dans le cadre du travail sur la
messe, avec, notamment, d’évidentes références à Bach (Fuga du 3e mouvement de l’Opus 110, Arietta au thème de Choral de l’Opus 111), mais aussi
de ses recherches formelles, avec le déplacement du centre de gravité de chacune des œuvres vers leur Finale, auquel les mouvements précédents ont de plus en plus tendance à servir
d’introduction (ce qui se retrouvera dans la 9e Symphonie), et une propension très nette à jouer avec les fluctuations du tempo pour créer une musique visant à échapper de
plus en plus au temps qui l’engendre tout en restant ancrée dans une instantanéité débordante de surprises, une manière conjuguant donc à la fois vigueur et tendance à l’immobilité.
L’interprétation qu’offre Alexei Lubimov (photo ci-dessous) de cet ultime triptyque beethovenien de sonates pour piano est
tout simplement bouleversante. D’une hauteur de vue et d’une humanité proprement stupéfiantes, cette lecture a l’intelligence de ne pas se limiter à la brillante démonstration d’une impeccable
technique digitale mise au service des deux ou trois « grandes idées » communes à la majorité des interprètes concernant le dernier Beethoven, mais bien de rendre palpable le
cheminement intérieur d’un homme qui exprime ses espoirs et ses doutes au travers d’une forme musicale dont il est en train, sous nos yeux, de bouleverser les critères traditionnels. Au cours
de cet itinéraire à la fois charnel et spirituel, Lubimov, s’il sait jouer de mille nuances en s’appuyant notamment sur les qualités (sonorités boisées et déliées) et les limites (légères
inégalités des registres) de l’instrument qu’il utilise, remarquablement mises en valeur par une prise de son transparente, ne surjoue jamais : il ne cherche à donner ni dans le
grandiloquent, ni dans le sublime, ni dans le torturé, ni dans la modestie plus ou moins feinte.
Alexei Lubimov, pianoforte Alois Graff, 1828
1 CD [durée totale : 66’03”] Zig-Zag Territoires ZZT110103. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Sonate pour piano en mi majeur, opus 109 :
[I] Vivace, ma non troppo – Adagio espressivo & [II] Prestissimo
2. Sonate pour piano en la bémol majeur, opus 110 :
[III, 2]. Fuga. Allegro ma non troppo
Illustrations complémentaires :
Johann Nepomuk Hoechle (Munich, 1790-Vienne, 1835), Vue de la chambre de Beethoven dans la Schwarzspanierhaus, 1827. Lavis sur papier, 25,8 x 21 cm, Vienne, Musée historique de la ville.
La photo d’Alexei Lubimov est tirée du site Internet de Tonkünstler.