L'équipe de France aux championnats du monde de handball 2011

"Ah, elle est belle cette photo, hein ? Pas comme ces feignasses de footballeurs" (phrase la plus entendue au café du Commerce depuis deux semaines)...
Bon, avant toute chose, j'aimerais dire à quel point le discours ambiant à propos des handballeurs me gonfle. Ceux qui ne s'intéressent au sport que lorsque les cocorico retentissent aimeraient faire de ces joueurs magnifiques et vertueux les nouveaux rugbymen, en lieu et place des rugbymen.
En bref, le rugby commencerait à subir les dérives du football. Finies les valeurs de gentlemen, finis les braves guerriers de l'Ovalie... L'argent pourrit tout, ma p'tite dame... S'ils se font fait plier par les Australiens au mois de novembre, c'est qu'ils n'ont plus faim...
Et tous ensemble de hurler avec la meute imbécile : "TROP PAYES !!!"... Preuve s'il en est que notre brave nation est une nation de footix prompte à bruler ce qu'elle a aimé, et ce sans prendre le recul nécessaire... Avant de retourner dans la rue avec les drapeaux à la con et les chants débiles quand la victoire repointe le bout de son nez.
Ce ne serait pas rendre service à cette magnifique équipe que de les comparer avec les autres sports collectifs. Leur mérite est immense, mais faire de sportifs des modèles à suivre est toujours terriblement casse-gueule.
Après les JO 2008, l'enchainement CM-CE contre les Croates en 2009 et 2010, la France remettait en jeu la première de ces couronnes lors des championnats du monde en Suède. Et franchement, j'étais relativement inquiet avant le début de cette compétition...
D'une part, l'absence de deux piliers de la sélection, les arrières Guillaume Gille (frère de Bertrand), et surtout de l'explosif Daniel Narcisse, tous deux membres de l'équipe depuis une bonne dizaine d'années... De l'autre, le tournoi de Paris le weekend précédant la compétition avait été cafouilleux : les Bleus avaient balbutié leur hand face aux talentueux mais limités Argentins, avant de remporter une courte victoire face à leurs meilleurs ennemis, les Croates.

Nikola Karabatic

Les motifs pour se rassurer étaient toutefois nombreux : l'ossature de l'équipe demeure solide avec le capitaine Jérome Fernandez, le gardien Thierry Omeyer, le patron Didier Dinart, le génie Nikola Karabatic, le grognard Bertrand Gille, le virevoltant Mickael Guigou, et le fantastique-fantasque Luc Abalo ; et l'état d'esprit ne semble pas être dissous dans les victoires...
Le reste de l'escouade est constituée par Daouda Karaboué (l'éternel second d'Omeyer), les arrières Bertrand Roine, William Accambray (dont on attend beaucoup depuis son explosion avec Montpellier), Franck Junillon, Sebastien Bosquet (qui sera le grand malchanceux de la compétition) et le très prometteur Xavier Barachet ; le pivot Cedric Sorhaindo ; ainsi que les ailiers Guillaume Joli (spécialiste des jets de 7 mètres), Arnaud Bingo et Samuel Honrubia.
Le tout coaché par le truculent et ultra-compétent Claude Onesta.

Jérome Fernandez

La poule des Bleus pour ce premier tour prévoit une mise en route progressive : les amuses-gueules pour commencer : Tunisie, Egypte, Bahrein ; avant un plat de résistance plus corsé avec les Allemands et les Espagnols. Ironie de l'histoire : le match contre la Tunisie se déroule le jour où Ben Ali quitte le pouvoir... D'où une certaine absence des joueurs tunisiens qui avaient autre chose dans leurs esprits... Victoire aisée 32-19 pour des Français qui se mettent en place petit à petit.
Le scénario se répète contre l'Egypte et le Bahrein, victoires sans émotion, et l'occasion pour certaines doublures de se mettre en valeur comme Guillaume Joli, Daouda Karaboué et Arnaud Bingo contre le Bahrein... Mais un coup dur touche l'équipe contre le Bahrein : l'arrière droit Sebastien Bosquet se déchire la cheville tout à fait bêtement...
Une pression supplémentaire pour le très jeune Xavier Barachet qui partageait le poste avec lui, et qui va devoir fournir double ration...
L'Allemagne arrive... Leur championnat est le meilleur au monde, de nombreux joueurs français y évoluent (Gille, Omeyer, Fernandez...) ou y'ont évolué (Karabatic), le souvenir de l'arnaque de la demi-finale de 2007 est toujours présent dans les esprits. Bref, un premier test d'envergure !
Sauf que... Les Français coupent court à tout suspense en laminant impitoyablement des Allemands qui n'ont plus que leur vice et leur méchanceté pour tenter de cabosser les joueurs français (en particulier le fameux Roguisch, ordure de première). 30-23, et une première démonstration de force.

Le warrior ultime : Bertrand Gille

Les Espagnols vont livrer quant à eux une résistance remarquable et enthousiasmante. Après une première mi-temps maitrisée et une 1ère motié de seconde mi-temps exemplaire (Barachet et Karabatic font parler la poudre !), les Français vont se faire rattraper une avance de 7 buts en 1/4 d'heure !
Les excellents Enterrios et Rocas font planer le spectre d'une deuxième place du groupe pour les Français... Après un final à suspense, les deux équipes se quittent sur un nul 28 partout.
Les Français attaquent la deuxième phase en première position, à égalité avec les Espagnols. L'Islande, la Norvège et la Hongrie rejoignent les 3 premiers du groupe A, soit France, Espagne et Allemagne (qui ne se rencontreront pas au cours de cette phase !
Les résultats entre ces équipes lors de la première phase sont conservés). Ce qui est assez chanceux, puisque ce tableau est beaucoup moins corsé que celui de l'autre poule où vont batailler la Suède, la Croatie, la Pologne, la Serbie et le Danemark...
La Hongrie se fait dévorer toute crue, en dépit de l'expulsion de Karabatic. Les matchs contre la Norvège et l'Islande sont un peu plus accrochés : le scénario de l'Espagne semble se répéter : départ tonitruant, puis grosse fatigue après la 45e...
A l'arrivée, cela donne des victoires de 5 et 6 buts d'écart, mais on ne peut s'empêcher de penser que face à des adversaires plus costauds, cela risque de se payer cher !
Une petite frayeur : Barachet se fait mal contre les Norvégiens, mais sans gravité... Et Accambray se fait une place tout doucement avec ses grosses patates à 9-10 mètres...

Flying Luc Abalo

Les deux poules ont livré leur verdict : la Suède chez elle pour les Français, les Danois pour les Espagnols ! Et oui, grosse surprise : la Croatie s'est fait sortir par les Suèdois au terme d'un match ultra-spectaculaire qui a vu l'éclosion du jeune Du Rietz, futur arrière de grand talent, à n'en pas douter.
Le climat avant cette demi-finale est assez morose : Luc Abalo traîne son blues sur son aile droite, les ballons ne lui arrivent pas souvent...
Le schèma préférentiel des Bleus privilégie les bras de Fernandez, Karabatic, Accambray et Barachet (voire Roine). Il le fait savoir sans animosité, mais avec un rien de tristesse.
Abalo, ce joueur aux feintes à se disloquer les genoux, aux mouvements aussi imprévisibles que géniaux, est réduit à la portion congrue et à la défense...
Et en plus, les Suèdois font dans la provocation... Le pivot Magnus Jernemyr traite Omeyer de bâtard dans la presse suèdoise... Ambiance ! Et ça ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd puisque Onesta va montrer l'article à Omeyer, misant sur son esprit de revanche et son goût du sang. Enerver Omeyer n'était pas bien malin... Et les Suèdois vont s'en rendre compte.
Dans le sillage d'un Bertrand Gille de gala en attaque, et monstrueux en défense avec Dinart, les Français font fi de toute la pression : salle hostile, joueurs suèdois surexcités...
Une anecdote : après avoir inscrit un pénalty, le joueur suèdois en question se fout ouvertement de la gueule d'Omeyer. Sur l'action suivante, le même plouc se pointe face à Omeyer en contre-attaque, et celui-ci sort une parade d'extra-terrestre...
Alors, le suèdois veut retourner dans son camp la tête basse... Sauf qu'Omeyer ne l'entend pas ainsi et le suit jusqu'au milieu du terrain pour se foutre de lui... Parlez-moi de l'esprit de compétition ! Des vrais chiffoniers prêts à en découdre !
Mis à part Du Rietz, les Suèdois sont décevants, à l'image du génial gaucher Per Carlsen... La finale, enfin !

"Tu l'as bien niqué cet inculé ! hein mon Titi ?"

Onesta n'avait pas caché sa préférence pour le Danemark par rapport aux Espagnols... Les champions d'Europe 2008 semblent un peu essouflés, et moins fringants que les Espagnols. Mais on n'enchaine pas 9 victoires consécutives sans raison...
Et sous l'impulsion de leur star montante Mikkel Hansen et de leur gardien Landin, les Danois vont faire vivre l'enfer aux Français ! Omeyer semble être devenu humain, Karabatic doit maintenir le bateau à flot...
Dans une ambiance pro-danoise, le déroulement du match est insensé. La France croit tenir la victoire quand Gille se retrouve à 6 mètres pour une avance de +2 à 1.30 de la fin...
Mais Landin sort le tir à bout portant ! Et sur la dernière possesion, le même Gille prend deux minutes... Ultime coup-franc : le très très discret (jusque-là !) Spellerberg prend ses appuis et égalise dans une liesse indescriptible.
2 fois 5 minutes, avec Gille out pour les deux premières minutes, face à des Danois absolument déchainés... A ce moment du match, le sort semble en être jeté pour la France.
Mais dans l'intimité du vestiaire, Dinart et Fernandez vont haranguer les foules, les deux grognards présent en équipe de France depuis 1997 vont trouver les mots pour réconforter un Thierry Omeyer prostré et impuissant...
Et le miracle se produit... Omeyer redevient décisif à trois reprises sur des lancers de l'aile et de Hansen ! Fernandez, très effacé durant le temps réglementaire, inscrit deux buts cruciaux qui scellent le sort de la rencontre, Abalo réussit une interception hallucinante et lance les contre-attaques comme un furieux ! L'ultime but de Guigou pose la cerise sur le gâteau : 4e titre de champions du monde en 16 ans pour la France !
Karabatic est sacré meilleur joueur du tournoi, Omeyer et Gille font partie de l'équipe-type du tournoi. Mais au delà des récompenses individuelles, il faut saluer cet état d'esprit collectif et morts de faim... Ainsi que la révélation d'un déjà très grand joueur appelé à un futur radieux : Xavier Barachet.