où Babelio vous présente les premiers textes de son défi littéraire !

Par Samy20002000fr

Notre premier défi littéraire démarre sur les chapeaux de roues !! Lancé à la mi-janvier et encore ouvert jusqu’à la fin du mois de février, cet « atelier-création » autour du mot pourtant difficile de  » Borborygme » a permis de découvrir de nombreuses plumes parmi les membres de Babelio.

« La critique est un art » disait Oscar Wilde, et nous savions déjà que le site et le forum de Babelio regorgeaient d’artistes du verbe et de la rhétorique. Mais l’écriture d’un texte dans un autre cadre que celui de l’exégèse d’une oeuvre aimé est un exercice autrement périlleux… Les plus courageux et talentueux de nos membres allaient-ils se lancer têtes baissées dans ce défi ?

Les premières surprises vinrent dès le vote pour le thème qui fut l’objet d’une campagne acharnée entre les participants pour le choix du mot du mois! Les partisans de « Peluche » et de « Chocolat » s’associèrent pour mener une lutte sans merci au plus populaire d’entre tous, hélas sans succès. C’est bien le mot « Borborygme » qui remporta en effet  le suffrage aux grand désespoir de certains qui n’imaginaient pas devoir écrire sur un tel sujet !

Les premiers textes permirent cependant de lever tous les doutes. Dans l’ordre chronologique de leur apparition sur le forum, voici donc les textes proposés par nos membres autour du mot « borborygme ». Poésie, ethnologie, conte ou souvenirs, on trouve une vraie diversité dans l’approche du sujet. Une compilation de tous les textes est d’ailleurs  tout à fait envisageable alors si vous voulez vous aussi contribuer autour de ce mot et participer à cette expérience entre membres de Babelio , prenez votre plume et proposez votre texte avant la fin du mois de février dans notre forum . Après quoi un autre mot sera choisi !

Par LiliGalipette :
Le sort l’a voulu ! Voici donc que l’énigme,
Loin de trouver une réponse unanime,
Donne pour sujet l’infâme borborygme :
L’odieux son jette mes sens dans l’abîme.

Pugnace et hardie, je veux croire au sublime !
Le mot si honni bourdonne tel un stigme
Mais il n’est de maux que ne vainc soit phénigme
Soit trésors du dictionnaire de rimes.

Quand, aux neuf Muses, je veux payer ma dîme,
J’use et m’amuse du divin paradigme :
C’est l’aimable sonnet que toujours je grime.

Las ! J’en conviens, mon écot est minime.
Mais que faire du putride borborygme
Tout en gardant votre précieuse estime ? « 

Par steppe :

« Un royaume oublié des hommes, un roi, une reine… Rien d’autre pour troubler la quiétude des lieux que les incessants gargouillis stomacaux du Souverain… Ainsi, et depuis des siècles, la pérennité de la couronne soumise aux caprices incessants des intestins monarchiques…
Car voilà, que le Roi pète, éructe ou gargouille de travers, et soudain, l’équilibre est menacé. Qu’il tarde à évacuer l’abondante production de son usine à gaz, et son humeur devient assez nauséabonde pour anéantir toute joie de vivre chez ses sujets…. Car alors, il taxe, impose, charge et demande tribut au plus pauvre des paysans. Ruine vassaux et chevaliers, sans distinction aucune de rang ni de fortune.

Partout ailleurs, médecins, chirurgiens et rebouteux de toutes sortes trouvent remède à l’inconfort intestinal du pouvoir.Ici, dans ce royaume que nous visitons aujourd’hui, s’ouvrent chaque jour des écoles d’un genre particulier.Toutes rivalisant de prestige et de savoir faire dans la formation de leurs traducteurs de borborygmes.
Il en va de la sérénité du Royaume et de la tranquillité du peuple !

Les maîtres formateurs parcourent ainsi les campagnes à la recherche de futurs apprentis interprètes, reconnaissables dès leur naissance par une aptitude particulière à identifier d’instinct la nature de tel ou tel son provenant de nos intérieurs, et à révéler l’origine d’un problème digestif propre à modifier l’humeur….
Les meilleurs d’entre eux étant affectés à la maison Royale…

Nous retrouvons donc aujourd’hui Phonéo, issu de la prestigieuse Académie des Arts et Sons. Dès son plus jeune âge, il s’est illustré par une étonnante faculté à, et le plus justement possible, diagnostiquer les plus mystérieux spasmes, grondements ou échos caverneux de Son Altesse…

Mais aujourd’hui, c’est à un Phonéo bien perplexe que nous avons affaire. Son oreille collée contre l’imposante masse abdominale du souverain, en effet, ne détecte rien. Stupeur et doutes l’envahissent… Le Roi souffre, il le sait, et son humeur maussade ne va pas tarder à décider multiples dîmes et collectes supplémentaires pour ses pauvres sujets.
Alors, pourquoi ce silence ? Il scrute de son ouïe la plus fine, celle là même à l’origine de sa fameuse réputation et jusque là indéfectible. Hé bien quoi ? Pas un sifflement, pas un bourdonnement ni aucune incongruité sonore ne viennent donner indice sur la genèse des tourments digestifs du Roi….
Pourtant la matière est là, il le sait, désireuse de s’échapper des entrelacs sombres et visqueux de l’intimité suprême. Les ripailles et excès culinaires gargantuesques de Sa Toute Puissance ne peuvent être restés stériles…. L’abdomen est tendu, le visage du Roi grimace de douleur…. Il y a urgence et Phonéo le sait… Il pense un moment à consulter quelque confrère. Mais les plus talentueux parcourent à pied le pays, offrant leurs services aux pauvres. Gratuitement bien sûr comme l’ordonne leur appartenance à la caste des traducteurs de borborygmes. Et point le temps d’aller quérir l’un ou l’autre. Phonéo le sait, la solution se doit d’être rapide et efficace…

Ainsi, notre pauvre interprète se décide-t-il à outrepasser ses compétences et aller chercher manuellement l’origine de l’obstruction… Et non, cela ne le remplit pas d’aise!.. Et même, il songe à s’enfuir. Appréhendant son incursion, gantée certes, mais néanmoins peu ragoûtante dans les entrailles de Sa Majesté.
Et c’est le coeur lourd, voir au bord des lèvres, qu’il se met à la tâche, non sans avoir une dernière fois vérifié l’absence des précieux borborygmes…. espérant encore et toujours le miracle, le plus infime chuintement, la plus petite stridulation issus d’une reprise venteuse le délivrant de son calvaire…

Il part donc, résigné, à la recherche de l’obstacle responsable de l’occlusion, priant de toutes ses forces pour ne point avoir à aller trop loin sur la route humide et pestilentielle des intestins torturés de son Monarque.

Et le miracle se produit, là, juste après la porte d’entrée, ou de sortie selon le sens que l’on prend. Oui, là, trempé et miséreux, pourtant goguenard et fier de sa vengeance, Phonéo le détecte, l’attrape et réussit non sans mal à extraire l’objet de tous les tourments du Roi… Et c’est avec délectation qu’une fois l’occlusion levée, son oreille surprend la reprise timide au début, puis bientôt tonitruante des productions sonores tant attendues…

Une question toutefois reste en suspend…. Et l’éventualité d’un complot contre le Roi commence à poindre… Mais Phonéo ne s’y attarde pas. Aux enquêteurs royaux maintenant de jouer et de répondre à cette question :  » Mais qui donc a aidé Nounours à aller se fourrer là ? « ….. « 

Par Tchippy :

Chant viscéral

« La sueur qui coule le long du dos, impossible à essuyer, le long du nez et sur le ventre.
Les yeux clos. Le vertige, dû à la préparation physique contraignante du concert.
Le rideau noir baissé sur le devant de la scène sépare l’enceinte phonique du public, de la foule des fans et des curieux.

Il souffle. Profondément, par la bouche, en se bouchant le nez pour équilibrer les pressions de l’oreille interne. Tous font le même geste.
Et soudain, le premier accord. La seule femme du groupe, pourvue d’un exceptionnel soprano lance la première salve en même temps que s’ouvre le rideau.
Les projecteurs jouent avec le public, plusieurs centaines de personnes, avant de se focaliser sur les musiciens. Six hommes, de tous âges, accroupis autour d’une femme assise en tailleur.
Des tréfonds de ses entrailles montent de mélodieux grincements suraigus, bientôt rejoints par un homme, puis un autre, en canon.

Il se concentre.
Ses abdominaux se contractent, et dans un grand soulagement il évacue les premières notes de son œuvre, son morceau, celui qu’il a peaufiné pendant des années avant d’oser se produire et monter sa propre troupe. Sa puissance de résonance est telle qu’il surpasse les autres membres du groupe, son ventre gonflé se détend dans une envolée de gammes, libérant de mélodieux sons borborygmatiques.

L’harmonie est telle, qu’en transe, il ose même improviser devant le public, qui, en osmose avec le groupe, ne forme plus qu’une seule et même personne. Il les sent vibrer en même temps que le ténor grondement de ses entrailles, le balancement rythmé des bras de l’assistance ressemble à s’y méprendre à celui de son air interne.

Il pourrait continuer des heures, perdu dans sa musique, vibrant dans sa chair et dans l’air autour de lui, sur les lèvres de l’auditoire où les notes se reflètent.
Mais le final approche ; ses viscères, comme celles des autres membres du groupe, arrivent sur leurs dernières réserves d’air. Dans un dernier borborygme, il termine en solo, concentré pour extirper la moindre note de son ventre et ravir encore quelques instants magiques de communion avec tous ces inconnus pourtant si proches, et son groupe, ses indéfectibles amis et mélomanes qui représentent tant pour lui.

Les applaudissements sont sa récompense.
Il est chanteur, et chante avec ses tripes.
C’est sa fierté. »

Par Bibalice :

« Moi je n’ai d’amour véritable
Chacun peut être de ma table
Du riz, du rouge et du ragout
Pourvu que ça ait un peu de goût
-Et tant pis pour les borborygmes,
Les taches dans le cou, et sur les joues

J’ai mangé du pain d’tous les coins
De la barbaque jusqu’à plus faim
Saignant, à point ou bien cuit
Pourvu qu’ça remplisse mes circuits
-Et tant pis si mon ventre trime
Je le repose toute la nuit

La rime faible mais le ventre rond
J’attends encore mon saucisson
J’ferai un concert de tous les diables
Un peu d’épices et un peu d’ail
-Et tant pis pour la combustion
L’haleine fétide, le tour de taille »

Par Lune :

L’origine véritable du mot « Borborygme »

Chez les Borbos, femelles et hommes vivaient séparés.
L’odeur des uns augmentée de l’odeur des autres était à ce point nauséabonde qu’aucun couple ne se formait.
L’amour était un sentiment ignoré. Chaque groupe vivait en autarcie se retrouvant épisodiquement lorsque la nature, parcimonieuse, les laissait en paix.
Chez lers Barbarophoniques, une cacophonie submergeait rues, places et habitats. Tous se fuyaient tant le bruit les étourdissait. L’un tenant l’autre responsable de ces ultra-sons incompréhensibles, la morosité régnait en maître sur les habitants.
Un sage ermite vivait dans la forêt séparant les deux villages. La souffrance des Borbos et des Barbarophoniques troublait sa sérénité. Grande âme, l’ermite recherchait depuis des années la potion qui solutionnerait odeurs et sons.
Herbes, incantations, transes, rien n’y faisait. Borbos et Barbos poursuivaient leur chemin de douleurs, condamnés à vivre ou séparés ou éloignés.
-Diantre! pensa l’ermite, il serait bon de posséder un specimen de chaque village afin de les mieux étudier! Sitôt dit, sitôt fait. Lors d’une nuit sans lune, le sage s’empara d’un mâle borbo et d’une femelle barbo. Encagés, les deux protagonistes s’épiaient. La demoiselle ne semblait pas insensible au charme du Borbo ni trop dérangée par le parfum qu’il dégageait (il faut préciser que l’odeur d’un seul Borbo était supportable…)
Lui, troublé par ce premier regard féminin aimable et charmeur ne prêta aucune attention aux sons inarticulés qui sortaient de la jolie bouche. Il se mit à rire. L’ermite sursauta, comprit, ouvrit les cages et déclara : « Que la chair soit. »
Et elle fut. De cette rencontre naquit un petit qui n’était ni borbo ni barba. Le père riait, la mère riait, le bébé riait, l’ermite riait et donna à l’enfant le nom de son père auquel il ajouta le ri évocateur de tant de bonheur : Borbori.
Les années ont passé, la langue grecque fit son oeuvre. Du borbori tribal surgit le borborugmos qui se transforma chez nous en ce borborygme que nous connaissons tous, qui nous gêne parfois mais dont on rit souvent. »

Par lacroute :

« Mon déambulateur s’est couché sur sa quille. Je suis tombé sur le carrelage du palier, à deux pas du monte-charge. Celui qui charrie les lits du moyen au long séjour. Toujours pleins à l’aller, vides au retour.
Grosse gamelle donc. Pas de mal. Dommage… ! Et l’autre pouffe d’infirmière de m’aider à me relever ; de me reprocher de n’avoir, comme d’habitude, pas enfilé les talons des charentaises. Veux pas aussi que j’y mette des lacets de course, non ?

La vie ne m’intéresse plus. Et pourtant je voudrai lui survivre.
La Terre tourne désormais sans moi. Elle me laisse sur place, en rade, à marée basse. Le monde, la vie et moi, désormais, comme salopette et tee-shirt à un boa. Je n’ai plus l’age de rien, sinon celui de faire un beau cadavre. A 20 ans la vie s’ouvre sur cinq continents. A 80 elle se referme sur une résidence pour vieux, pompe-à-fric et pue-l’urine.

Coulent les jours..! S’approche la mort.

Trente ans sans toi, Eugénie, depuis ton décès. Regarde ce que je suis devenu. L’athlète de foire que tu as aimé s’est transformé en phasme squelettique et tremblotant poussant son déambulateur.

Carnet du Jour, avis de décès. Se compter; à qui tiendra le dernier. Blouse-Jaune-Gros-Nichons me les lit depuis que je fais semblant d’avoir perdu mes bésicles.. Belote et re-belote et dix de der, la mort attend avec un cent d’atout sur le tranchant de sa faux.

Petits pas qui trottinent. La Faux vise les mollets, cherche les tendons d’Achille. Gare à la chute. Col du fémur et bonjour la mort.

Ma mie, presque dans une autre vie, posait toujours après l’amour son oreille sur la peau de tambour de mon ventre nu, se plaisait à décrypter le langage joyeux des gargouillis, trouvait dans leurs gazouillis les mots d’amour que ma bouche n’a jamais pu lui dire. Je riais de la stupidité des aveux qu’elle me prêtait. Elle morte, ils n’eurent plus que moi à qui causer, se plaignaient de son absence en longs roulements sourds et rauques, me reprochaient de n’avoir jamais rien dit de mes sentiments.

Depuis l’épisode de la chute, je trempale, je déparle. Je lis que la fin approche dans la gentillesse du regard des soignants. Saletés d’hypocrites, oui. Ils font le pari de retourner, chacun, le sablier de ce qui me reste à vivre. Un mois, deux mois. Va savoir.
Et en écho ceux de la cave, les borborygmes, tiennent un autre langage, celui de leur victoire, celui de la vengeance. :
_Bientôt dans ta tombe, nous secouerons ta carcasse morte des lents bouillonnements de la sanie de ta chair putride.

Debout, les gargouillis sont à leur place : dans le bas de panse, la gravité les y tasse. Loin de cette tête, la mienne, qui n’entend plus leurs sombres prédictions. Un ventre comme une coque pansue de vieux rafiot, comme un culbuto que rien ne viendra renverser. Pas même la mort croche-patte la vie. Grabataire, l’horizontalité couche les borborygmes : le dernier râle comme un rot qui expulse l’âme.

Ainsi donc : debout, rester debout. Se coucher c’est mourir. Tirer la nique aux gargouillis.

Mais hors de ma chambre commencent les menaces. Trébucher sur un grain de poussière, m’envoler sur un courant d’air. Les couloirs deviennent des rames de métro. S’y engouffrent les infirmières-locomotives. S’accrocher à la rampe pour ne pas être emporté par le souffle sur leurs passages.

Plus rien ne compte que le dentier-glaçon dans le verre d’eau, les comprimés du lendemain dans le pilulier. Les compter, les recompter, ne pas se tromper. Compte à rebours. Et espérer monter sur le lit pour ne plus en descendre. La nuit tricote les souvenirs heureux des jours enfuis. Ceux que je voudrais emporter avant que la Gomme ne les efface.

Et les borborygmes là-bas, dans les replis du colon, annoncent l’orage qui menace. Ils me disent qu’Eugénie m’attend, la parole leste et les reproches véhéments. Ces mots, jamais prononcés seront toujours mon plus grand regret.

Passent les jours, baissent les bras et l’élan vital..!

La vie des autres s’agite loin de l’épave qu’est devenue mon lit. Il roule et tangue sur le carrelage de ma chambre. Je suis seul sur un radeau de la Méduse monté sur roulettes. La maison de retraite est mon Titanic personnel. Comment atteindre la corne de brume pendue à la potence du lit. Mes bras maigres et blancs comme des flèches de grues, ankylosées et rouillées, inertes et affaissées. L’alarme constituait il y a peu un message en bouteille quand mon corps réclamait la morphine. Son cri voguait sur les courants d’air le long des couloirs, flirtait avec les stéthoscopes pendus autour des cous, zigzaguait en longs serpentins sonores dans l’infirmerie.

Le personnel attend la fin d’un monde, le mien..
Les gargouillis survivront, retentiront dans la caverne creuse de mon corps mort. Et dans mon cercueil encore, jusqu’à ce que la dalle retombe. Dialogues d’outre-tombe. Chut, Eugénie me tance.

Mon corps n’est plus que bois flotté sur la houle du matelas à eau. On colmate ma coque de couches-culottes. On bouche ses écoutilles de péniflow. L’alèse n’est pas goudronnée, je vais me noyer. L’air sent l’iode de la Betadine sur mes escarres sacrées. Mon lit est devenu un trois mats d’arbres à perfusions… Ballotté sur les vagues blanches des draps, j’aperçois l’écueil du téléphone sur la table de nuit. Il me parait inaccessible. Loin, très loin, trop loin. A des années-lumière de la griffe de mes doigts arthritiques et tremblants d’un parkinson souverain. Ses grelottements comme les appels sourds d’une corne de brume d’un navire en péril. Alors que c’est moi qui suis en train de crever, vieille allumette charbonneuse, zigzagante et décharnée sur l’océan blanc de la literie.

Caecum et colon transverse se raclent la gorge, se gargarisent, la vie n’est pas un long tuyau tranquille.

La voûte céleste s’inonde brutalement d’une lumière blanche et crue. Soleil en ampoule de verre qui m’éblouit et me vrille la rétine. La chambre se remplit de lambeaux de brume qui sentent l’éther. S’y dessinent en lentes écharpes de blancs fantômes indistincts, apparaissant, disparaissant. Ils se penchent, occultent le Soleil, torchent la saignée de mes bras de boules de coton humide, avant que les becs acérés de goélands ne farfouillent dans mes veines. Poseidon me torche le cul et me lave la bite. La houle du matelas me berce, j’entends le flux et le reflux de sa pompe électrique, les cris aigus des mouettes curieusement bipèdes et en blouse blanche.

Gargouillis et borborygmes battent le tamtam au rythme de cette peur de la mort qui bat à mes carotides. Eugénie, c’est toi qui m’appelle, qui frappe si fort en morse à mon cou.. ?

Souques, moussaillon, souques ferme. La vie, la tienne, ce qu’il en reste, t’attend sur la grève, au-delà du bord du lit, sur la plage de carrelage froid libérée par la marée descendante. Les charentaises sur le rivage comme des bateaux bretons couchés sur la quille. Varechs blancs en moutons de poussière poussés par des Gulf Stream de courants d’air.

Au rythme des flashs lumineux qui inondent la voûte céleste, mon corps, tour à tour: papillon de jour, papillon de nuit épinglé sur la surface de l’eau. La Faux transperce le liège. Mes bras, ailes décharnées sur lesquelles courent les fines nervures de mon réseau veineux, battent entravés aux menottes qui les retiennent. Des hématomes violacés s’étendent autour des points de ponction, aux plis des coudes et des aines. Ils décorent mes ailes de couleurs à la Mort offertes. Eugénie, j’ai assez souffert, non, pour que tu me pardonnes ?

Que Dieu, enfin miséricordieux, tire la bonde dans mon ventre. Que roulent les rauques borborygmes dans le siphon qui s’ouvre sous moi. Ma vie comme un évier qui se vide.

Je voudrais que mon esprit se porte à la pointe de la potence, qu’il devienne vigie, découvre l’espace dégagé du Styx au-delà des murs blancs, cherche et trouve la silhouette sombre du Passeur. Une piécette pour qu’un monde finisse et qu’un autre commence. Que mes entrailles braillantes restent à quai et que seule mon âme nue soit de ce dernier voyage.

Eugénie, j’ai tant de choses à te dire. »

Par jibe52 :

« Ayant été tarabusté, pardon, sollicité, par un jeune homme d’ici, qui voulait voir ma contrib à ce défi avant la fin du mois, je suis allé lire ce que chacun a fait concernant ce délicat sujet du borborygme … Il est bien évident que la contrib de Monsieur Lacroute est la plus émouvante, poignante et, peut-être, éveillant chez vous des souvenirs, des images de grands-parents, aimés ou non, disparus ou non … J’en ai moi aussi … Mon grand-père assouppi devant son poste de radio, émettant des soupirs et des gargouillis, des bavements … Puis, ma grand-mère, duquel j’étais le préféré, me faisant du chou farci à la dinde qui, bien sûr, provoquait dans mes bas-fonds de drôles de sensations … Je levais une fesse de ma chaise pour évacuer discrètement une, puis deux, puis trois bulles de ces gaz que je croyais inodores … Ce en quoi je me trompais … Il me venait aussi après ce plat un rot, souvenir du bébé qui doit faire son rot ? Plus personne ne me tapote le dos pour que je fasse mon rot !

A présent, moins drôle, moins poétique, je me suis retrouvé un peu dans les descriptions d’un vieux à l’hosto par Monsieur Lacroute … C’était il y a deux ans … Plus que la déchéance physique, qui m’attaque déjà, c’est la baisse de mes capacités intellectuelles qui m’horrifie …

En attendant que j’éructe mes derniers borborygmes, je vous donne rendez-vous dans vingt ou trente ans »