C’était vendredi soir, dans une petite salle intimiste, « la salle des répétitions », située au 3° étage de la Coursive de La Rochelle, que cette « cancanière » attendait le spectateur... On se retrouvait environ 80 comme assis sur les marches au coin d’une cuisine, aux côtés de Mariette, la servante de la tapageuse et aristocratique Ariane, « Belle du seigneur » de Cohen.
20h30, on a envie de causer le vendredi soir... Et la loquace Mariette, seule en scène et en mal de compagnie, se met aussitôt à déballer tout ce qu’elle a sur le cœur, avec cet accent savoureux et cette langue pittoresque qui rappelle le franc-parler de la Françoise de Proust (laquelle a été incarnée dans le récent téléfilm à partir de A la Recherche du temps perdu par la même comédienne, Anne Danais). Le torchon sur l’épaule, Anne Danais, avec sa pointe d’accent charentais et sa silhouette de domestique flamande (sortie tout droit d’un tableau de Vermeer), incarne à merveille deux servantes qui ont leur mot à dire dans les deux grands romans du grand monde...
Le texte du « soliloque » est composé de trois extraits, trois « moments » qui permettent, même à ceux qui ne connaissent pas le pavé de 900 pages, de saisir l’essentiel. La maîtresse de Mariette est majestueuse, riche, elle s’ennuie chez elle et finit par prendre un amant : commence alors le jeu dangereux de la séduction. Cohen en profite alors pour disséquer avec cynisme et distance les pulsions et les non-dits du jeu de l’amour. Et Mariette trouve dans cette affaire, qui la choque et la fascine, de quoi occuper les moments creux du ménage et agrémenter les plis et les coutures...
« Pas de chichis » et pas de fioriture avec Mariette ! Tout de même, mon pauvre monsieur, ça ne se fait pas ! La bonne met son tablier, pose son petit chapeau, découpe une pomme, savoure son café, astique l’argenterie, hausse les épaules, laisse le silence, grimace, sourit, soupire, chante : « parlez-moi d’amour », « la vie en rose », « le cœur est un grelot sur la lourde chaine de la vie »... Et le spectateur reçoit la confidence, rentre dans le ménage, l’arrière-cuisine, écoute, comprend, acquiesce et a presque envie de plaisanter avec l’indiscrète.
Et parfois (et c’est peut-être cela la vraie magie du théâtre), à certains instants, au détour d’une expression, d’une mimique, d’un vieil air fredonné, il retrouve le souvenir enfoui d’une vieille silhouette, d’une arrière-grand-mère en bas gris, d’une grand-mère à principes, d’une voisine un peu bourrue et radoteuse, d’une vieille paysanne du marché, s’improvisant confidente un jour de chagrin...