Par ces temps où il est beaucoup question de révolution(s) et de militants, il est bon de retrouver quelqu’un qui fut à la fois un révolutionnaire, un militant mais aussi et surtout un poète.
Ces retrouvailles (ou cette découverte, si nous le connaissez pas), vous pouvez les faire en feuilletant un petit ouvrage intitulée « C’EST UN DUR METIER QUE L’EXIL – Anthologie poétique » du poète turc Nazim HIKMET, établie et présentée par un de ses compagnons de route et de lutte Charles DOBZYNSKI, qui l’a aidé à la traduction en français, publiée par les éditions LE TEMPS DES CERISES en 1999.
Né à Salonique en 1901 dans une famille aisée, cultivée et libérale, Nizam HIKMET est le plus grand poète turc du XXème siècle.
Son parcours politique et militant est marqué par son appartenance, dès les années 20, au parti communiste turc. Son engagement politique lui valu de passer une grande partie de sa vie en prison et la déchéance de sa nationalité turque.
Condamné à l’exil perpétuel, il parcourt le monde, sauf les USA qui ne lui ont jamais accordé de visa d’entrée, il a milité jusqu’à la fin de vie pour la paix et la non-prolifération des armes nucléaires.
Communiste mais pas stalinien, il a reçu en 1950 le Prix International de la Paix, qu’il partage, entre autres, avec le poète chilien Pablo NERUDA et le peintre espagnol Pablo PICASSO.
La production littéraire de Nizam HIKMET a cette particularité d’être très diverse (romans, récits, pièces de théâtre et surtout poésie). Elle fut longtemps interdite de diffusion en Turquie malgré son succès international, avant que le poète militant soit réhabilité par les autorités de son pays en 2009, soit près de 39 ans après son décès à Moscou.
Comment faire le choix de quelques vers dans l’œuvre de Nizam HIKMAT ?
Je vais juste ouvrir, au hasard, l’anthologie précitée et en piocher quelques uns, chacun né d’une inspiration différente :
ADIEU (1931), sur l’amitié entre les hommes
Nous nous reverrons, mes amis, nous nous reverrons
Nous sourirons ensemble au soleil
Nous nous battrons côte à côte. Ô mes amis
Mes frères de combat
Mes compagnons de travail
Adieu !
LE GÉANT AUX YEUX BLEUS (1935), sur l’amour déçu.
Le géant comprend maintenant
Que les amours de géant
Ne peuvent même pas être enterrées
Dans la maison aux chèvrefeuilles moirés.
VOYAGE A BARCELONE SUR LE BATEAU DE YOUSOUF L’INFORTUNE (1940), sur la liberté.
Nous avons vu à Barcelone dans l’aurore
La liberté se battre en chair et en os
Nous l’avons regardée les yeux en flammes
Et comme la peau brune et chaude d’une femme
De nos mains d’hommes affamés
Nous avons touché la Liberté.
RUBAÏ (quatrain) (1945), dans un genre particulier très prisé par les poètes perses.
Fini, dira un jour notre mère Nature
Fini de rire et de pleurer, mon enfant
Et ce sera de nouveau la vie immense
Qui ne voit pas, qui ne parle pas, qui ne pense pas.
POEME (1946), un texte d’une infinie tendresse .
La plus belle des mers
Est celle où l’on n’est pas encore allé.
Le plus beau des enfants
N’a pas encore grandi.
Les plus beaux jours
Les plus beaux de nos jours
On ne les a encore vécus.
Et ce que moi je voudrais te dire de plus beau
Je ne l’ai pas encore dit.
UNE HEURE DU MATIN (1951), sur les affres d’une arrestation nocturne d’un militant.
Il est une heure du matin
Nous n’avons pas éteint la lampe
Peut-être que dans un moment,
A l’aube, peut-être
Ma maison sera forcée
On m’arrêtera, on m’emmènera
Avec mes livres
Les flics de la police politique à mes côtés,
Je me retournerai et je regarderai
Ma femme restera sur le pas de la porte,
Et dans son ventre plein et lourd
Le bébé tournera et se retournera.
MES FRÈRES, sur l’amitié entre les peuples.
Mes frères
En dépit de mes cheveux blonds
Je suis asiatique
En dépit de mes yeux bleus je suis africain
Chez moi, là-bas, les arbres n’ont pas d’ombre à leur pied
Tout comme les vôtres, là-bas.
Chez moi, là-bas, le pain quotidien est dans la bouche du lion.
Et pour rester dans l’actualité qui bouleverse le monde arabe, il n’est pas inutile de rappeler ces vers inspirés par la chute du dictateur Staline.
Ses bottes on disparu de nos places
Son ombre de nos arbres
Ses moustaches de nos potages
Ses yeux de nos chambres
Et de nos poitrines est tombé
Le poids de tonne de bronze, de pierre, de plâtre et de papier mâché.
Je ne pourrais pas clore ce billet sans vous proposer dans son intégralité le poème FACE A LA PORTE EN FER et la lourde charge émotionnelle qu’il transmet :
Six femmes étaient là, face à la porte en fer.
L’une restait debout, cinq assises par terre.
Huit enfants étaient là, face à la porte en fer
Et leur bouche ignorait encore le sourire.
Six femmes étaient là, face à la porte en fer
Tristesse aux mains, pieds patients comme des pierres.
Huit enfants étaient là, face à la porte en fer
Et des regards de djins brillaient parmi les langes.
Six femmes étaient là, face à la porte en fer
Leurs cheveux avec soin noués comme des secrets.
Huit enfants étaient là, face à la porte en fer ;
l’un d’eux gardait croisées les paumes de ses mains.
Un gendarme était là, face à la porte en fer ;
Longue est la faction, la chaleur est d’enfer.
Un cheval était là, face à la porte en fer
Un pauvre canasson sur le point de pleurer
Un vieux chien était là, face à la porte en fer,
il avait le poil jaune et le museau très noir.
Il y avait dans les paniers des poivrons verts,
Du charbon dans les sacs, de l’ail dans les besaces.
Six femmes étaient là, face à la porte en fer ;
Cinq cents hommes de l’autre coté, nobles gens.
Mais si tu n’étais pas l’une de ces six femmes
Moi j’étais à coup sûr l’un parmi les cinq cents.
Alors, amis qui passez par cet espace, courrez à la recherche d’un recueil de poèmes de Nazim HIKMET ! Je vous garantis que vous ne le regretterez pas.