“Contrairement aux apologistes de l’à-quoi-bonisme, l’exemple tunisien nous rappelle l’efficacité de ce mode de revendication nommé manifestation massive et prolongée” – SebMusset
Le contact poisseux entre les “grandes démocraties” et les dictatures s’éclaire d’un jour nouveau après les révolutions (en cours) tunisiennes et égyptiennes. Symptomatique, le cas du ministre des affaires étrangères de la France, M. Alliot-Marie, pitoyable, se démenant dans l’inextricable cafouillage de sa fonction, de ses amitiés, mais surtout de son inconscience. Une inconscience quant aux rapports que les démocraties entretiennent avec ces pays. Il serait trop simple de vilipender la métallique ministre, M. Alliot-Marie, simplement représentative d’une tournure d’esprit vivace dans l’élite hexagonale. Découvrant avec stupeur la révolution, la foule, les peuples chez ceux réputés si sous-développés qu’on ne leur accordait qu’une existence virtuellement bestiale, loin des aspirations de l’homo democraticus du Nord.
Il est troublant de noter avec quelle circonspection les journalistes porte-voix des experts relaient avec méticulosité une analyse paternaliste des situations inédites de ce début d’année 2011. Tout en jargon diplomatique, crédibilité oblige, on glose sur la capacité, la possibilité de passer d’un pouvoir autoritaire ami à un autre pouvoir autoritaire qui le serait moins. Ce qui fait peur, ce n’est pas le pouvoir autoritaire, la dictature pour faire net, mais les accointances potentielles. Et même durant les mouvements révolutionnaires, les violences, les sacrifices, se pose la question lancinante de la pertinence d’une hypothétique libération. En substance, faut-il risquer la “démocratie” ou s’assurer d’une dictature. Changer et tenter pour mieux ou conserver ce que l’on a. Le chaos avec ses opportunités de progrès contre le conservatisme et ses certitudes.
C’est d’ailleurs sur ce principe que la France, l’Europe, le monde « libre » tolèrent les régimes pudiquement appelés autoritaires. Autoritaires et paternalistes, car garde-chiourmes de populations arriérées ou présentées comme telles. Gardiens d’un cheptel qu’il faut encadrer pour préserver la tranquillité alentour. Tantôt zone tampon anti immigration subsaharienne comme les pays du Maghreb, tantôt régulateurs des mouvements radicaux religieux comme en Égypte (en plus de représenter un enjeu géostratégique), tantôt vache à lait de matières stratégiques.
Les oligarchies du Nord ne savent plus parler de démocratie, n’ont plus rien à apprendre à ceux à qui durant des décennies ils ont récité la leçon, tout en laissant une situation d’oppression demeurer. Pour leur bien dit-on.
Et F. Fressoz du Monde croit en évoquant la “perte de boussole” où elle s’afflige “Quelle faute !” à propos de M.Alliot-Marie et de son époux P. Ollier (aussi ministre de la République), dédouaner le reste de la classe politique sur ses rapports avec les dictatures du Monde. Elle croit cacher la forêt des turpitudes avec une affaire de largesses entre dominants. Comme J.F. Copé, l’homme sans tabou ni langue de bois, qui ne trouve rien de mieux à opposer à la gauche que l’appartenance des partis de Ben Ali ou de H. Moubarak à l’Internationale socialiste. Comme si l’Internationale socialiste avait une quelconque utilité dans les affaires du Monde. Une rémanence de gauche inutile, mais bien utile dans la communication de crise. Car ce que pourrait reprocher J.F. Copé par exemple, ce sont les villégiatures incessantes, continues dans des dictatures, dans les riads par exemple ou l’oligarchie hexagonale se régénère. L’accueil en grande pompe de Hu-Jintao pour un gala à L’Élysée et autres M. Kadafi ou bien la présence le 14 juillet 2010 jour de la fête nationale (commémorant la Révolution française) d’une cohorte de dictateurs africains dans la tribune présidentielle. Il est préférable de concentrer les attentions sur des peccadilles. Une manière de penser qui justifie aussi la villégiature discount dans les dictatures, laissant penser aux citoyens de l’oligarchie (micro-oligarques de circonstances) qu’ils aident ses pays à sortir de l’ornière grâce aux devises. Or il semble qu’ils s’en sortent, non pas par la condescendance des ex ou néo colonisateurs pourvoyeurs de billets, mais par le courage de la révolution.
Ce que l’on nomme communément realpolitik n’est pas une politique des intérêts, mais celle du mensonge. N. Sarkozy en campagne en 2007 déclarait avec emphase “Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’Homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l’Homme partout où ils sont méconnus ou menacés et je les mettrai au service de la défense des droits des femmes”. Une politique destinée à vernir le blason national, des sornettes à usage domestique : Un auto-érotisme franchouillard.
Peur des réveils populaires, condescendances nationalistes, sentiment extrême de supériorité et d’impunité, la mediasphere politico-journalistique tourne en boucle sur une situation qu’elle sait dans le fond inextricable. Non pas les broutilles de M. Alliot-Marie et de son mari aux frais des dictateurs, mais les longues périodes de silences, de sympathie, de déclarations emphatiques favorables aux régimes iniques. Dans cette perspective résonnent les paroles de S. Allende « L’Histoire est à nous, et ce sont les peuples qui la font ». Et si justice de l’Histoire s’il y a, elle ne retiendra pas un sombre ministre monnayant ses sociabilités avec les régimes dictatoriaux, mais les braves, tel Mohamed Bouazizi.
Vogelsong – 5 février 2011 – Paris