Si l’on excepte quelques percées jusqu’à la Révolution et l’Empire, la « plongée dans l’histoire » se concentre en fait sur les trente dernières années, celles du cycle néo-libéral inauguré par l’élection de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, et qui volens nolens pousse bientôt un François Mitterrand marqué par l’effondrement de 1940 à voir dans l’Europe un au-delà pacifique de la nation, « un mythe de substitution au projet de transformation sociale qui l’avait porté au pouvoir ».
L’analyse du « Che » ne réjouira guère les gardiens du temple PS. Sans acrimonie, mais sans bienveillance dévote, le sénateur de Belfort dresse sinon un réquisitoire, du moins un bilan sévère de l’action de F. Mitterrand dès la « rupture libérale de 1983 », cette fuite dans l’abandon de la souveraineté au nom de l’Europe : de « L’Acte unique » en 1986 visant à déréglementer l’économie, jusqu’au traité de Maastricht de 1992, qui, nous ôtant la maîtrise de notre monnaie, célébrait « la victoire conjointe du marché et d’une démocratie post-nationale ». Parfois pointe la colère contre « toutes les Excellences socialistes » qui, ayant applaudi à cette dépossession, nous chantent aujourd’hui « leur geste antilibérale », contre un système « dont ils ont soutenu la mise en place ». Et M. Chèvenement de détailler les conséquences de ce « péché originel » : chômage, destruction du tissu industriel, délocalisations, brouillage des repères républicains, dépendance politique de la France aux Etats-Unis et à l’Allemagne.
Alors, finis Franciae ? Non, dit l’auteur, « le retour de la France au XXIe siècle est un projet raisonnable ». Les cent dernières pages du livre tentent d’ouvrir des issues dans l’impasse où notre pays, gauche et droite co-responsables, s’est laissé enfermer. « Après avoir décrit la manière dont la gauche française avait été piégée par son histoire, je veux montrer que désormais, le social-libéralisme ayant fait son temps, il existe pour la gauche, dans l’exigence républicaine, un chemin de régénération », et pour la France une voie de salut. La république, la nation , la citoyenneté, voilà la perspective salutaire pour une France, non pas frileuse et repliée, mais recentrée sur ses valeurs et son génie, dans l’intérêt même de l’Europe et du monde.
Quelques pistes précises ? Au plan européen, en finir avec des institutions « hors-sol », avec toute « surenchère fédéraliste » , avec « la boulimie technocratique » d’une Commission où la France ne dispose plus que d’une voix ; changer les règles de l’euro et le statut de la Banque centrale ; revenir à « l’Europe européenne des nations » fondé sur un partenariat franco-allemand rééquilibré. Au plan national : « refaire de la République une idée neuve », en restaurant les fondamentaux d’une école qui relance « l’ascenseur social » et fournisse de nouveau une armature civique et morale à la jeunesse déboussolée ; en recréant un service national de six mois, facteur de cohésion ; en rompant avec la dictature d’un « actionnariat rentier » pour fonder « un nouveau statut de l’entreprise » ; en priant les élites de cesser la repentance et de réaffirmer une fierté nationale seule capable d’inciter à s’assimiler les jeunes issus de l’immigration. Autour de ce corpus, pense M. Chevènement, un vaste rassemblement devrait être possible, non pas une fade « ouverture », mais un bel élan national qui prendrait le meilleur à gauche comme à droite, ce qu’avait su faire le général de Gaulle au sortir du gouffre.
Quel rôle se voit jouer dans un tel projet l’homme qui échoua à rassembler en 2002, et soutint Ségolène Royal en 2007 ? L’avenir proche le dira. En attendant, nul égotisme dans la présente contribution. Au déclin de l’âge -soixante et onze ans-, l’énarque fils d’instituteurs n’est jamais pris en flagrant délit de nostalgie intimiste. Acteur de ces décennies, il rappelle bien sûr quelques jalons d’un parcours politique cohérent : son rôle décisif à la tête du CERES pour appuyer François Mitterrand aux Congrès d’Epinay en 1971 et de Metz en 1979 ; son travail à la rédaction du Programme commun qui mène la gauche au pouvoir en 1981 ; son action successivement aux ministères de la Recherche, de l’Education nationale et de la Défense ; ses démissions pour désaccord de fond (le tournant libéral, la guerre d’Irak) et jusqu’à son départ du PS en 1993 par hostilité déclarée au traité de Maastricht.
Mais, en dépit de l’implication personnelle, M. Chevènement sait se maintenir à un haut niveau de rigueur. Il n’est pas homme à chercher « le buzz », ne cède jamais à la tentation de la formule passionnée, du trait d’ironie méchante, de l’hyperbole démagogique. La France est-elle finie ? est parfois à Qu’ils s’en aillent tous ! ce qu’un concert de Radio-France est à un tournoi de catch. Jean-Luc adore décocher des mandales , Jean-Pierre nous prie d’éteindre nos portables. C’est fait. Nous écoutons touchés sa petite musique. Sérénade ? Aubade ? Il fait si trouble à bord, suivant la belle métaphore conclusive : « Au carré des officiers, c’est la confusion ! Le moment est venu de redonner un cap au navire. Car, en définitive, le vaisseau France a encore plus d’honneur et d’allure que les bateaux pirates qui rôdent à l’horizon ! »