Les chemins de la liberté est l’adaptation d’un récit autobiographique du polonais Slawomir Rawicz, “A marche forcée” (1). L’histoire incroyable de l’auteur et de six de ses camarades ayant réussi à s’évader du goulag sibérien dans lequel les sbires de Staline les avaient emprisonnés puis à rejoindre l’Inde à pied, traversant entre autres le désert de Gobi et l’Himalaya !
Tellement incroyable que, dès sa parution en 1956, le livre a fait l’objet d’une controverse autour de la possibilité physique d’un tel exploit et du parcours réel de Rawicz pendant la guerre. Depuis, des journalistes ont établi que Rawicz a connu le goulag, mais a été amnistié en 1942, et que ce côté autobiographique est totalement faux. Cela dit, un homme nommé Witold Glinski a affirmé que l’histoire racontée par Rawicz était majoritairement vraie, et qu’il en était le véritable héros. Son compatriote se l’est juste appropriée en la romançant un peu trop fortement…
Alors, récit authentique, totalement bidonné ou partiellement véridique?
Rawicz est aujourd’hui décédé, Glinski a plus de 85 ans et désire surtout oublier le passé. Plus personne ne peut prouver ses dires, de toute façon. Et à vrai dire, on s’en moque complètement.
Car à l’écran, le parcours hors du commun de Janusz et de ses camarades donne un somptueux films d’aventures à l’ancienne, aux paysages sublimes, aux péripéties captivantes et aux ressorts dramatiques dignes des meilleurs mélos hollywoodiens.
Difficile de ne pas être happé par ce récit riche en difficultés, en émotions, en humanité, de ne pas éprouver une certaine empathie vis-à-vis de ces êtres luttant pour leur survie en milieu hostile et déterminés à atteindre leur objectif, le monde libre. On suit déjà le personnage principal Janusz (Jim Sturgess) à son entrée au goulag. Il découvre un univers carcéral sordide, où les prisonniers sont traités comme des esclaves. Ils doivent accomplir des travaux forcés, soit dehors, par -30°C, soit dans des mines étouffantes et dangereuses.
Si le travail ne les tue pas, les gardiens s’en chargent. Et si les gardiens ne les tuent pas, alors le danger peut venir de l’intérieur, des urkis – ou prisonniers de droit commun – qui, plus durs, et moins opprimés, peuvent faire régner la terreur au sein des dortoirs de prisonniers. Ajoutez à cela les infestations de poux et les épidémies, et vous aurez une idée plus précise de ce qu’est l’enfer…
Pour Janusz et ses camarades d’infortunes, des ressortissants polonais, lettons, lituaniens ou yougoslaves, l’évasion est la seule chance d’échapper à une mort certaine, même si l’espoir de survivre à cette fuite est des plus minces.
Ils doivent en effet réussir à quitter le camp sans être vus, échapper aux chiens lâchés à leurs trousses, braver une violente tempête de neige dans le froid sibérien (-40°C ? Oulah! Il fait chaud…) puis marcher sans s’arrêter jusqu’au lac Baïkal, malgré la faim, l’épuisement, la peur d’être rattrapés ou d’être vus par des populations locales qui pourraient être tentées de les dénoncer pour toucher la prime promise par l’état pour dénonciation de fugitifs et autres rebelles.
De là, ils doivent passer la frontière pour entrer en Mongolie, puis passer du très froid au très chaud en traversant à pied le désert de Gobi, sans eau ni nourriture et avec déjà des centaines de kilomètres dans les jambes.
Un petit détour par le Tibet pour une courte escale avant de s’attaquer à l’Himalaya, en plein hiver et rejoindre l’Inde, sous protectorat britannique et être enfin libre… (Ah, ça, les aventuriers de Koh-Lanta, à côté, font figure de petits rigolos !).
Le périple est éprouvant et sera même fatal pour la plupart des protagonistes – on ne révèle rien, c’est annoncé d’emblée : seuls trois d’entre eux iront au bout de l’aventure…
Il les force à dépasser leurs limites individuelles, qu’elles soient physiques ou mentales, mais aussi à faire preuve d’un esprit d’équipe sans faille et d’une grande organisation collective. Tous doivent apprendre à se faire confiance, à collaborer les uns avec les autres indépendamment de leur origine leur classe sociale, leur âge ou leurs opinions politiques…
Finalement, ironie du sort, ce sont ces opposants au régime stalinien qui symbolisent le mieux les valeurs fondamentales du communisme : solidarité, partage des richesses et des ressources, utilisation optimale des qualités de chaque individu pour le bien-être du collectif (ici, un guide, un chasseur, un pêcheur, un prêtre, un artiste, une psychologue faisant le lien entre tous…)
Le film montre bien comment une idéologie axée sur des vertus humanistes et égalitaires peut se retrouver dévoyée par un tyran mégalomane pour asservir le peuple et basculer dans la folie totalitaire. Et il montre aussi comment des hommes violents et individualistes comme Valka, le urki, ou, dans une moindre mesure, Smith, l’américain, se transforment au contact du groupe…
On adhère d’autant plus facilement à ce beau récit d’aventures humanistes qu’il est interprété par d’excellents acteurs. Déjà, il y a l’immense Ed Harris, comme toujours parfait dans ce rôle, taillé sur mesure pour lui, de héros américain solitaire, cowboy fatigué dont le cuir tanné et rugueux abrite un coeur immense.
Et Saoirse Ronan, bouleversante en jeune polonaise à la dérive, petite touche de grâce et de douceur dans un monde âpre et cruel. Elle fait passer l’émotion sans jamais forcer son jeu, ni appuyer ses effets.
On n’en dira pas tant de Colin Farrel, qui cabotine un peu trop ostensiblement. Mais il s’en tire malgré tout avec les honneurs.
A leurs côtés, des acteurs peu connus, mais tous très bons : Les roumains Dragos Bucur et Alexandru Potocean (vus dans Mardi après Noël ou Au diable Staline, vive les mariés !) le suédois Gustaf Skarsgard (le fils de Stellan Skarsgard), le macédonien Dejan Angelov ou l’allemand Sebastian Urzendowsky.
Et puis, bien sûr, dans le rôle principal, le très prometteur Jim Sturgess, dont le talent nous avait été révélé par l’excellent Across the universe. Il campe avec conviction un type ordinaire qui, dans des conditions exceptionnelles, se mue en véritable héros, monstre de courage et d’abnégation, porté par, selon les points de vue, par une force mystique ou une folie obsessionnelle.
Un personnage comme Peter Weir les affectionne, finalement. Le cinéaste australien aime en effet à plonger ses personnages dans des univers hostiles et les observer évoluer, tel le démiurge du Truman show… Il aime les protagonistes habités par leur quête, tendus vers leur objectif. comme le personnage joué par Mel Gibson dans L’année de tous les dangers ou celui joué par Harrison Ford dans Mosquito Coast. Comme le professeur poète du Cercle des poètes disparus ou le capitaine de frégate de Master & commander…
Malgré le côté spectaculaire/grand public de ce film, il s’agit donc clairement d’une oeuvre très personnelle, axée autour de thèmes récurrents de la filmographie de Peter Weir. Bon, évidemment, ce n’est quand même pas du niveau des premiers films australiens du cinéaste, notamment le fameux Pique-nique à Hanging Rock et certains ne manqueront pas de le déplorer, fustigeant au passage l’académisme de sa mise en scène.
Il est vrai que la réalisation ne brille pas par son originalité, mais c’est néanmoins du travail soigné, bien supérieur au tout-venant des blockbusters hollywoodiens.
Prenons la gestion des langages, par exemple…
Par souci de réalisme, les acteurs parlent la langue de leur personnage. L’anglais n’est utilisé que tardivement, comme langue commune leur permettant de communiquer les uns avec les autres. Ce n’est pas totalement convaincant, d’accord, mais la démarche est tout de même louable et culottée, si l’on considère qu’aux Etats-Unis, la plupart des spectateurs détestent lire les sous-titres…
Par ailleurs, le cinéaste se refuse à trop verser dans le sentimentalisme. Les scènes dramatiques sont traitées avec le minimum de pathos et le plus de pudeur possible. Là encore, le talent des acteurs aide à ce que le film ne bascule pas dans le mélodrame sirupeux…
Le seul véritable reproche que l’on pourrait faire à Peter Weir est de ne pas parvenir à maintenir de bout en bout le rythme de son récit d’aventures, la seconde moitié du film s’avérant un peu trop longue et redondante. Cela dit, le jeu sur le rythme peut aussi être volontaire et transmettre la lassitude des personnages après une randonnée de 10000 km sous des climats très rudes…
Les chemins de la liberté n’a pas grand chose à envier aux grands films d’aventures de l’âge d’or hollywoodien : acteurs charismatiques et convaincants, paysages majestueux, scénario porteur de valeurs humanistes et mise en scène discrète et élégante… On peut préférer des films plus audacieux artistiquement et thématiquement, mais force est de constater que le nouveau long-métrage de Peter Weir est tout à fait regardable et appréciable. Classique, mais efficace.
(1) : “A marche forcée : A pied du Cercle polaire à l’Himalaya (1941-1942)” de Slawomir Rawicz – éd. Phébus
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The way back
Réalisateur : Peter Weir
Avec : Jim Sturgess, Ed Harris, Saoirse Ronan, Colin Farrell, Dragos Bucur, Alexandru Potocean
Origine : Etats-Unis
Genre : road-movie humaniste
Durée : 2h14
Date de sortie France : 26/01/2011
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Le Nouvel Obs
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