Charles Kermarec est l'éditeur dufameux livre d'Irène Frachon dénonçant les dangers du Mediator, et dont le sous-titre, «Combien de morts?», avait été censuré. Après la condamnation du laboratoire Servier, il nous adresse cette«Lettre ouverte aux parlementaires sur la liberté d'éditer»
J’ai eu le privilège d’éditer le livre d’Irène Frachon «Mediator 150mg-Combien de morts?».
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Un livre important. Important en ce qu’après cet ouvrage la politique de surveillance des médicaments dans notre pays ne sera plus ce qu'elle était auparavant. Important aussi parce qu’il constitue un dossier essentiel aux mains des avocats pour que les victimes de ce poison (leurs familles pour ceux qui sont morts) puissent demander réparation du préjudice qu’elles ont subi.
Le sous-titre de ce livre «Combien de morts?» a fait l’objet d’une censure du Président du Tribunal de Grande Instance de Brest (1). Peut-être impressionné par la publicité faite par Servier dans les Quotidiens du médecin et du pharmacien à l’heure où il rédigeait son jugement(2). Le laboratoire y affirmait que son médicament n’était en rien nocif.
J’assume totalement le titre de ce livre. Je l’ai voulu. Au finalle juge de la Cour d’Appel a infirmé le jugement brestois(3) et conclu à la légitimité de son titre estimant qu’il avait provoqué sur le médicament, la politique du laboratoire Servier et les insuffisances de l’Afssaps, le nécessaire débat voulu et initié par le docteur Frachon.
Le laboratoire Servier a été condamné. Le juge a pointé ses mensonges et contradiction, observant qu'il ne pouvait demander notre censure et prétendre ne pas s'opposer à la liberté d'expression.
En somme je devrais être ravi. En nous censurant, à la demande du laboratoire, le juge de première instance à Brest a provoqué un résultat à l'opposé du silence que Servier voulait faire régner. Les journalistes, principalement ceux de la presse écrite (et immédiatement Timothée Boutry, Anne Jouan, Anne Crignon et Eric Favereau, Catherine Le Guen et Laurence Guilmo que je veux ici remercier) se sont emparés de cette affaire, et ont déclenché un ouragan médiatique, dont l’un des effets aura été de nous protéger. Le débat que le docteur Frachon appelait de ses voeux a eu lieu. Nous avons gagné: sur les principes, sur la liberté d’expression. Sur toute la ligne?
Eh bien non !
Je prétends que la liberté d’expression n’est pas affirmée. Le juge d'appel a déclaré Servier menteur, truqueur. Le juge d'appel a condamné Servier à nous payer 3000 euros au titre de nos frais de défense.
Je ne me bats pas pour de l’argent. Mais quand un petit éditeur quil’emporte sans conteste sur les principes bénéficie d’un jugement qui condamne un laboratoire aussi malhonnête que milliardaire à lui verser 3000 euros, lui laissant 14.579 euros de débours à sa charge, on peut être assuré que la liberté d’expression n’a pas gagné. Combien de procès gagnants me coûtant chacun 15.000 euros pourrais-jeendurer contre tel ou tel?
La liberté d’expression n’a pas de prix. Mais elle a un coût que je ne pourrais pas supporterplusieurs fois l’an.
Elle devient un luxe que les petites ou moyennes maisons d’édition nepeuvent se permettre.
Le jugement de la Cour d’Appel de Rennes est parfait. Inattaquable. Irréprochable.
Mais, Messieurs les Parlementaires, la faille dans la loi de 1881 est béante, qui n’oblige pas le juge à indemniser les entreprises de presse et d’édition à hauteur de leurs débours quand pour les faire taire on les attaque sur leur point faible: les finances.
La liberté d’expression ne sera plus lettre morte quand vous aurez conforté cette loi essentielle, en lui ajoutant cet appendice.
Charles Kermarec
(éditions Dialogues)
1) Jugement du tribunal de Brest du 7 juin 2010.
2) Publicités parues le 2 juin 2010 dans «Le Quotidien du Médecin» et dans Le Quotidien du pharmacien».
3) Jugement rendu par la Cour d’Appel de Rennes le 25 janvier 2011.
Source : http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20110204.OBS7486/mediator-une-lettre-ouverte-de-l-editeur-d-irene-frachon.html