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04/02/2011 | Mise à jour : 17:09 Réagir
Philippe Sollers, en 2006.Crédits photo : Zabulon Laurent/Abaca
Il aime les livres, les femmes, Céline, les cigares, Ve nise, le bordeaux, se mêle de tout (politique, religion, cinéma), s'autopromeut en toute occasion, squatte les médias et se rêve pape des lettres françaises. Et si derrière le provocateur Sollers se cachait un classique ?
Voltaire n'est jamais loin de Philippe Sollers. Il est encore là, au mur d'un petit bureau dans la ruche des Editions Gallimard. «Les Anglais aiment Voltaire, les Français ne l'aiment pas. Il est mort riche, donc ça ne va pas. Il n'était pas dévot, donc ça ne va pas non plus. Ah, celui-là…» Pour la richesse, on ne sait pas, mais pour la concision, la froideur de l'esprit qui jubile, oui, Sollers a quelque chose de Voltaire, de réfractaire. Premier roman à 22 ans,Une curieuse solitude, salué par Mauriac, Breton, Aragon. SuitLe Parc, prix Médicis 1961. À 25 ans, c'est l'ascenseur pour le Goncourt et plus tard l'Académie française. Mais il y a ce désir d'échapper, d'avoir le choix des armes, de «la guerre». En 1960, il a déjà pris la tangente en fondant la revue Tel Quel, pour «renouveler la bibliothèque, allumer des mèches». La poudre : Artaud, Ponge, Hölderlin, Joyce, Sade, Dante… «C'était vivant, le reste était mort.» Pour éviter la guerre en Algérie, il mime la schizophrénie. L'art corporel ne s'oublie pas. Quand Sollers fait la marionnette dans le bruit et la laideur des plateaux télé, il faut toujours se demander s'il est vraiment là, s'il ne se sent pas encore traversé par l'«extraordinaire effet de présence silencieux» produit par Georges Bataille lorsqu'il entrait, «auréolé», dans le réduit de Tel Quel il y a cinquante ans.
En 1979, l'ex-mao figure déjà dans le Petit Robert, en photo, à côté de celle de Soljenitsyne. La notice parle à son sujet de «fiction moderne», de linguistique, de psychanalyse, d'«orientation marxiste». La prochaine décennie se jouera sur un air différent.
En 1980, Roland Barthes est renversé par une camionnette près du Collège de France, après un déjeuner avec le présidentiable François Mitterrand. «Les gens mentaient: il ne fallait pas dire qu'il avait déjeuné avec Mitterrand, cela faisait mauvais œil. On me rassurait, ce n'était pas grave… J'ai fini par m'émouvoir, je suis allé le voir à l'hôpital. Il était mourant.» Sollers ne dînerait plus au Falstaff avec l'ami «qui ne parlait pas pour ne rien dire », il œuvrerait à sa manière à leur projet d'une nouvelle Encyclo pédie, il ne verrait plus le cigare de Barthes s'allumer dans la nuit. De quoi se sentir seul à la sortie de Paradis en 1981. «Mitterrand… Paradis… Plus décalé, tu meurs.» Mourir, jamais. Il quitte les Editions du Seuil, signe chez Gallimard («la banque centrale»), transmute Tel Quel enL'Infini, se recentre avec des romans de charme, Femmes et Portrait du joueur. «Il fallait passer à une orchestration médiatique. Pas de marginalisation, c'est le problème stratégique numéro un. Debord s'est fait marginaliser, il a réattaqué et dit “je” trop tard avec les Commentaires sur la société du spectacle.» Sollers a détecté très tôt la dépression, la régression à venir. Avec la culture pour les contrer et la santé pour en jouer. Rompu à la stratégie chinoise, il pénètre Saint-Germain-des-Prés, établit son quartier général au bar du Pont-Royal, un bel hôtel près de Gallimard. «A un moment, on a dit que je contrôlais Le Monde des livres, les prix littéraires… Foutaises.» Pour les prix, on y ment autant dehors que dedans. Dans Le Monde, il traitait surtout les classiques. «Les morts sont plus vivants et plus menacés que les vivants», moins gênants aussi. Alors ? Si Sollers a péché dans l'édition, il fut absous par Jean-Paul II auquel il offrit sa Divine Comédie (des entretiens avec Benoît Chantre) en audience publique, à Rome, en 2000.
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* Trésor d'amour, Gallimard, 213p., 17,90€.