Française des jeux: Le paradoxe de l'État croupier

Publié le 05 février 2011 par Alain Dubois

Résultats 2010 en forte croissance pour l’opérateur historique des loteries

Christophe Blanchard Dignac peut se réjouir du travail accompli l’année dernière, par la FDJ et son réseau de détaillants. L’opérateur historique a surperformé en 2010 avec une croissance de 5,5 %. La barre symbolique des 10 milliards d’euros est « franchie pour la première fois ». Certains vont crier au scandale. Pas nous. Ce n’est pas le rôle d’un sociologue qui sépare « le savant du politique » de porter un jugement moral ou idéologique, sur une activité économique, une pratique sociale et culturelle.

Ce résultat exceptionnel a bien sur à voir avec une crise économique qui perdure. Les Français cherchent plus que jamais à « décrocher le pactole », pour « changer de vie », « se refaire » à travers le jeu, ou tout simplement cherchent à « améliorer l’ordinaire » d’un ordinaire de plus en plus affecté par la dépression économique mondiale et une imposition nationale et locale en perpétuelle augmentation. Le pari n’est d’ailleurs pas stupide… pour les gagnants . La FDJ a redistribué 6,8 milliards euros de gains l’année dernière. Il serait donc réducteur de faire une analyse néo-marxiste du phénomène, en réactivant la symbolique des deux célèbres maximes : « Du pain et des jeux », « Le jeu comme opium du peuple ». Par ailleurs les revendications sociales et grèves de 2010 indiquent bien que les Français ne mettent pas leur destin uniquement dans les bras de Déesse Fortuna ou ceux du Dieu Hasard.

Ces résultats proviennent également de l’activité marketing intense de la FDJ et de son activisme en matière de développement de son offre ( nouveaux jeux de grattage , et notamment Cash 500, relookage d’anciens jeux, lancement d’Amigo un jeu permanent à haute fréquence clone du Rapido, gros investissement dans les jeux en ligne à travers le site parionsweb. La FDJ est une société bien gérée qui sait vendre des jeux. Rien à redire la dessus. Il ne faudrait pas cependant que la FDJ s’imagine que ces jeux lui appartiennent et qu’elle peut exploiter jusqu’à la corde ce précieux pratimoine ludique national, contribuant ainsi à tuer la poule aux œufs d’or.

Mais dans le même temps le PDG de la FDJ a certainement des motifs d’inquiétude. Il sait qu’il est de plus en plus confronté au « paradoxe de l’Etat Croupier ». La FDJ investit fortement, se développe à marche forcée ( piétinant au passage un principe de précaution longtemps instrumentalisé pour freiner l’ouverture à la concurrence et combattre les directives européennes) mais dans le même temps affiche symboliquement une Politique de « Jeu Responsable », tout en finançant des psychologues qui ont trouvé un relais de croissance dans l’addiction au jeu. La FDJ est bien entendu en conflit d’intérets patent dans cette affaire. Ce n’est pas à la FDJ de mesurer les conséquences ( sociales et en terme de santé publique) de son activité, de définir des normes ( contrat AFNOR/FDJ)…

C’est pour cette raison que le parlement a décidé - dans la loi sur les jeux en ligne de juin 2010 - de mettre en place un Comite consultatif pour les jeux en dur et le gambling virtuel, épaulé par un Observatoire des jeux indépendant qui ait les moyens de ses ambitions. Mais si l’Arjel a été installé rapidement et fonctionne activement sous la houlette de JF Vilotte, ces deux autres organismes, indispensables à une politique des jeux qui défende l’intérêt général et qui fasse en sorte que les chiffres du gambling ne soient pas instrumentalisés , n’existent toujours pas. Ce retard devient suspect. Le Sénat s’en inquiéte, le Président de l’Arjel également. La symbolique des « amis du Fouquet’s ressurgit.

En attendant le Livre Vert de Michel Barnier, la Commission Européenne s’interroge également sur les conséquences du gambling et le jeu excessif. Elle veut des chiffres et semble désormais à juste titre interrogative vis à vis de l’opportunisme des thèses de la doxa du jeu pathologie maladie financée principalement par la FDJ. « elle cherche à savoir si le phénomène d’addiction est plus répandu dans le jeu en ligne que dans le jeu en dur. Certains disent que c’est le cas, d’autres prétendent l’inverse, déplore t on à Bruxelles. #» (1)Je ne suis pas mécontent que la Commission s’interroge désormais ainsi car nous avons souvent dénoncé les analyses contradictoires de la doxa du jeu pathologie maladie sur ce sujet. Cette interrogation indique que la question du jeu excessif - sa définition, sa mesure - doit être traitée sérieusement et scientifiquement car elle peut facilement être instrumentalisée. On pourrait en dire autant du Taux de redistribution, de la publicité pour les jeux d’argent, de la socialisation ludique des mineurs etc…. Dernier soucis pour CB Dignac, malgré ou à cause de ces résultats formidables, la FDJ a sans doute mangé son pain blanc. Bénéficiant d’un « avantage concurrentiel » indéniable en tant qu’opérateur historique, la FDJ est désormais comme le PMU sous l’œil de l’Autorité de la concurrence qui a rendu un premier « avis » critique. La FDJ doit donc parachever rapidement sa mutation, changer d’état d’esprit, « jouer le jeu », si elle ne veut pas que cet avantage soit désormais considéré, par l’institution de la rue de l’Echelle ou par l’Europe, comme un « abus de position dominante ». Autant dire une petite révolution culturelle pour la FDJ, ex Française Des Jeux.
Jean-Pierre G. Martignoni-Hutin, ( sociologue) (1) Alexandre Counis : « Jeux en ligne : Bruxelles prépare un Livre Vert très consensuel « ( les Echos, 13 janvier 2011)
© Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN ( sociologue)
Lyon, France, Université Lumière, Lyon II, centre Max Weber , 27 janvier 2011/1° mouture)