Tous aux abris
!
Sur le trottoir, dans les halls de gare, le long des quais, en travers des escalators, la valise à roulettes déploie sa nuisance contondante et
confondante.
Ni code de la route ni permis de conduire ne tempèrent la rage qu'ont ses adeptes de vous la balancer dans les guibolles. Nulles règles de
priorité, encore moins de feux signalétiques ni d’agents de la circulation. C'est en toute liberté que le monstre rampant a remplacé le bon vieux sac de voyage et sévit sur le bitume. Despote
absolu, hermétique aux droits de l'homme, du concitoyen, et du mitoyen. Arme de destruction massive aux mains de l’homo transportus qu'elle ne quitte plus, s'agirait-il seulement pour
celui-ci de charrier trois chemises et un peigne.
Et voilà le beau résultat d’une société livrée à l'amour de soi-même. Le héros d'aujourd'hui ne porterait pour rien au monde le bagage de sa femme. Ses
efforts et sa sueur, il les réserve pour la dispendieuse salle de gym.
Moyennant quoi, la valise à roulettes, char d’assaut d’un nouveau genre, pulvérise tout ce qui se trouve sur son passage, dans un barouf
d’enfer.
Petits et grands, éclopés et binoclards, ruraux ou citadins, marxistes et libéraux, nul n’est épargné. Zéro retranchement possible. A moins que…
Non ! par pitié ! Pas de couloirs à valises, monsieur Delanoë ! Les pipelettes préfèrent riposter par leurs propres moyens : poussette, trottinette et fauteuil de
paralytique.
La guerre des roulettes est déclarée.