Le constat dressé par Jacques Généreux, économiste, dans son ouvrage "La Grande Régression", est implacable : depuis le début des années 1980, le libéralisme s'étend à toutes les sphères de la société.
Il démolit, peu à peu, tous les acquis sociaux. La quête du profit maximum et l'ouverture infinie de nouveaux marchés concurrentiels font que les entreprises, voulant garder leur marge, maintiennent les salaires le plus bas possible.
D'où la diminution de la demande globale, les crises de surproduction, le chômage de masse, la précarité, la faillite des petites entreprises fragiles…
Le capital profite de tout : de ses propres échecs, mais également des progrès de la modernité. Il en exploite les traits progressistes, la liberté individuelle, la démocratie, la science, quand ils servent ses intérêts. Et il arrive même à faire croire à bon nombre de citoyens qu'il en est à la source.
Mais nos grands-parents savent bien qu'il a fallu conquérir, grâce aux luttes syndicales les droits sociaux et la sécurité sociale. La génération de l'après-guerre avait eu le bon sens de s'éloigner de la toute puissance du marché, ayant compris après la crise économique des années 30 et la guerre mondiale qui suivit, qu'il n'y avait rien de bon à attendre du capital, et qu'il valait mieux s'en tenir sagement éloigné.
Un espoir anéanti après les 30 glorieuses
A partir du début des années 1980, le vieux discours libéral classique a été réactualisé sous le nom de «néolibéralisme» : l'individu serait un homo oeconomicus rationnel, la libre concurrence assurerait le meilleur usage des ressources, la totalité des problèmes sociaux viendrait en fait des limitations au libre marché, etc.
Bref, la nouvelle doxa qui s'est imposée grâce à la droite et aussi la social-démocratie, est en fait une simple restauration des injonctions refusées par nos grands parents après la guerre. Et les néolibéraux osent nommer cela la modernité qui est en fait une adaptation des peuples au mouvement naturel et irrépressible de l'histoire que constitueraient la guerre économique mondiale et la marchandisation des sociétés.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que les freins imposés au capital pendant les trente glorieuses disparaissent peu à peu. Les travailleurs sont soumis à la pire flexibilité, la précarité se généralise, les bas salaires se multiplient, la protection sociale est attaquée de toute part, la finance globale a été libéralisée. Et le souci moderne de l'écologie a été instrumentalisé comme nouvelle perspective de croissance du capital.
Le nouveau discours économique martèle que l'épargne des riches permet de financer l'investissement et la création d'emploi, que les inégalités dynamisent la société et qu'il faut attirer les investisseurs les plus fortunés sur notre territoire. Les faits prouvent pourtant constamment l'inverse : c'est le travail productif qui permet l'épargne et la richesse d'un pays, et c'est l'affectation d'une part du revenu national aux services collectifs qui engendre le progrès social.
Des raisons d'espérer
Malgré son titre, l'ouvrage de Jacques Généreux invite à l'optimisme. Le désastre actuel est un processus politique volontaire. Il n'est en aucun cas la conséquence d'une incapacité de l'État à répondre aux attentes des citoyens. Depuis trente ans, « l'État-nation n'a pas reculé, il a été privatisé ». La compétition mondiale généralisée a été orchestrée par les gouvernements pour briser les dernières résistances.
Il s'agit maintenant de rendre le pouvoir au peuple, par la révolution citoyenne. Il faut inverser le processus en cours et adapter l'économie à l'intérêt général, pour bâtir une société de progrès humain, celle qui tisse des liens qui libèrent les individus de l'obsession de l'accumulation matérielle. Une société qui correspond à la nature humaine : les hommes et les femmes sont doués pour la coopération et la solidarité, contrairement à ce que prétend le dogme néolibéral. L'Homme est avant tout un être social et l'homo oeconomicus est une fiction.
Le XXème siècle nous a immunisé contre la tentation totalitaire mais pas contre l'envers de la médaille : l'obsession libérale-libertaire qui confond liberté et affranchissement de toutes les attaches sociales et a créé ainsi ce que Jacques Généreux appelle la dissociété, atomisée en communautés dressées les unes contre les autres, niant l'intérêt général et servant ainsi le projet néolibéral.
Il s'agit maintenant de revenir au réel en faisant aboutir le génie prémonitoire de la Révolution française qui a voulu créer le cadre social permettant l'émancipation. C'est tout à fait possible car il reste aux citoyens une arme simple : le bulletin de vote.
L’État social est encore puissant et le niveau d'éducation élevé : les citoyens français sont encore capables de résister et de voter pour un programme authentiquement progressiste, qui confierait la gestion des entreprises en partie aux salariés, freinerait radicalement la spéculation financière, ferait disparaître la dictature des actionnaires et préserverait les services publics du marché et des intérêts particuliers.
Pour cela, il faut militer, agir, écrire pour atteindre le seuil suffisant de citoyens qui saisissent l'opportunité de provoquer une révolution pacifique…
La grande régression, Jacques Généreux, éditions du Seuil
Photo Flickr-cc : Jacques généreux par Reinbold Eric (http://www.flickr.com/photos/93384553@N00/331811862/)
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