Il y a quelques temps, je publiais sur ce blog une proposition d'un nouveau modèle d'analyse stratégique1 que j'avais appelé : « Modèle d'Analyse Stratégique des Pouvoirs » (MASP). À présent, j'aimerais proposer un élargissement de ce modèle, fort des réflexions que j'ai mené jusque là.
Ma conviction de départ – et donc mon présupposé – est que la notion de « pouvoir » est structurante pour décrire une entreprise et son environnement. Avec le recul, je reconnais deux auteurs principaux qui m'ont convaincu de cela : l'économiste Jean LHOMME et sa « loi des trois pouvoirs » sur laquelle je vais revenir, et le sociologue des organisations Michel CROZIER pour son analyse des luttes de pouvoirs à l'intérieur des organisations.
Dans la première version du MASP, je n'ai parlé que de la structuration des pouvoirs externes. Dans cette « version 2 », j'aimerais proposer un modèle permettant de décrire des voies d'action tant pour le management externe des pouvoirs que pour le management interne des pouvoirs.
Les trois objets structurants pour une analyse des pouvoirs
Dans La grande bourgeoisie au pouvoir (1830 – 1880)2, Jean LHOMME, en s’intéressant à la suprématie de la classe bourgeoise au XIXe siècle en France, en vient à exposer ce qu'il appelle la « loi des trois pouvoirs ». Ces trois pouvoirs sont le pouvoir politique, le pouvoir économique et la pouvoir social. L'idée est qu'une classe sociale (en l'occurrence la bourgeoisie) devient réellement dominante lorsqu'elle contrôle la représentation politique et donc les moyens régaliens, possède le capital économique, et dirige l'opinion ou une fraction de l'opinion3. De manière synthétique, il me semble que ces trois pouvoirs visent trois objets :
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1. La loi ou la règle
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2. Le capital ou les ressources
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3. L'opinion
Les trois pouvoirs que j'avais donc identifié dans la première version du MASP correspondent à trois objets de pouvoirs. Ce constat est très important pour la suite.
Pouvoir et instrument de pouvoir
Un des piliers du MASP, et que j'estime aujourd'hui absolu fondamental, est la distinction que j'opère entre pouvoir et instrument de pouvoir, ainsi que l'importance de l'analyse de ces instruments de pouvoir. En effet, identifier un acteur de pouvoir ne sert à rien si on ne comprend pas la manière dont il exerce ce pouvoir, son processus décisionnel, son fonctionnement, etc. Dans la première version du MASP4, j'avais énumérer un certain nombre d'instruments de pouvoir : médias, finance (impôt, taxe, coût, …), normes, lois ou décrets, « la rue » (manifestation, blocage, …), la connaissance (livre, enseignement, …), etc. Ce que j'entends par instruments de pouvoir sont les moyens dont dispose un acteur pour exercer de manière consciente une influence nette par rapport à sa sphère de pouvoir5. Sachant que chacun des acteurs est en concurrence à la fois dans leur propre sphère de pouvoir et à l'extérieur avec les acteurs des autres sphères de pouvoir, les instruments de pouvoir sont leur moyen d'exister face à ces concurrents.
Pouvoirs externes et pouvoirs internes
Une des innovations de cette deuxième version du MASP sera la prise en compte des pouvoirs internes à l'organisation. Pour cela, le livre classique de Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG L'acteur et le système6 nous fournit la typologie de départ. Il est identifié dans cet ouvrage quatre grandes sources de pouvoir sécrétés par et à l'intérieur des organisations :
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1. Celles découlant de la maîtrise d'une compétence particulière et de la spécialisation fonctionnelle
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2. Celles qui sont liées aux relations entre une organisation et son, ou, mieux, ses environnements (syndicats, commerciaux, ...)
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3. Celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations
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4. Celles enfin qui découlent de l'existence de règles organisationnelles générales (directeurs, manager, ...)
À partir de là, il m'a semblé pertinent (mais j'ai conscience que je déforme ici la typologie originale de CROZIER et FRIEDGERG) d'identifier trois sortes de pouvoirs internes : le pouvoir « managérial » (ou « directionnel » ou « normatif »), le pouvoir « réseau » ou « relationnel » (relation avec l'extérieur) et le pouvoir « propriétaire » dans lequel j'inclue le sous-pouvoir « compétences » et le sous-pouvoir « information ».
Le lien et la cohérence avec les pouvoirs externes se fait par l’intermédiaire des objets structurants définis ci-dessus, à savoir la loi/règle, la capital/ressources, l'opinion.
De cette manière, j'ai conscience que le MASP se complexifie quelque peu, mais il m'a semblé intéressant de proposer un modèle d'analyse stratégique permettant d'agir à la fois sur le management externe des pouvoirs et sur le management interne des pouvoirs.
L'antagonisme des acteurs
Un des intérêts du MASP est de classer les acteurs de pouvoir en fonction de leur antagonisme vis-à-vis de notre organisation (favorables/défavorables ; partenaires/concurrents ; alliés/opposants). Un problème s'est posé à moi quant il s'agissait de traduire cet état de fait pour les pouvoirs internes : comment des individus ou groupes internes à une organisation peuvent être considérés comme favorables ou défavorables à l'organisation en question ? Finalement, la solution a consisté en résonnant plutôt en termes de « fonctionnant » et « dysfonctionnant ».
Le modèle MASP élargi
Je peux à présent présenter le modèle MASP élargi. Dans cette version 2, j'ai décidé d'abandonner la cartographie (3ème étape de la version 1). Non pas qu'elle soit inutile, mais il m'a semblé qu'une cartographie d'acteur est un système à lui tout seul qui peut certes venir s'ajouter au MASP, mais qui ne lui est pas essentiel. Le but du MASP est de disposer d'un espace managérial complet (interne et externe) permettant de comprendre le réseau de pouvoir dans et par lequel évolue une organisation en vue d'agir sur ce réseau. Les applications a priori d'un tel modèle sont : les stratégies d'influence et de contre-influence, les stratégies de communication de crise, les audits de toute sorte, la gestion des parties prenantes, etc.
J'ai retenu trois étapes à mener en parallèle pour les systèmes de pouvoir externe et interne :
Étape 1 : Identifier les acteurs de chaque type de pouvoir
Étape 2 : Classer chaque acteur suivant son antagonisme vis-à-vis de la performance de l'organisation
Étape 3 : Identifier les instruments de pouvoir de chaque acteur
Ces trois étapes devront être suivies selon deux approches :
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A. L'approche « Modèle d'Analyse du Management Externe » ou « MAMEX »
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B. L'approche « Modèle d'Analyse du Management Interne » ou « MAMI »
Afin de jauger de l'utilité de ce modèle et de l'améliorer au besoin, j'invite tout ceux qui le souhaitent à le tester et à me tenir au courant de leur retour d'expérience. Pour plus de détail, voir les slides qui suivent à la fin de l'article.
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1http://www.pensee-action.com/article-l-analyse-des-pouvoirs-proposition-d-un-nouveau-modele-d-analyse-strategique-63034888.html
2PUF, 1960
3Pour plus de détail, voir aussi : Jean LHOMME, Pouvoir et société économique, Cujas, 1966
4http://www.slideshare.net/penseeaction/modle-asp
5J'emprunte ici la définition que donne Jean LHOMME du pouvoir en général comme « capacité consciente d'exercer une influence nette » (Jean LHOMME, Pouvoir et société économique, Cujas, 1966, page 23)
6Seuil, 1977
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