Le récit d’une grande histoire d’amour. Les succès d’un journaliste. Les mésaventures d’un auteur dramatique. Les péripéties clochemerlesques d’un village. Un retour sur une époque. Des réflexions sur le succès... Quel que soit l’angle par lequel on l’aborde, l’autobiographie de Walter Weideli, La Partie d’échecs, est passionnante.
La première scène montre l’auteur à 28 ans, au whisky dans une boîte de nuit genevoise. On est en 1955, il sort d’un premier mariage raté. Ce soir-là, devant les fandangos d’un ballet espagnol qui constitue l’attraction du cabaret, il fait la connaissance Mousse, qui a 8 ans de plus que lui, qui est également divorcée. Le récit se termine 46 ans plus tard, par le retour de Walter à leur maison avec les cendres de Mousse dans une boîte en forme de livre. C’est assez dire que la relation entre les deux amants, puis époux, a été la grande affaire de leur vie à tous deux: une passion fusionnelle et réciproque.
Même si Walter Weideli était connu pour tout autre chose. Dans les années soixante, il crée le Samedi littéraire du Journal de Genève, en fait un phare intellectuel à l’esthétique réussie. Mais il n’est pas facile d’être de gauche dans un journal de droite. Weideli sombre finalement dans la dépression nerveuse et est poussé à la démission en 1969.
Entre temps, il a écrit plusieurs pièces de théâtre qui ont fait connaître son nom. L’une d’elle, Le banquier sans visage, sur la vie de Necker, (1964) a même été l’occasion d’une bagarre politique où tout ce qui compte à Genève s’est entredéchiré, et à l’occasion de laquelle est né le parti d’extrême-droit Vigilance.
Devenu écrivain indépendant, Weideli fait des piges pour Construire, traduit Dürrenmatt et Canetti, imagine et écrit toutes sortes de scénarii prometteurs pour le cinéma et la télévision. Mais une sorte de destin contraire les empêche à chaque fois d’être montés.
De plus, en 78, il quitte Genève pour le village de Sainte-Innocence, en Dordogne, ce qui le coupe de tous ses contacts. Weideli se retrouve alors de plus en plus confiné dans de petits travaux de traduction.
Comble de malchance: les villageois ne les acceptent pas, Mousse et lui. C’est la guerre quotidienne, usante, dans un milieu hostile, jusqu’à la mort de Mousse, en 2001.
Destin en dents de scie, on le voit, qui interroge notamment sur l’effacement rapide des réputations.
Weideli était un auteur célèbre, important, dans les années 60 et 70. Il cumulait les fonctions, membre du conseil de Pro-Helvetia, président de la section suisse de la SACD (société des auteurs et compositeurs dramatiques). Ses pièces provoquaient des scandales et des enthousiasmes. Mais qui, à part ses contemporains, connaîtrait son nom aujourd’hui si La Partie d’échecs n’avait paru?
Walter Weideli, La Partie d’échecs, Editions de L’Aire
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