J’ai lu, il y un certain temps, un livre assez amusant qui s’intitulait « Oui mais, est-ce que c’est bon pour les juifs ? » C’était une espèce de blague privée à rallonge, une référence à la façon dont presque tout peut être classé sur une échelle de judéophilie, (Concours Eurovision : bon, Desperate Housewives : mauvais, Scarlett Johannsson : bonne, Joaqin Phoenix : mauvais, etc.)
Le consensus qui se dessine est que les troubles en faveur de la démocratie en Égypte ne sont Pas Bons Pour Les Juifs : qu’un soudain changement de régime pourrait menacer la relation courtoise, même si elle est loin d’être affectueuse, qu’entretient l’Égypte avec Israël. Par une extension du même raisonnement, les révoltes arabes sont considérées comme pas bonnes pour l’Occident. Hosni Moubarak, d’après cet argument, est un salopard, mais c’est notre salopard ; les Frères musulmans sont quelque chose de bien plus lugubre.
Il y a, cependant, un autre argument possible, qui soutient que la réforme démocratique au Moyen-Orient vient prouver le bien fondé du projet néocon. Certains commentateurs avancent que ce sont précisément des régimes tels celui de Moubarak – ou plutôt, le soutien que leur apporte l’Occident – qui ont amené tant de jeunes hommes dans les mains des extrêmistes. Selon cette version des choses, la loi de la majorité dans le monde arabe sera, à long terme, bon pour Israël et bon pour nous autres, puisque ces régimes n’exporteront plus (pour emprunter l’expression de Lénine) leurs contradictions internes.
Je n’ai aucune idée de qui a raison. Nombreux sont les commentateurs qui connaissent la région mieux que moi. Mais, sûrement, toutes choses égales par ailleurs, notre penchant devrait plutôt aller dans le sens du gouvernement représentatif. Nous avons déjà fait des erreurs à ne pas répéter dans le passé. En Iran, nous nous sommes alignés derrière une autocratie brutale parce que l’autre branche de l’alternative était supposée être le fondamentalisme islamique. Et, ça a bien tourné pour nous ?
Nous avons fait pareil en Algérie, en refusant de reconnaitre un résultat d’élection légitime, et en plongeant ainsi ce pays dans un tourbillon d’entropie qui éjecte dans toutes les directions des prêcheurs radicaux et des terroristes kamikazes. Nous faisons la même chose en Arabie Saoudite. Et nous faisons aussi certainement la même chose dans un pays sur lequel je connais une chose ou deux : l’Ouzbekistan. Parce qu’Islam Karimov a eu la ruse, en 2001, de s’autodéclarer allié dans la guerre contre le terrorisme, nous avons soutenu son monstrueux régime. Karimov a été assez malin pour étiquetter tous ses opposanst jihadistes : il s’agit là d’un pays ou l’islam n’a jamais été observé de façon très soutenue, et où 70 ans d’athéisme soviétique avait virtuellement éliminé la foi d’antan. Mais, bien sûr, la propagande de Karimov a fini par s’auto-réaliser. S’entendant dire de façon répétée que la seule autre option était le fondamentalisme islamique, certains Ouzbeks se sont tournés par désespoir vers cette doctrine. L’Occident crée la chose même qu’il prétend craindre.
Ce que je pense, c’est que l’option la plus sûre contre le fondamentalisme islamique, c’est la démocratie. Donnez aux gens la responsabilité, comme Keith Joseph ne se fatigait jamais de le répéter, et ils se conduiront de façon responsable. Un gouvernement qui comprendrait de Frères musulmans se retrouverait rapidement aux prises avec les difficultés quotidiennes de la politique parlementaire. Les Frères se reposent sur une mystique de la répression et de la pureté de l’opposition. Au pouvoir, ils devraient rapidement s’accomoder de la réalité.
Le fondamentalisme fleurit dans la persécution. La politique consistant à soutenir des caïds laïques a échoué selon ses propres critères, en plus d’être moralement condamnable. L’heure est venue d’essayer la démocratie.
Repris du blog de Daniel Hannan hébergé par le Telegraph, avec son aimable autorisation.