Le 27 juin 1980, un avion de ligne de la compagnie Itavia, effectuant le vol IH870 de Bologne à Palerme, s’abîma en mer près de l’île d’Ustica, au large de la Sicile, avec 81 personnes à bord ; il n’y eut aucun survivant. L’enquête, après beaucoup de détours et de mensonges, close puis rouverte, toujours pas conclue, permet néanmoins de supposer que l’avion fut détruit par erreur par un missile militaire destiné à un avion libyen et qui manqua sa cible. Un musée (rarement ouvert) est dédié aux victimes, à Bologne (à quelques centaines de mètres de la gare où, 44 jours plus tard, un attentat d’extrême-droite fit 85 morts : années de plomb) ; dans un sombre hangar est présentée la carcasse de l’avion reconstituée à partir des débris récupérés en mer.
Au-dessus de la carcasse de l’avion, 81 lampes s’éteignent et s’allument lentement, toutes ensemble, comme un lent battement de cœur, comme une respiration ralentie. Tout autour de la salle, 81 miroirs noirs ne reflètent rien que le vide, que l’absence ; derrière chacun, un petit haut-parleur et la voix d’un enfant, d’une femme, d’un vieillard, échos d’outre-tombe des victimes, avec des mots ordinaires ou poignants. Au sol, neuf grandes boîtes noires dissimulent les objets personnels des victimes : sacs, vêtements, chaussures, livres, et aussi raquette de tennis, palme de plongée et crème solaire, dérisoires vestiges d’un voyage estival. Ces objets restent cachés, mais leurs photographies (par Fabio Malossi) sont reproduites dans un petit livre : ce sont des photographies identitaires, froides, factuelles, dans un style similaire à celui de Naomi Tereza Salmon avec les objets retrouvés dans des camps de concentration. L’ensemble est une intervention, pudique et tragique, de Christian Boltanski, si à l’aise dans ces rituels de mémoire, de destin et de deuil. On en ressort le cœur brisé.