Nous avons rencontré cette semaine Jacques Bonjawo. Ce dernier est ingénieur informaticien et diplômé MBA de l’Université George Washington. Il dirige actuellement Genesis Futuristic Technologies, qui a des bureaux en Inde et à Washington. Il fut senior manager au siège de Microsoft de 1997 à 2006. Impliqué dans l’essor de la télémédecine en Afrique, il a également contribué, avec le soutien de Bill Gates et de la Banque mondiale, au lancement de l’Université virtuelle africaine dont il fut le premier président.
Il a également lancé une start up au Cameroun, Genesis Telecare, qui propose de la télémédecine, notamment dans les zones les plus reculées, qui manquent cruellement de médecins et de spécialistes. Depuis deux ans, cette offre innovante a déjà permis à 11.000 patients d’obtenir un diagnostic pertinent à un prix très modique, principalement en cardiologie.
Cet entrepreneur est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Internet, une chance pour l’Afrique", publié en 2002 aux Editions Karthala. Depuis cette date, la part de l’Afrique dans le total des connexions mondiales est passée de 1 à 7%. Jacques Bonjawo vient d’achever un ouvrage de référence, dans lequel il décrit la façon dont les technologies de l’information et de la communication (TIC) constituent une opportunité pour les pays en développement : "Révolution numérique dans les pays en développement : l'exemple africain" aux Editions Dunod en partenariat avec RFI.
Pour lui, l’Afrique doit s’engouffrer dans la voie ouverte avant lui par l’Inde, qui a obtenu des résultats spectaculaires grâce aux TIC. L’Inde et l’Afrique partagent certaines caractéristiques communes : pauvreté, démographie galopante et jeunesse de la population, illettrisme, multi-confessionnalité, richesse culturelle et linguistique, prépondérance des petites exploitations agricoles. L’Afrique serait dans la situation de l’Inde des années 1980. Une Inde décrite comme ayant réussi à tirer son épingle du jeu de la mondialisation, mais aussi un pays qui est la plus grande démocratie du monde.
« Il n’a aucune raison pour que l’Afrique échappe aux bouleversements induit par les TIC. Il est essentiel que les Africains s’approprient ces technologies pour prendre la place qui leur revient dans le concert mondial plutôt que de laisser les autres décider à leur place leur destin. (…)Faute de quoi la fracture numérique viendra élargir la fracture économique et sociale Nord-Sud qui est déjà considérable »
Cet ouvrage plein d’espoir recense de nombreuses expériences, qui ont eu des conséquences concrètes pour ses promoteurs et pour la population. Jacques Bonjawo parvient à mettre en évidence à quel point le développement de nouveaux services est facilité par la technologie (Internet, téléphonie mobile, diffusion satellitaire) dans de nombreux domaines d’activité. Ces avancées, qui demandent de l’imagination, voire parfois du système D, ne sont pas l’apanage d’un pays en particulier. Les projets éclosent en effet dans tout le continent, parfois simultanément.
Malgré les esprits chagrins, il ressort que les différents apporteurs de solutions innovantes parviennent en général à combler certains handicaps comme la faible vitesse de connexion sur la plus grande partie du territoire africain ainsi que les problèmes d’accès à l’électricité. De plus, au même titre que le social business en Europe, le succès de ces nouvelles applications passe par une étude préalable des coûts : des tarifs modiques proposés aux utilisateurs doivent être compensés par un effet volume et une création de valeur, comme dans l’agriculture le partage des meilleures pratiques, l’accès au marché et à la météo. Surtout, de nombreuses applications sont directement dédiées aux téléphones mobiles, que les Africains se sont totalement appropriés, notamment les plus jeunes.
Les activités qui ont été explorées en Afrique et qui fait figure de Terre promise de ces nouvelles technologies font chacune l’objet d’un chapitre, comme le commerce électronique, la télémédecine et la cybersanté, la cyber agriculture, l’enseignement, notamment professionnel. Les progrès pour les bénéficiaires seront d’autant plus élevés que toutes les initiatives avancent de concert sur tous les fronts.
TV5 Monde. Coup de Pouce pour la Planète - Jacques Bonjawo 8/03/2010
Les révolutionnaires digitaux sont originaires de tous les horizons, notamment des opérateurs téléphoniques comme Orange et MTN. La Banque mondiale a aussi joué un rôle important, sous l’impulsion d’Etienne Baranshamaje, qui a eu l’idée en 1997 de la création de l’Université virtuelle africaine (UVA), dont le siège est à Nairobi. Cette école dispense des cours par satellite, notamment en informatique, mais aussi en journalisme et les énergies renouvelables. L’UVA a noué des partenariats avec l’université Laval et l’Agence universitaire de la Francophonie. A ce jour, plus de 50.000 personnes ont été formées, sans avoir besoin d’aller à l’étranger, pour des budgets réduits au minimum. Les ONG locales fourmillent également d’idées (objet d'un futur post).
Dans la télémédecine, Genesis Telecare a construit son business plan à un horizon de 5 à 10 ans. Pour être viable, il lui faudra atteindre une masse critique de patients. Pour des raisons d’équité, ses services sont moins chers en zones rurales qu’en ville, car il est plus difficile d’y trouver du travail. Cette start up emploie déjà 50 collaborateurs. Ce projet illustre également le rôle que peut jouer la diaspora dans le développement de l’Afrique. Il peut aussi contribuer à redynamiser la médecine locale, cette dernière connaissant une hémorragie chez les diplômés, qui préfèrent s’exiler dans des pays riches.
« Si l’Afrique veut "épouser son siècle", la responsabilité de la doter de structures démocratiques et d’en améliorer la gouvernance incombe au premier chef aux Africains eux-mêmes. »Le dernier chapitre est consacré à un terme à la mode, la gouvernance. L’auteur insiste pour rappeler que les TIC ont un rôle à jouer dans le processus de démocratisation, comme par exemple la transparence du processus électoral, comme au Sénégal avec l’établissement d’un fichier électoral consultable par tous et la présence des radios dans les bureaux de vote.
Au Cameroun, le réseau Netwel (Media network for elections) a facilité la couverture des élections de juillet 2007 par les journalistes. La transparence, le désir de participation à la vie publique de la société civile et l’appariation d’espace public électronique pourraient permettre un jour selon l’auteur de faire reculer la corruption et d’accroître en Afrique le nombre de régimes pluralistes.
« On ne peut plus étouffer les gens. La censure est de plus en plus difficile à mettre en oeuvre »Et ce grâce à Internet et à des supports comme RFI et la BBC. Lorsque le journal algérien La Tribune fut interdit de publication, ses articles furent diffusés sur le site de Reporters sans Frontières. Les blogs permettent aussi à la diaspora d’offrir une information alternative, qui dénonce les dérives, appuie et amplifient les revendications qui émanent de l’intérieur. Ainsi, le site Seneweb, créé par un informaticien sénégalais basé aux Etats-Unis, fait figure de leader d’opinion dans son pays d’origine.
L’auteur insiste fortement sur le rôle de l’éducation, car pour lui, il ne suffit pas d’être connecté, il faut aussi être capable d’utiliser avec un minimum d’efficacité l’outil Internet, de surmonter les réticences vis-à-vis d’un matériel perçu comme étranger et complexe. Comme en Inde, il s’agit d’un enjeu crucial.
L’auteur pourfend aussi le préjugé, qui réclamerait un retrait de l’Etat des TIC. Il lui revient d’éviter un développement anarchique, tout en offrant au secteur privé, qui fourmille d’idées, un cadre propice pour opérer. Il rappelle que les structures étatiques ont joué un rôle déterminant dans le développement des TIC dans les pays du Nord.
Dans ce processus, les femmes devraient occuper une place centrale. Elles sont moins corrompues que les hommes et jouent un rôle majeur dans la famille. Les choses bougent, puisqu’Ellen Johnson Sirleaf est devenue en 2005 la première femme élue démocratiquement présidente d’un pays africain.
Mon avis :
Ce livre est très documenté et facile à lire. Les initiatives qui y sont citées sont concrètes. Les applications développées en Afrique sont très éloignées de la bulle Internet des années 2000, même si les aspects économiques et de changement d’échelle restent importants. Elles s’inscrivent dans la mouvance de réduction des inégalités à la base de la pyramide.
Cet ouvrage revêt également un caractère prémonitoire, compte tenu des derniers évènements en Afrique du Nord, car les technologies de l’information favorisent la liberté d’expression et renforcent le désir d’une amélioration de la gouvernance. D’une révolution à l’autre.
Pour commander le livre :
Collection: Hors collection, Dunod
2011 - 192 pages - 140x220 mm
EAN13 : 9782100553853 - Prix TTC France 19 €
http://www.dunod.com/informatique-multimedia/ouvrages-generaux-dictionnaires/ouvrages-generaux-dictionnaires/revolution-numerique-dans-les-pa
Pour en savoir + sur l’auteur
http://www.jacquesbonjawo.com/
Le site de la société de télémédecine
http://gentelecare.com/
Pour aller plus loin :
Interview de l’auteur par RFI
(05:28)
Une interview de Jacques Bonjawo sur wagne.net : « Il est important de démocratiser l’accès aux TIC »
http://www.wagne.net/wagnenet2/index.php?option=com_content&view=article&id=155&catid=19
Revue Les Afriques : Interview de Marc Rennard, directeur exécutif Afrique, Moyen-Orient et Asie de France Télécom-Orange
http://www.lesafriques.com/actualite/nous-favorisons-le-transfert-de-technologies-vers-l-afr.html?Itemid=89?articleid=27623
Cameroun : le Réseau Netwel démocratise l’information
http://www.haayo.org/Cameroun-le-Reseau-Netwel.html
Le blog Seneweb
http://www.seneweb.com/