Après avoir été ébloui par les sonates et partitas de JS Bach enregistrées par Hilary Hahn en 1997 du haut de ses dix-huit ans, j'ai été malheureusement de trop nombreuses fois déçu par les enregistrements qui ont suivi.
Au concert, je garde tout de même un beau souvenir de sa performance au TCE en 2002 où elle avait magistralement interprété le 1er concerto pour violon et orchestre de Chostakovitch en la mineur, assurant ainsi avec dignité la relève du grand David Oistrakh. Outre sa maîtrise technique extraordinaire, la violoniste américaine fait partie des rares violonistes à maîtriser aussi bien le legato sur cet instrument, conférant à son jeu une fluidité et une clarté uniques, tout en conservant une nécessaire dynamique. Enfin, je trouve que les sonorités chaudes et l'ampleur exemplaire de son violon (un Jean-Baptiste Vuillaume de 1864) contribuent à forger cette belle identité sonore.
C'est justement le point que l'on relève particulièrement dans son dernier enregistrement qui est, en tous points magnifique. Il y a le fameux concerto en ré de Tchaïkovski mais aussi, et surtout, le premier enregistrement mondial du concerto de Jennifer Higdon. Les deux concertos sont habilement mis en écho. Même si exactement 132 ans les séparent, leurs factures révèlent quelques similitudes.
Sur le concerto de Tchaïkovski, il semble bien difficile de raconter encore une nouvelle histoire, tant il a été interprété. Le problème quand on écoute une telle oeuvre est que, dans la plupart des cas, notre écoute a été forgée voire figée sur une version de référence qui nous rend vite intolérant par rapport aux versions précédentes. Dans mon cas, il s'agit de la version Milstein / Abbado / Philharmonique de Vienne. Rien de révolutionnaire dans celle de Hilary Hahn qui a eu l'intelligence de plus marquer son empreinte sur les couleurs sonores que sur les phrasés. Sur ces derniers, son legato incroyable justement, permet d'entendre une version encore plus fluide que celle d'un Milstein par exemple. On pourra reprocher à Hilary Hahn d'avoir tenté parfois de se distinguer par des allongements de phrasés un peu artificiels sur certains motifs qui donnent l'impression d'une forme de cabotinage. On pourra aussi être surpris par la démesure des tutti du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, mené tambour battant par Vasily Petrenko. On est enfin surpris par la cadence du premier mouvement interprétée de façon assez lente, créant même un sentiment étrange d'incertitude. Tout cela est accessoire par rapport à la sonorité magnifique et aux couleurs inouïes restituées par Hilary Hahn. Car finalement c'est tout l'enjeu sur le violon : la sonorité. Le Vuillaume 1864 chante avec une plénitude sublime et donne le frisson du premier au dernier mouvement. Il déploie sa voie chaude et fluide avec des nuances exquises. C'est admirable de bout en bout. Enfin, on notera la tension de la ligne, point clé de la réussite de cette interprétation, et maintenue de bout en bout.L'autre intérêt de ce disque réside dans la création au disque du concerto de Jennifer Higdon. La compositrice américaine a gagné le prix Pullizer avec 2010 avec ce concerto. Jennifer Higdon a enseigné la musique du XXème siècle alors que Hilary Hahn était son élève.
Ce concerto est splendide et comprend des trouvailles musicales particulièrement intéressantes, surtout sur le premier mouvement. La trame rythmique de ce dernier est construite avec une intelligence rare et les climats créés se succèdent de façon étonnante pour notre plus grande surprise. Le mouvement s'ouvre avec un motifs initié par le violon solo pour être repris par les percussions avec des références indéniables à différentes musiques (asiatiques ou slaves). A partir du minutage 3'08" le mouvement s'engage dans une rythmique et dans une trame cyclique dignes des grandes pièces de Stravinsky. Les glissandos effrayant du soliste et des violons de l'orchestre au minutage 3'49" créent une atmosphère hypnotique.
Les second et troisième mouvements sont moins singuliers mais traduisent un lyrisme certain, point de rattachement naturel avec le concerto de Tchaïkovski.
Sur le concerto de Jennifer Higdon, Hilary Hahn démontre une aisance époustouflante. La lecture de ce concerto est limpide, nous révélant tous les détails de cette œuvre avec netteté. L'architecture complexe de l'oeuvre est appréhendée avec une clairvoyance incroyable si bien que cette pièce, assez composite, comme beaucoup de compositions contemporaines, se déploie avec une certaine évidence et ce, dès la première écoute. L'orchestre démontre une belle fusion avec la soliste. Le tout est très cohérent, homogène, vif, dense, prenant.
Ce disque est incontestablement un coup de coeur du poisson rêveur. Je ne me lasse pas de l'écouter.Lien vers le site de Deutsche Grammophon pour en savoir plus.
Piotr Ilitch Tchaïkovski - Jennifer Higdon - Concertos pour violon et orchestre - Hilary Hahn (violon) - Royal Liverpool Philharmonic Orchestra - Direction Vasily Petrenko - Label Deutsche Grammophon.
Extrait : quatre premières minutes du premier mouvement du concerto de Jennifer Higdon.