Du je à nous et de nous à je

Par Lisbeth_hugen

Lorsqu'on est célibataire, la question du je et du nous ne se pose pas, on est irrémédiablement je, et on se rêve parfois nous. Et, a contrario, parfois quand on est nous on se préfèrerait je. Cette question est d'ailleurs d'autant plus intéressante dans la mesure où il y a de plus en plus de personnes célibataires en France.

Lorsqu'on est en couple, il y a toute cette tension entre le je et le nous à gérer. J'ai toujours été profondément marquée par mes ami(e)s qui, une fois en couple, ne se mettent qu'à parler uniquement en nous. Comme si l'individualité n'existait plus, comme si l'épanouissement ne peut jamais se contruire dans le je mais toujours dans le couple, dans le nous.

Cette tension entre le je et le nous m'est apparue assez violemment lorsque je suis allée voir une pièce au magnifique théâtre des Célestins de Lyon : Qui a peur de Virginia Woolf? (pièce d'Edward Albee, mise en scène par Dominique Pitoiset).

Cette pièce, qui se déroule dans les années 60, met en scène deux couples, le temps d'une soirée. L'un d'eux est un tout jeune couple : on y voit l'importance du nous qui apparait alors comme le ciment du couple. Puis, au fur et à mesure que se déroule la pièce, on voit que ces deux je sont devenus nous plus par intérêt que par amour. Ainsi, tout le romantisme se voit brisé par cette union de deux individualités qui aspiraient au nous qu'à des fins matérielles et d'asccencion sociale.

L'autre couple est plus âgé (plus de 20 ans d'union). Deux personnes (Martha et George) qui se sont unies par amour mais qui sont désormais usées par le temps. Le nous passionnel s'est brisé laissant sur le carreau deux individualités désespérées détruisant les moindres traces du nous et tombant ainsi dans le colère, le chagrin et la perversion et voulant entrainé dans sa chute le jeune couple plein d'ambition. Le nous est redenu deux je bourrés d'amertume.

La question du nous, au début d'une relation, parait évidente. Tout n'est que nous! Il faut dire que les premiers mois sont ceux de la découverte de l'autre : la découverte charnelle, relationnelle, intellectuelle... Les deux je ne font plus qu'un. Puis, une routine s'installe et le je doit à nouveau pouvoir s'exprimer afin de pouvoir pleinement s'équilibrer dans le nous et ne provoquer ainsi aucune frustration, aucune jalousie.

A l'heure où la Saint-Valentin arrive à grand pas accompagnée de ces vitrines dégueulant de petits coeurs, de nounours "I love You" et de pétales de roses, il est bon de se rappeler que l'amour ce n'est pas seulement toutes ces mièvreries commerciales, c'est aussi et surtout trouver l'équilibre, la tension parfaite entre le je et le nous.

 

Extrait du livre d’Edward Albee, traduit et adapté par Pierre Laville, Qui a peur de Virginia Woolf ?, ed. Actes Sud – Papiers, Paris, 1996 (1962 pour la version originale)

Martha : Ha, ha, ha, Ha ! Amour… donne-moi à boire.
George : Mon Dieu!
Martha (tanguant) : Écoute, chéri, de nous deux, c’est toi qui roules toujours sous la table… ne t’inquiète pas pour moi !
George : Ça fait des années que tu es une grande championne, Martha… pour tout ce qui est abject, tu mérites la palme.
Martha : Si tu existais vraiment, je divorcerais… je le jure.
George : Si tu veux, mais dans l’immédiat, fais des efforts pour tenir debout, c’est tout ce qu’on te demande… Ces gens sont tes invités, n’oublie pas…
Martha : Je ne te vois même pas… Ça fait des années que je ne te vois pas…
George : … essaie de ne pas t’évanouir, de ne pas vomir ou de…
Martha : … t’es un zéro, t’es un nul…
George : … et, surtout, essaie de rester habillée. Il n’y a rien de plus écoeurant que de te voir avec un verre de trop dans le nez et jupe par-dessus tête…
Martha :…un nul…
George: … par-dessus les têtes, serait plus juste…