« Il ne pensait pas à s’habiller. Son uniforme, qui était originellement vert, avait tourné au rouge ; sa cravate était devenue si étroite, si recroquevillée, que son cou, bien qu’il ne fût pas long, sortait du collet de son habit et paraissait d’une grandeur démesurée, comme ces chats de plâtre à la tête branlante que les marchands colportent dans les villages russes pour les vendre aux paysans. Il y avait toujours quelque chose qui s’accrochait à ses vêtements, tantôt un bout de fil, tantôt un fétu de paille.
Il avait aussi une prédilection toute spéciale à passer sous les fenêtres juste au moment où l’on lançait dans la rue un objet qui n’était rien moins que propre, et il était rare que son chapeau ne fût orné de quelque écorce d’orange ou d’un autre débris de ce genre. Jamais il ne lui arrivait de s’occuper de ce qui se passait dans les rues et de tout ce qui frappait les regards perçants de ses collègues, accoutumés à voir tout de suite sur le trottoir opposé à celui qu’ils suivaient un mortel en pantalon effilé, ce qui leur procurait toujours un contentement inexprimable. Akaki Akakievitch, lui, ne voyait que les lignes bien droites, bien régulières de ses copies et il fallait qu’il se heurtât soudainement à un cheval qui lui soufflait à pleins naseaux dans la figure, pour se rappeler qu’il n’était pas à son pupitre, devant ses beaux modèles de calligraphie, mais au beau milieu de la rue. »
[...]
« Depuis quelque temps Akaki avait dans le dos et dans les épaules des douleurs lancinantes, quoiqu’il eût l’habitude de parcourir au pas de course et hors d’haleine la distance qui séparait sa demeure de son bureau. Après avoir bien pesé la chose, il aboutit définitivement à la conclusion que son manteau devait avoir quelque défaut. De retour dans sa chambre, il examina le vêtement avec soin et constata que l’étoffe si chère était devenue en deux ou trois endroits si mince qu’elle était presque transparente ; en outre, la doublure était déchirée. Ce manteau était depuis longtemps l’objet incessant des railleries des impitoyables collègues d’Akaki. On lui avait même refusé le noble nom de manteau pour le baptiser capuchon. Le fait est que ce vêtement avait un air passablement étrange. D’année en année, le collet avait été raccourci, car d’année en année le pauvre titulaire en avait retranché une partie pour rapiécer le manteau en un autre endroit, et les raccommodages ne trahissaient pas la main expérimentée d’un tailleur. Ils avaient été exécutés avec autant de gaucherie que possible et étaient loin de faire bel effet. Quand Akaki Akakievitch eut achevé ses tristes explorations, il se dit qu’il devait sans hésiter porter son manteau au tailleur Petrovitch qui habitait au quatrième une cellule toute sombre. »
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