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Déluge : sauver les meubles

Publié le 03 février 2011 par Laurelen
Au début, on n’y croit pas, on réalise pas. On se dit que ça va passer, c’est pas vrai, c’est à la télé, le truc, on arrive encore à rigoler, le frigo est encore froid avec des bières dedans, alors on en distribue aux copains et aux voisins solidaires venus passer le premier coup de raclette. Et puis, le choc aidant, on a pas encore visualisé l’étendue des dégâts...
La première nuit, on dort à peine deux heures, après avoir déblayé le gros du gros à la lueur de quelques bougies, et commencé à se dire que merde, c’est vraiment la grosse grosse merde. On se réveille au petit matin toujours aussi grisâtre et pluvieux, dans une puanteur immonde de moisis de toutes sortes, livres, peluches, matelas, vêtements, chaussures, bois, placo, tout ça en train de pourrir, plein de courbatures, les jambes, le dos, les bras qui lancent, la tête complètement perdue. Y’a plus que le gaz qu’on peut remettre en marche, alors on se fait un café, on fait le tour de l’horreur en cinq minutes, on se rend compte que le parquet des chambres des enfants, qui se sont réfugiés chez mamie, est en train de gondoler grave. Des chambres terminées, fabriquées de nos mains depuis à peine deux ans. Alors là on se rend compte qu’on en est qu’au début, on va à la fenêtre, il pleut, pas un coin de ciel bleu pendant encore quelques jours, qu’y z’ont dit, on se tient là, le café à la main, et on chiale.

Faut dire que ça nous pendait au nez, on a acheté une maison entourée de friches qui descendaient vers une ravine, avant que le proprio de tout le quartier construise trois maisons sur les friches, en surélevant les terrains et nous enfermant dans une cuvette, notre jardin. Evidemment il a rien fait de potable pour l’évacuation des eaux du chemin qui descend droit chez nous. Malgré le courrier de mise en demeure suite à la montée à quelques cms de la porte le soir de noël 2008, juste après les cadeaux, et malgré les nouvelles promesses suite aux autres petites montées de 2010…
Alors forcément, samedi dernier, pour le coup ça a bien monté. Je m’étais toujours imaginé qu’on pourrait inonder de quelques centimètres, 5, allez, 10 maxi, qui partiraient vite et seraient nettoyés en un week end. Mais quand même pas 33 centimètres d’eau boueuse dans l’habitation principale, 42 dans les deux pièces du fond, et 53 sous la varangue, qui stagnent là pendant une heure avant de commencer à baisser !

Les enfants se mettent à hurler

Au début, on n’y croit pas. On a fait le tour du propriétaire en bottes, en voyant bien que ce coup ci on peut plus rien faire. Mais à l’intérieur, quand l’eau jaillit d’un coup de sous la porte de la salle de bains, et qu’on comprend que juste derrière, les 40 mètres carrés de la varangue sont déjà remplis de flotte, on le comprend mais on n’y croit pas. Les serviettes sous la porte ne servent strictement à rien, tandis que la femme se met à hurler et pleurer et que le gamin réclame sa crêpe depuis le salon… On va à côté, dans la pièce du fond, on jette les deux guitares sur le lit, quelques livres, un ou deux paquets de linges, quelques conneries sans réfléchir, le bruit du toit est assourdissant et on se dit que ça va très bientôt arriver dans les pièces principales de devant, élevées d’une marche. En effet, un voisin est déjà en train de bloquer le flot avec quelques planchettes de fortune à l’entrée. On les cale avec son pied, et on se retrouve coincé, si on bouge l’eau dévale dans la case, tandis que les enfants se mettent à hurler et pleurer à leur tour, debout sur le canapé. Téléphone. Les pompiers sont débordés, quant à la police, une dame nous demande d’évacuer les lieux, bien entendu. Joel, un copain, descend tout de suite.
Dix minutes plus tard, on a sauvé l’ordi, débranché et surélevé les câbles de la télé, et évacué les enfants, qui se sont retrouvés quelques instants, sans déconner, sur un clic clac qui flottait au milieu du salon. Puis, après l’affolement, l’impuissance totale, on rentre dans la quatrième dimension, et pour le coup la vie s’arrête pour quelques mois, la poêle à crêpe à côté du feu… Pour vous donner une idée, ci-joint une photo, notamment, du lit qui flotte dans la pièce du fond, pièce qui nous faisait jusqu’ici office de salle de musique, rangement d’outils et papiers, mais aussi de chambre en attendant que je finisse de construire la définitive.
Le parquet des chambres des enfants, la cuisine qui gonfle, les plinthes qui se décollent, le placo qui va sûrement s’émietter, les meubles, les jouets, les livres, k7, cd, dvd, les outils, ponceuse, meuleuse, débroussailleuse, la machine à laver, les lits, l’ampli guitare Fender vibroverb à lampes de mon père, 40 ans d’âge, bijou inestimable. Je ne sais pas ce qui est le pire, c’est simplement tout. Passer des journées à entreprendre les démarches, éponger du linge, jeter les livres, les jouets préférés des enfants, détruire des choses qu’on aimait, détacher vainement des vieilles pellicules de super photos des années 90, qu’on croyait à jamais immortelles… Passer ses nuits à décoller lentement les pages, 91 exactement, du recueil de poèmes écrit à 20 ans, et le roman, miraculeusement qu’au tiers mouillé, et les nouvelles, et les vieilles lettres passionnantes, en récupérer comme on peut, en jeter les trois quarts, comme d’antiques buvards, comme pour tout le reste…
Rentrer dans un supermarché pour acheter deux conneries et se retrouver complètement paumé, ne plus savoir quoi qui où on est dans quel rayon j’erre ? Le temps suspendu, comme dirait l’autre. Mélange d’hébétude, incompréhension, grosse dépense d’énergies, fatigue, peur, envie, et puis colère, bien sûr. Choc émotionnel, qu’il nous a mis le toubib. C’est à peu près ça.
Après on relativise, on a perdu nos repères mais on est pas mort, ni même blessé. On a encore à manger comme il faut, et les gens sont tous gentils avec nous. Quelque part, ça fait pourtant un peu comme la mort d’un être cher, sauf que là on sait qu’on aura une chance de le revoir. Donc rien à voir, pas si grave comme qui dirait. Mais on sait qu’on ne sera plus vraiment le même à partir de là, par exemple chaque fois que la pluie tombera, même doucement, sur le toit, on aura du mal à dormir. Et, par exemple, la reconstruction ne sera en aucun cas une reconstruction, mais justement une toute nouvelle construction, qui se devra d’être plus forte et excitante que la précédente. Tout de même, on a hâte de résoudre ce problème d’évacuation, et aussi d’être dans six mois, quand on aura réussi à reprendre un vrai poil de la bête, et que le chèque des assurances ne devrait pas tarder à tomber, en espérant qu’il soit à la hauteur. Et aussi, surtout, dans combien de mois, quand monsieur le juge tapera du maillet sa sentence au proprio du quartier, qu’aurait pas dû se foutre de la gueule du monde…

Arthur

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