« Il a disparu il y a environ 30 000 ans ».
En 2010, les chercheurs ont percé les mystères de son génome.
« Quelle est la part de Neandertal en nous aujourd’hui ? »
C’est là le sujet de ce documentaire allemand, qui témoigne d’une sorte de « miracle » scientifique.
Qui aurait pu penser que nous en arriverions là un jour ?
« A l’origine et en plein cœur de cette aventure », les chercheurs de l’INSTITUT MAX-PLANCK de Leipzig, qui, pour nous, évoquent leur pour le moins étrange « voyage dans les gênes ».
A la tête de leur équipe, le scientifique suédois Svante PAABÖ a « voué sa vie » à l’étude de Neandertal. Il nous déclare : « je me fiche de savoir qui a couché avec qui il y a 30 000 ans, ce qui m’intéresse, c’est l’incidence que ça a pu avoir sur ce que l’Homme est aujourd’hui ».
Et l’Allemand Johannes KRAUSE , son « bras droit », d’ajouter, à propos du séquençage de l’homme préhistorique : « ça a été un grand moment ».
Presque aussi grand que le premier pas de l’humanité sur la lune (quoique moins spectaculaire) ?
Sans aucun doute.
« Troisième pilier » du groupe de recherche, un généticien français, HUBLIN, se met à évoquer le fascinant cousin fossile en le présentant comme suit : « Ils étaient très proches de nous, mais quand même très différents ».
Voilà de quoi nous intriguer…
En dernier ressort, le grand intérêt de pareille recherche se résume à la question suivante : « au cours de l’évolution, d’autres espèces [humaines] ont existé, et elles ont toute disparu », sauf nous…mais pour quelles raisons ?
Taraudés que nous sommes par notre propre « solitude », nous brûlons de le savoir.
Tout naturellement, « les recherches se sont orienté vers la comparaison de trois génomes : celui de Neandertal, celui du chimpanzé et celui de l’Homo Sapiens ».
Il faut savoir que l’ « opération Neandertal » « va durer plus de quatorze ans » et que « différentes pistes furent testées ».
Au commencement ?...Une valise ! Rien qu’une simple valise, oui, mais elle contenait les premiers restes néandertaliens à avoir été découverts : remontant à 42 000 ans, ce sont ceux d’un individu âgé d’une quarantaine d’années au moment de sa mort.
Mais revenons un peu en arrière : au XIXe siècle, près de Düsseldorf, en Allemagne, se trouvait la « petite vallée de Neander » (en allemand neanderthal). Durant l’été 1856, des ouvriers qui y travaillaient dans une carrière font la découverte d’ossements pour le moins bizarres, qui, d’emblée, intriguent. Ces ossement furent, par la suite, identifiés par un instituteur local, ce qui déclencha…rien moins qu’une « révolution » !
En effet, à l’époque (époque où Charles DARWIN publiait son Origine des espèces), beaucoup de gens n’admettaient pas l’existence d’un homme archaïque et, pour des raisons liées à la religion et/ou au simple orgueil humain, étaient plus que rebutés à l’idée de « descendre su singe ». Très vite, le fossile qui devint « l’Homme de Neanderthal » fut assimilé au « chaînon manquant » entre singe et Homme que les premiers préhistoriens recherchaient à ce moment-là.
« Dès le départ, la réputation de Neandertal est donc désastreuse ». On se forge, tant dans les cercles savants que dans le grand public, l’image d’un mixte de singe et d’Homme, à savoir d’« une brute épaisse pas très futée », qui ne pensait qu’à brandir son gourdin !
Et pourtant, nous dit un savant (contemporain, celui-là), il est temps de remettre les pendules à l’heure.
On a jugé Neandertal, on lui a collé une étiquette sans le connaître.
« Cette espèce a subsisté 200 000 ans », ce qui n’est pas rien. Il y faut, tout de même, du mérite !
En fait, « NEANDERTAL, C’EST NOTRE DOUBLE DISPARU ; L’AUTRE HOMME ».
Certes, ne nous leurrons pas non plus : « on serait surpris par sa tête très volumineuse, son visage saillant ». Par sa force colossale, aussi : « certains mâles pesaient près de cent kilos » sans cependant être gros.
Dans les années 1990, Ralph SCHMIDT s’est livré à des recherches, au terme desquelles le site de la vallée de Neander, devenu depuis longtemps inidentifiable, a pu être retrouvé. Peu de temps après (1997), dans cette grotte de Neanderthal « redécouverte », de nouveaux ossements ont été mis au jour.
Ces nouveaux échantillons vont jouer un rôle capital, puisque SCHMIDT va les « proposer » à l’Institut Max-Planck de Leipzig, en vue d’un décryptage de génome.
« Un humérus particulièrement épais est mis à contribution » : le génome, très ancien, étant naturellement endommagé, on sélectionne un fragment de cet os, que l’on transforme en une fine poudre, après quoi on chauffe plusieurs fois l’ADN, ce qui permet d’en obtenir des « copies » en très grandes quantités. Hélas, on tombe rapidement de haut : l’ADN est contaminé par des ADN de champignons, de bactéries et…d’hommes modernes, en la personne des laborantins !
Cependant, les savants s’obstinent et, en juin 1997, c’est le succès, qui entraîne la publication des résultats : tout, alors, indique que « les Néandertaliens ne sont pas vraiment nos frères mais plutôt nos cousins ».
Mais des voix « discordantes » se lèvent, entre autre, celle d’Eric TRINKAUS, qui, lui, se déclare « convaincu du contraire ». Trinkaus avance ses raisons : spécialiste réputé de Neandertal, il a, au cours de ses recherches, été amené à constater l’existence de squelettes ambigus, porteurs de caractéristiques propres à la fois à l’Homo Sapiens et à Neandertal.
« Les flux de gênes font partie de l’histoire normale des populations », nous explique-t-il.
Trinkaus a donc contesté les premiers résultats de l’Institut Max-Planck, et les généticiens allemands ont poursuivi, en les affinant, leurs recherches. En fait, ils n’avaient étudié que de l’ADN porté par les mitochondries (des organites servant de « centrales énergétiques » à chaque cellule vivante), uniquement transmis par la mère.
En 2006, ils eurent besoin de nouveaux ossements, des ossements qui soient porteurs de l’ADN nucléaire (cet ADN, contenu, lui, dans le noyau de la cellule, est plus complet que le précédent, puisqu’il est transmis par le père et par la mère).
On fit appel à des os de provenances diverses : Croatie, Espagne et Russie, et l’on sélectionna des échantillons, au nombre de cinq.
La « piste croate » fut privilégiée par Y. Krause. A cela, de très bonnes raisons : la Croatie est très riche en vestiges néandertaliens et une grotte, notamment, près de Zagreb, a été « fréquentée pendant des générations » par des représentants de cette espèce ; « on y a retrouvé les plus récents des néandertaliens connus ». Il s’agit d’une « grotte karstique », et l’on fut fort bien inspiré de miser sur elle : elle livra « des échantillons étonnamment adaptés aux recherches génétiques ». Parmi ceux-ci, « un os exceptionnel » se signala : il contenait « très peu d’ADN microbien et de contamination humaine ».
A Leipzig, par ailleurs, l’Institut s’était entre- temps doté de tous nouveaux équipements et de « salles scrupuleusement stérilisées ».
Avec une telle « technologie de pointe », le décodage était désormais « à portée de main ».
Obtenus en 2010, les résultats laissèrent les chercheurs absolument « perplexes ». En témoigne le commentaire dont nous gratifie Svante PAABÖ : « il [Neandertal] n’est pas aussi distinct de nous que nous l’avions supposé ».
Ainsi va la science : de remise en question en remise en question. Jamais fixée sur des certitudes établies une bonne fois pour toutes.
La science, c’est d’abord le doute et le débat, l’épreuve de l’expérimentation toujours recommencée – et toujours source de surprise. C’est ce qui la rend si captivante !
Pour en revenir à notre bon vieux Neandertal, il s’avère maintenant que 1 à 4% de notre génome de Sapiens portent sa trace !
A tout le moins « chez les Européens et les Asiatiques » car cette donnée ne concerne pas « certains Africains ».
Le plus surprenant est que même les habitants de Papouasie, une région où Neandertal n’a jamais mis les pieds, comptent ses gênes dans leur patrimoine génétique, ce qui soulève un mystère de taille.
Les savants se sont interrogés : comment cela était-il possible ?
L’explication la plus plausible, ils n’ont cependant pas tardé à l’avancer : « le croisement a sans doute eu lieu anciennement, et au Moyen-Orient », sas de la sortie de l’Afrique en direction des autres vieux continents.
Succédant, mais longtemps après, aux pré-néandertaliens qui étaient d’abord sortis du continent africain pour évoluer ensuite en néandertaliens au Proche-Orient puis en Europe, les Hommes modernes quittent à leur tout l’Afrique il y a 100 000 ans et, au passage, lors de leur traversée du Proche-Orient en direction de l’Eurasie, se mélangent aux Neandertal ! Voilà un scénario qui se tient.
A noter, aussi : « l’ADN néandertalien est absent au sud du Sahara, et pas au nord »…ce qui correspond au peuplement de l’Afrique du Nord par des populations europoïdes (tels les Berbères, et les Arabes).
Trinkaus, pour sa part, se dit « fier » d’avoir des Hommes de Neandertal pour ancêtres, non sans souligner leurs caractères propres d’endurance, de résistance.
Reste qu’en dépit de ces qualités, ces malheureux disparurent complètement de la surface du globe il y a 28 000 ans, sans que l’on ait la moindre idée de ce qui a pu amener une telle catastrophe.
« On a déployé des efforts considérables pour répondre à cette question », admet l’un des scientifiques.
Mais cette question, au lieu de trouver une réponse, en a convoqué d’autres :
« pourquoi Neandertal a-t-il disparu au moment où sapiens apparaissait ? »
« pourquoi notre espèce est-elle devenue si invasive ? ».
Pour PAABÖ, l’étude de Neandertal n’est en rien vaine, gratuite : « il faut établir des comparaisons pour mieux nous connaître », répète-t-il.
Wolfgang ENHARDT, pour sa part, a choisi de s’intéresser aux chimpanzés.
« Les singes ne peuvent pas parler », et ceci pour une bonne raison : ils ne possèdent pas, dans leur patrimoine génétique, le gêne FOXP2, encore appelé « gêne du langage ».
« FOXP2 conditionne la capacité de parler ». Comme le prouvent des expériences menées avec des souris, « il modifie la structure du cerveau et la capacité de communiquer ».
Or, ce gêne crucial est présent chez Neandertal, comme chez nous ; on l’a retrouvé dans son génome.
Tout porte à croire que « Neandertal était vraisemblablement capable de parler ».
Mais, s’il parlait, de quelle manière ?
Là, il faut faire appel aux scanners et aux tomodensitomètres.
Grâce à eux, un Neandertal en 3D a pu être créé, et l’on a pu, à cette faveur, constater que son canal vocal n’était pas exactement semblable au nôtre et qu’en conséquence, il émettait des sons « un peu différents ». Le savant précise : il avait « une voix beaucoup plus aigue ».
Par ailleurs, toujours selon ce que révèle cette reconstruction virtuelle, son cerveau, quoiqu’assez volumineux, était lui aussi organisé différemment du nôtre.
Qu’en était-il des capacités techniques de cet Homme de l’âge de pierre ?
Comme beaucoup d’autres choses le concernant, elles ont été « reconsidérées ».
Une mine de lignite dans le nord de l’Allemagne a révélé de très anciennes traces d’occupation humaine. Des « fouilles de grande ampleur » y ont pointé la présence, il y a 300 000 ans, de pré-néandertaliens qui chassaient des troupeaux de chevaux, armés de lances que l’on a retrouvées, en état d’excellente conservation.
Ces lances, à ce jour, sont les plus anciennes de l’humanité. Pour les fabriquer, il fallait, sans nul doute, « réfléchir, se projeter dans l’avenir ». Cette arme ressemble à nos javelots de façon troublante.
Autres découvertes, effectuées sur le même site du nord de l’Allemagne : « des grains, des traces de cendres et de charbon, des restes de petits animaux ».
Aucun doute là non plus : ces êtres « faisaient du feu et le maîtrisaient, avaient des huttes et se couvraient de vêtements ».
Alors ? Qu’est-ce qui a bien pu précipiter la « chute de Neandertal » ?
Pour les savants, la chose parait entendue : « si les hommes modernes ont supplanté les Néandertaliens, c’est parce qu’ils étaient différents ».
Mais encore ? « Quel fut l’élément minime qui a fait la différence entre les deux espèces ? »
Les isotopes nous indiquent que les Hommes de Neandertal étaient de « super prédateurs », et qu’ils mangeaient donc surtout de la viande.
A KRAPINA (ex Yougoslavie), les restes de 28 individus de l’espèce Neandertal font peser sur leur groupe de graves présomptions de cannibalisme.
« Les os portent des traces de coupures, de brûlures, de débitages »…brrr !
Du reste, il existe d’autres preuves de comportements anthropophages liés à l’Homme de Neandertal en Europe.
On s’interroge, bien sûr, sur les raisons de la présence de pareils « restes macabres ». Raisons rituelles ? « Situations extrêmes » de disette, par manque de viande ? Elimination d’ennemis appartenant à d’autres groupes, des groupes rivaux, par le biais de la dévoration de leurs enfants ?
L’étude d’un des crânes de Krapina dévoile, en tout cas, des marques à caractère « cultuel ».
Autre mystère, qu’aborde Trinkaus : « pourquoi Neandertal ne produisait-il pas d’œuvres d’art ? ».
Pour essayer de lever ce voile épais, Krause cherche des gênes liés à des particularités cognitives, empathiques ou artistiques. Il signale la présence d’ « un certain autisme des grands singes », auquel il attribue le fait qu’ils ne se regardent jamais dans les yeux. On peut, peut-être, trouver ces affirmations quelque peu « audacieuses »…
Toutefois, aux dires de Paabö, « plusieurs zones du génome sont liées au développement cérébral ». Reste à savoir « quels sont le gênes qui pilotent notre intellect ».
Nils BROSE, lui, est plus catégorique : « Neandertal n’a pas eu la même différentiation des fonctions cérébrales que nous ». On peut même se demander s’il n’était pas, comme les grands singes, un peu « autiste ».
S’il l’on se réfère, dans le cas présent, à l’autisme, c’est que ce syndrome est un bon révélateur du fait que « les gênes agissent sur les neurones ».
Nombre de scientifiques pensent que le cerveau neandertal « fonctionnait autrement ». Moins sociables ?
On ne manque pas de faire remarquer qu’ « un bon réseau social est un avantage » et que, dans la foulée, c’est peut-être là la raison du succès de Sapiens.
La grotte d’El Cidron, en Espagne, a livré les restes de neuf individus néandertaliens très peu contaminés. Analysés en détail, ces restes ont permis d’aboutir à un constat : « les néandertaliens tardifs portent des indices génétiques de consanguinité », leurs « pools génétiques » sont manifestement « restreints ».
« Il y a 30 000 ans, les populations néandertaliennes comptaient 20 000 individus peut-être, elles étaient très réduites ». Une conclusion, ainsi, s’imposerait : « ils se sont éteint », tout simplement.
Une question demeure pourtant : nos ancêtres les ont-ils « aidé » à s’éteindre ? Auraient-ils donné le coup de grâce final, terme d’un long processus de déclin, de dégénérescence naturel ?
Il est certain que l’homme moderne provoque des extinctions d’espèces (on le constate tous les jours).
Dès lors, une autre question surgit, qui peut, à bon droit, être posée : « sommes-nous vraiment les grands gagnants de l’évolution ? ».
En attendant l’éventuelle réponse, les recherches sur le génome de Neandertal se poursuivent.
Paabö nous l’assure : « c’est un outil des biologistes de demain ».
Le commentateur conclut : « l’aventure ne fait que commencer » !
Gageons qu’elle permettra – ainsi qu’elle se le propose – d’isoler plus nettement ce qui, en nous autres, est unique, si remarquable…et si nuisible !
P.Laranco