Alternatives à la rue et l’école traditionnelle

Publié le 03 février 2011 par Raymondviger

Éducation alternative

L’école de la rue

Depuis une dizaine d’années, les jeunes décrocheurs de Chicoutimi ont une alternative à l’école traditionnelle, à la rue et à l’isolement. Pour comprendre et accepter leur souffrance, ils retournent en classe. Bienvenus sur les bancs d’OVNI, l’école de la rue.

Dominic Desmarais   Dossiers Éducation, École à la maison

Ils ont de 15 à 25 ans. Toxicomanie, prostitution, violence, exclusion, souffrance. Ils ont décroché. De l’école. De la vie. On y retrouve des punks, des yo, des preps. Ce mélange de styles leur donne des airs d’extraterrestres. D’où l’origine du nom de l’école. OVNI: Ouverture Vers Notre Indépendance.

Se retrouver à la rue

À 16 ans, Stéphanie a abandonné l’école. Elle ne voulait plus retourner à la polyvalente. Sa mère l’a mise à la porte. Elle entend parler d’OVNI et rencontre le responsable de l’école, Gary Tardif. «J’ai tout de suite embarqué!» s’exclame-t-elle, toute joyeuse. Depuis deux ans, la jeune femme assiste à ses cours. Elle est retournée vivre avec sa mère. «OVNI m’a redonné goût à l’école. J’aime vraiment ça», affirme-t-elle avec enthousiasme.

C’est la mission d’OVNI. Redonner le goût aux jeunes de l’apprentissage scolaire, les remettre en projet de vie et leur donner des objectifs académiques. «Les ¾ des étudiants feront leur français, leur anglais et leurs math. Pour aller au DEP, en secondaire 4, explique Gary Tardif, responsable et éducateur de l’école. C’est de l’enseignement régulier. On respecte qu’ils soient différents. Mais ils ne sont pas moins intelligents.»

«Un jeune qui vient ici, on le stimule. Il souffre. Une fois que c’est réglé, il peut exploser académiquement. Il peut devenir médecin, s’il le veut. J’ai 2 étudiants qui sont à l’université. Une en travail social. Je vais peut-être travailler avec elle un jour!» Stéphanie en est la preuve. Déçue par son expérience de la polyvalente, elle a repris goût aux études. Elle se dirige vers les études collégiales pour devenir intervenante en toxicomanie.

Établir une relation avec le jeune

Il y a une dizaine d’années, Gary travaillait comme surveillant le midi dans une polyvalente. Un capeux, comme il se plaît à nommer ce travail. Le directeur l’aborde. «Les plus durs se sauvent des autres surveillants. Toi ils te courent après!» Il parle de son projet à Gary. Une autre manière d’enseigner. Le projet OVNI voyait le jour.

Lui même décrocheur pendant quelques années, malcommode pendant son enfance – mais pas comme mes étudiants, précise-t-il d’un ton chaleureux, Gary embarque. «Je suis allé sur la rue, dans les arcades. Les endroits où ça brasse. C’est là que j’ai trouvé mes étudiants.»

Ce retour dans le passé fait ressortir des souvenirs de la première heure. «J’oublierai jamais mon premier matin. Assis dans le fond d’un local, prêté par un commerçant. Pas de tables, de chaises, de crayons… Les jeunes m’ont demandé ce qu’on allait faire. On a commencé par faire le ménage! Je ne me suis pas trop cassé la tête.» Cette façon d’aborder les cours, c’est la méthode OVNI. Gary avoue ne pas respecter sa planification les ¾ du temps. «Ici, on est dans la tempête à tous les jours.»

La trentaine de jeunes écorchés est encadrée par deux professeurs. Gary et Gloria Girard. Les élèves reçoivent la visite d’un enseignant pour le français, à raison de 6 à 10 heures par semaine. Un CLSC de Chicoutimi dépêche une de ses infirmières une demie journée par semaine. Au besoin, un psychologue est disponible. Une peintre de la région, Nancy Bergeron, offre des ateliers d’arts. Une façon d’aider ces jeunes à exprimer leurs émotions. «J’ai découvert que j’aimais les arts, dit Stéphanie avec une fraîcheur bien de son âge. On a fait un vernissage, l’an passé. Je vivais quelque chose de pénible. J’étais pas capable de dire ce que je ressentais. J’ai peint mes émotions, en quelque sorte.»

La présence se veut volontaire. Les jeunes peuvent claquer la porte et ne plus revenir. Ils ne sont pas rémunérés pour suivre les cours. «Ça fait du sens. Des étudiants payés, ça rentre 6 mois, ça fait un stage, ça bonifie son CV et c’est terminé. Ils ont juste été payés plus longtemps», estime Gary.

Une proximité difficile à gérer

À côtoyer ces jeunes, Gary et sa collègue Gloria doivent tolérer l’intolérable. Accepter la différence. «C’est important de créer un bon climat ici. Pour que les jeunes puissent exprimer leur souffrance. On crée un bel esprit de famille. On rassure les jeunes. C’est plus facile de parler. Ça prend une bonne ouverture d’esprit», dit Gary avec entrain. Il aime bien ses jeunes, ça s’entend. Gloria et lui font également office de parents, d’amis, de confidents. «Disons que ça prend quelqu’un qui travaille plus avec son cœur qu’avec sa tête», résume-t-il.

Stéphanie le confirme. «Ici, c’est cool. Personne se juge, peu importe le style, la façon de penser. Il n’y a personne à l’écart. Comme une grosse famille. Le prof est comme ton ami… plus un prof! Même en dehors de l’école. Il ne te laissera jamais seul», raconte la jeune étudiante, qui avoue avoir reçu beaucoup d’aide de Gary pour sa vie personnelle.

Enseigner avec son coeur

Enseigner avec son cœur signifie aussi se choquer, à l’occasion. De façon constructive, précise Gary. «C’est dire je t’aime, je te respecte. Mais j’ai pas envie de te voir mourir parce que t’es toujours gelé. J’en ai assez enterré de flots (jeunes)… Une douzaine depuis le début.» La voix de Gary s’éraille un peu. L’éducateur se reprend vite.

«On se met pas la tête dans le sable. Si un flot décède, les jeunes le savent. Ma consœur a une formation en suicide. On prend le temps de jaser avec eux de ça. On essaie d’aborder ça avec réalisme. Le petit gars consommait à outrance. Il s’est passé la corde au cou…»

Facile, de garder ses distances, quand on doit jouer le rôle de père, d’ami et de confident? Pas toujours. Un matin, Gary se rend à toute vitesse aux soins intensifs. Un de ses élèves d’est suicide. Il a craqué. «L’infirmière m’a pris dans ses bras. Elle m’a réconforté. Il venait de décéder. Ç’a été le plus difficile pour moi. Je n’étais pas capable d’admettre son suicide. Parce que j’étais plus proche de lui. Certains sont plus effacés. Lui, il prenait toute la place. Il n’était pas violent, malgré son allure de gros bum. Une soie en dedans. Le protecteur de la classe…» Cette fois, le timbre de sa voix s’essouffle. Le coup porte encore. On sent une retenue à peine voilée de ne pas fondre en larmes.

«C’est le décès le plus dur à ce jour. Avec l’expérience, c’est triste à dire, tu sais ce qui va arriver. Lui, jamais j’aurais pensé. D’autres, on savait qu’ils le feraient…» Il a pensé quitter OVNI. Pour ne pas sombrer. Ce qui l’a retenu? «J’ai entendu un jeune dire à un journaliste lui est mort, mais OVNI en a sauvé combien? Moi il m’a sauvé. Alors je pense à ceux qui s’en sont sortis. Je me raccroche. J’oublie pas ceux qui sont partis. Mais la flamme te rallume vite avec des commentaires comme ça.»

Gary a compris qu’il doit se concentrer sur les succès. Qu’il est là pour aider, pas pour sauver. Aujourd’hui, il n’a plus besoin de faire le tour des arcades pour recruter ses étudiants. Le bouche à oreille suffit amplement.

Autres textes sur Éducation

Le décrochage, histoire de sexe?

Les multiples facettes du décrochage

Musique, décrochage et théâtre avec Sans Pression

Grandir loin de toute scolarisation

École à la maison, caravane étudiante

Réussir à l’école malgré un trouble de l’apprentissage

Kistcisakik: le village sans école

Écoles musulmanes à Montréal

Choisir l’école à la maison

Apprentissages clandestins

Éducation désaccordée

CAP libre: éducation alternative pour jeunes décrocheurs

Ce billet, ainsi que toutes les archives du magazine Reflet de Société sont publiés pour vous être offert gracieusement. Pour nous permettre de continuer la publication des textes ainsi que notre intervention auprès des jeunes, dans la mesure où vous en êtes capable, nous vous suggérons de faire un don de 25 sous par article que vous lisez et que vous avez apprécié.

Merci de votre soutien.

PUBLICITÉ