Mehdi, 29 ans, parle SIX langues. Chef de salle non contractuel dans un hôtel très haut de gamme à Hammamet, il fait partie de "la génération sacrifiée" par une politique où, pour réussir, il fallait trop souvent payer. Mehdi a accepté de revenir sur ces moments vécus avec ses amis en janvier 2011 à Hammamet, cité Ezouhour.
Photo (c) DR Il est amaigri, corps d’ascète. Je connais Mehdi depuis une dizaine d’années et j’apprécie sa vive intelligence. Mais depuis l’automne, lors de nos échanges téléphoniques, il semblait avoir perdu cette joie de vivre qui fait éclater son rire comme un carillon ! Lorsque nous nous retrouvons, dans un salon de thé d’Hammamet, Mehdi évoque cette "révolte du peuple" comme il aime à souligner. Calmement et avec méthode Mehdi se débarrasse d’un poids.
Celui de l’Histoire.
"Tu sais, nous les chômeurs on se regroupe dans les cafés et on essaie de savoir ce qui se trame… à partir du 15 janvier nous avons compris que l’évasion des prisonniers-voleurs- pas les prisonniers politiques – les malhonnêtes était un acte pour déstabiliser notre révolution. Et nous avons, spontanément, créé des groupes de surveillance afin de protéger nos quartiers, nos rues, nos familles".
Mehdi sera parmi les premiers à s’équiper d’un bâton et à se joindre au groupe d’une cinquantaine d’hommes "nous devions surveiller les mouvements suspects dans la cité Ezouhour que traverse l’avenue Med 5. Nous nous sommes partagés les heures de garde. Ainsi, les hommes mariés veillaient de 18h à 23h, les célibataires prenaient la relève de 23h à 6h du matin".
Les mots se bousculent dans les volutes d’un thé à la menthe. Mehdi n’en revient pas. Il évoque, parce que j’insiste, le froid mordant de ces nuits de garde mais aussi les rires autour du thé partagé dans la rue, un feu allumé sur le trottoir "tu sais, nous c’est rien. Ce sont ceux de Kasserine, Gafsa et Sidi Bouzid qui ont plus soufferts" lâche-t-il dans un souffle.
Lorsque le calme est revenu, Mehdi et ses potes chômeurs ont très vite pensé "à ceux qui sont très pauvres, ici, à Hammamet. Certains sont jardiniers dans les villas mais comme tout était stoppé ils n’avaient plus rien du tout pour leur femme et leurs enfants". C’est ainsi que s’est mise en place, aussi spontanément que le groupe de surveillance, une chaîne de solidarité "nous ne sommes pas riches car tu sais, ici, un chômeur ne gagne rien" précise Mehdi dans un rire "mais nous avons fait le fond de nos poches et récolté 480 dinars (NDLR: 220 euros environ) et nous sommes allés chez nos épiciers de quartier acheter de la semoule, du pain. Tous nous ont donné des aliments en plus. Ensuite nous avons dressé la liste des personnes à qui tous ces produits seraient indispensables et nous avons fait la distribution. Comme il en restait un peu nous nous sommes mis dans la rue et nous avons offert le surplus". Le visage de Mehdi s’illumine à l’évocation de ces souvenirs "je t’assure je n’avais jamais ressenti une telle joie, bizarre ces sentiments… Et mon pharmacien qui me dit "Mehdi tu peux aider toi, tu connais les personnes qui ont besoin de sirop contre la toux ou de médicaments contre la fièvre, alors voilà des colis tu les distribueras". J’interroge à nouveau Mehdi sur la coordination de ce mouvement. Il balaie mes questions d’un geste de la main "non je te dis ! C’est spontané. Tu sais nous nous connaissons bien. Nous avons simplement montré que le jour où notre pays la Tunisie a besoin de nous, nous sommes là ! D’ailleurs ce dimanche 6 février un grand rassemblement a lieu. C’est parti d’un message. Moi je sais que j’ai rendez-vous avec mes amis à 8h45. Des voitures, des bus qui vont arriver de toute la côte et du Nord direction SIDI BOUZID, GAFSA, KASSERINE. Nous serons des milliers je pense". Lorsque je demande la raison de ce rassemblement Mehdi est surpris "nous devons remercier les habitants de ces régions, beaucoup de morts, de blessés. Nous DEVONS les remercier de leur contribution à la "révolte du peuple" tu écriras bien ça "révolte du peuple" hein ?"
Avant de nous séparer je demande à Mehdi quels sont ses espoirs aujourd’hui en Tunisie ?
"Espoir ? C’est un mot que j’avais presque oublié. Rien n’est clair. On rêve. Juste on rêve pour le moment. Et on parle". Autres articles avec des tags similaires
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Lydia Chabert-Dalix, le 03/02/2011