Les Compagnons du crépuscule, tome 2nd

Par Ledinobleu

« Celle-ci dura, dit-on, cent ans… »

En mettant la terre à feu et à sang, les soldats nourrissent la soif de vengeance qui fait tomber la fatalité sur les innocents. Ainsi Mariotte se retrouve-t-elle isolée des deux autres, en compagnie d’une vieille folle et de sa bien étrange petite-fille : toutes deux connaissent des contes très anciens qui, il y a encore peu, étaient tout à fait réels. Reste à savoir quel côté de l’échiquier sert le sujet de ces fables…

À travers les landes et les marécages, les cavernes et les songes, les Compagnons devront se frayer un chemin jusqu’à la Ville Glauque pour conjurer un mauvais sort jeté bien des siècles auparavant.

Après le voyage, voici la quête – ce qui somme toute convient bien assez à un récit qui se réclame du médiéval-fantastique. Sauf que la mode n’était pas vraiment à ce genre-là à l’époque ou Bourgeon dessina cet album, et par-dessus le marché il n’est pas auteur à s’aligner sur les autres pour commencer : ici, il cède moins aux sirènes d’une espèce littéraire quelconque qu’à celles d’une région qu’il habitait depuis peu et dont on dit que les fées ne l’ont jamais vraiment quittée… Encore une fois, son récit prend racine dans les mythes et légendes du folklore celte de Bretagne au lieu du grand-guignolesque des jeux de rôle de bas étage et du cinéma fantastique bon marché.

Après la forêt, voici la mer – siège de la vie mais aussi des songes et de l’imagination, c’est-à-dire de la création sous toutes ses formes. C’est aussi un symbole féminin et il apparaît donc assez logique que ce récit introduise un personnage supplémentaire sous la forme d’une femme – même si c’est surtout une très jeune fille, encore que tout dépend de l’époque qu’on considère. Car ici, les siècles se télescopent, se juxtaposent, se superposent, et ce qui se produit à une date s’avère bien souvent l’écho d’une situation semblable antérieure – à moins qu’il s’agisse des premières résonances d’actes encore à venir… L’auteur s’amuse beaucoup, en fait, à nous présenter les pièces de son puzzle à travers un scénario et un découpage des planches assez peu communs, qui reflètent à merveille le cheminement bien souvent tortueux des légendes au fil du temps.

Après la promesse, voici la confirmation – celle de l’immense talent d’un auteur capable comme bien peu d’autres de jongler d’un genre à l’autre avec une maestria rare. À l’Histoire, Bourgeon mêle ici la Poésie, pour faire l’apologie d’une culture éradiquée par des envahisseurs successifs et dont il ne nous reste que ce qui alimente nos songes : des légendes…

Chroniques de la série Les Compagnons du crépuscule :

1. Le Sortilège du Bois des Brumes
2. Les Yeux d’Étain de la Ville Glauque (le présent billet)
3. Le Dernier Chant des Malaterre (à venir)

Les Compagnons du crépuscule, t.2 : Les Yeux d’Étain de la Ville Glauque
François Bourgeon, 1985
Éditions 12 bis, février 2009
51 pages, env. 13 €, ISBN : 978-2-356-48061-3