Ainsi, nous sommes revenus en long et en large sur les années de plomb, la torture, Hassan II... Nous avons parlé du salaire du roi, de sa vie, de ses hobbies...Nous avons décortiqué les tabous sociaux: homosexualité, sexe, jeunesse dorée... Nous avons même appelé à la réforme de la lecture du Coran, chose incroyable sous un régime basé sur la Commanderie des Croyants et même presque une hérésie dans d'autres pays musulmans. Chaque jour, on poussait les lignes rouges un peu plus. Ce mouvement de liberté était accompagné par une action sociale Royale des plus dynamiques et un courage dans le traitement de l'héritage du passé à travers l'Instance d'Equité et de réconciliation (IER).
En 2008, quelque chose a radicalement changé. Le Pouvoir, qui suivait ce vent de libertés d'une manière visiblement agacée, décida de sévir. Et de la pire manière. Il frappa douloureusement certaines rédactions à travers des fermetures de bureaux et des jugements surréalistes. Certains procès étaient justifiés par des débordements avérés, mais la plupart de ces actions de représailles étaient surdimensionnés par rapport aux informations publiées. Les annonceurs, paniqués suite à ce volte-face, arrêtèrent toute collaboration avec les médias maudits, de peur qu'on s'en prenne à leur business. C'est l'asphyxie pour certaines rédactions, obligées de fermer. D'autres s'en étaient tiré, mais à en y laissant des plumes. Le reste de la presse, c'est à dire celle qui n'a jamais voulu s'aventurer sur le terrain des lignes rouges, avait perdu quelque chose elle aussi. Car la colère de l'Etat l'avait poussé à...s'autocensurer. Et de plus en plus.
Il y a deux ans, le paysage était des plus chaotiques. La réputation de la presse marocaine était au plus bas. Une grande partie des cercles politique et économique relayait un discours de dénigrement des journalistes d'une virulence inouïe. Un discours, justifié entre autres, par la montée de quelques lignes éditoriales populistes qui haranguent les foules et enveniment les relations sociales au lieu de jouer sainement un rôle de "leader d'opinion". Le manque de moyens humains et financiers induits par l'asphyxie financière des médias, le boycott des annonceurs et leur retrait de la scène du débat, ont fini par achever ce qui restait des années de gloire de la presse marocaine.
Avec ce qui s'est passé en Tunisie, en Egypte et ce qui se prépare dans d'autres pays arabes, le Maroc se trouve face à une réalité qui le rattrape. Car grâce à cette parenthèse qu'il a ouvert dans la liberté de la presse, il a désamorcé des tensions sociales, économiques et politiques. Tensions qui auraient entraîné des débordements, peut-être pire. Pour dire les choses telles qu'elles sont, nous réalisons enfin que cette presse "maudite" a finalement rendu service au Maroc.
Les décideurs marocains sont en face d'une question cruciale. Que faire de cette presse? Faut-il la laisser dans son bourbier jusqu'à ce qu'elle sombre complètement ou faut-il continuer à la "corriger" pour qu'elle prenne la direction "souhaitée"? Ca serait une bien mauvaise idée. Car ni la première, ni la deuxième alternative ne rendront service au Maroc. Le rôle de l'Etat est de donner à la presse de la visibilité sur son avenir, à éclaircir ces fameuses lignes rouges, à la nettoyer de brebis galeuses qui portent atteinte à son image, à encourager l'entrée des investisseurs dans ce secteur pour créer des modèles solides, à édicter une vraie stratégie de diffusion et de publicité pour rehausser les piètres chiffres qu'on a en la matière.
Peut-on espérer un jour que ce chantier soit sérieusement pris en main?