Il était un jeu que je faisais souvent, stupidement d'ailleurs, quand je galopais en culotte courte dans ma superbe cité toute neuve, celle même qui aujourd'hui détient le record des voitures brulées lors de la nuit de la Saint-Sylvestre. Avec quelques camarades, entre le toboggan, les bancs de pierre et un carré boueux dans lequel auraient dû grandir quelques plantes vertes ou colorées mais qui n'en ont jamais eu le temps, on lançait en l'air des cailloux pour voir comment ils retombaient. Les variantes, parce qu'il y en avaient, nous intéressaient beaucoup, mais fort heureusement, cela nous a passé, nos activités ont naturellement évolué...
Depuis quelque temps, j'ai remarqué que cette passion revenait à la mode : on lance en l'air, non pas un caillou, quoique, mais une idée, si possible la plus grosse possible, et on observe les ronds que fait l'impact dans la société. Les lanceurs sont tous issus du même sérail : l'UMP, à une exception près... il faut toujours des exceptions. Depuis 3 ans, à tour de rôle, ses sbires se sont relayés avec une belle constance : après les Roms, le code du travail, les profs, les chômeurs, les vieux, les barbus, les 35 heures, le caillou du moment s'appelle " l'embauche à vie des fonctionnaires ".
La tête de turc, le sujet bien fédérateur du moment, c'est le fonctionnaire. C'est LE responsable idéal de la crise, du déficit, de la gabegie, de la bureaucratie, l'empêcheur de faire du fric avec rien, le pointilleux exécuteur des Lois de la République. Et s'il est bien exact qu'il applique les textes, il faut bien rappeler qui en sont les rédacteurs : le pouvoir législatif, les politiques, pas les fonctionnaires, du moins pas le cadre B et C... S'il est un privilège exorbitant de disposer d'une sécurité de l'emploi quand d'autres en sont dépourvus, le fait d'avoir un salaire mensuel à 6 chiffres face à tous ceux qui n'en ont que 4, voire 3 l'est tout autant. Mais dans ce sens, il n'y a personne pour souligner l'augmentation continuelle, disproportionnée et injustifiable en période de crise des écarts.
Dans la présente polémique, l'instigateur semble oublier beaucoup de choses, notamment qu'un fonctionnaire peut déjà être renvoyé dans ses foyers, quelques miens collègues en ont fait les frais. En outre, les lois telle la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) et la révision générale des politiques publiques (RGPP) préparent bien le terrain. Un des grands principes de la LOLF est de supprimer tous les moyens d'une mission, y compris les moyens en personnel, si les objectifs de la mission en cause ne sont pas remplis. Quant à la RGPP, la mobilité est actée, au point que son refus se traduise par une mise en disponibilité sans traitement, un doux euphémisme pour exprimer un renvoi pur et simple. A titre personnel, il est évident qu'en me proposant un poste d'aide infirmier dans un hopital psy, de gardien de la paix en région parisienne, puis de maton à Fresnes, je deviendrai " de facto " chômeur, de surcroît sans indemnités. Pour l'instant heureusement, le statut des fonctionnaires empêche la pleine application de ces directives. Mais pour combien de temps encore, car les attaques sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus rapprochées.
En étant encore plus fin, je suis intimement convaincu que la mobilité des hauts fonctionnaires, qui du reste existe déjà (dont le passage public-privé, et inversement), va vraiment leur profiter, surtout en terme de rémunération. Mais pour un cadre B ou C, il n'y a rien à gagner, il ny a que des contraintes fortes et coûteuses, rien qu'en terme de logement. Normal, la règle est faite par et pour l'administration, par et pour les cadors.
D'autres attaques pointent, d'un bien nouveau genre : la mise en cause personnelle. Quand certains agents publics constatent des malversations particulièrement gravissimes comme Philippe Sion relatés dans son wikileaks 13 ou Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, qui passe à nouveau devant la justice ce mardi 11 janvier pour avoir chatouillé un peu trop des employeurs indélicats, ils deviennent la cible des puissants jusqu'à risquer leur vie ... Pour Philippe Sion, agent du Conseil Général de Bouches-du-Rhône, en tenant compte du contexte très local, cette tentative de suicide ressemble bigrement à une exécution ! Courage, mon gars.
Pour revenir aux cailloux, il convient maintenant de faire attention aux trajectoires. Elles pourraient bien se retourner sur les lanceurs en 2012, et peut-être avant : les pavés ont souvent été les pierres angulaires des grandes révoltes, et pas mal de sociétés frissonnent...
Vous le savez maintenant, je suis un admirateur de Ken Loach.