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La BM du Seigneur

Publié le 03 février 2011 par Mg

AffBM

Gros plan sur la calandre d’une BM, lent traveling arrière, dévoilant le monstre, en légère contre-plongée : c’est l’ouverture de La BM du Seigneur, de Jean-Charles Hue, documentaire, ou fiction, ou docu-fiction, ou finalement aucun des trois, tourné dans le camp des gens du voyage de Beauvais. Les Yéniches de cette communauté jouent leur propre rôle, ou presque, dans cette histoire de crise spirituelle sur fond de vols de voiture et de combats d’honneur.

Jean-Charles Hue, qui a lui-même des « voyageurs » dans sa famille, a pu filmer de l’intérieur une communauté qu’il connaissait déjà bien après plusieurs films documentaires, et même créer le film avec ses acteurs. D’abord cinq semaines de tournage « documentaire », puis trois semaines de tournage de la fiction, à partir d’un scénario relatant une expérience vécue par le protagoniste, Fred Dorkel. Une nuit, un ange lui apparaît. Il décide alors de se tourner vers Dieu, de ne plus voler, avec tous les problèmes que cela pose : problèmes d’argent, problèmes de reconnaissance au sein du groupe.

Le film échappe aux catégories « documentaire » ou « fiction », et c’est tant mieux car ce qui est exploré, ce sont les mythes dans la réalité, les fictions dans la vie. On est à la frontière du film de gangsters et de l’étude anthropologique. Jean-Charles Hue va chercher et exhiber les signifiants, les codes, les références qui établissent les définitions individuelles et sociales, qui sous-tendent les communautés, ainsi que la manière dont tout cela se construit. Quelques exemples : lorsque Jo et Tintin évoquent le problème d’un jeune du camp qui fait des dérapages avec sa BM au risque de renverser les enfants, on aperçoit, à l’occasion d’un gros plan sur les petites voitures d’un gamin, une BM. Le fils de Jo va se battre contre son cousin pour l’honneur de son père; plus tard, à la tombée du jour, dans un champ de maïs fauché, un groupe d’enfants jouent : ils jouent à se battre. Ou comment les codes sont appris par le jeu, comment les références sont construites et les limites établies dans un groupe. Il est intéressant de noter que si Jo menace de tirer dans le pare-brise de ce jeune qui n’en fait qu’à sa tête quitte à mettre les siens en danger, c’est aussi en tirant dans le pare-brise de la BM qu’il a volé la veille à la suite d’une beuverie que Fred reniera cet acte, cet écart de conduite: sens différents, mêmes gestes : on a acquis des comportements, on les garde, on les module, selon ses intentions, ses émotions, ses principes éventuellement changeants.

La religion est un de ces systèmes de références communes. Une femme lit des phrases de la Bible inscrites sur des petits papiers, et elle fait cette remarque : la parole du Christ est simple. C’est-à-dire générale, c’est-à-dire adaptable. Ici adoptée par les Evangélistes Yéniches. Une scène montre Fred les bras en croix sur le capot de cette BM volée, trace d’une entorse à ses nouveaux principes : crucifié sur la BM, il est victime, sans doute, à la fois de son passé et des attentes de sa communauté (le fait qu’il cesse de voler pose un problème de reconnaissance au sein du groupe mais ce n’est pas là le plus important, tous les Yéniches ne sont pas voleurs, et Fred n’est pas exclu de sa communauté; les deux problèmes majeurs sont posés clairement par Fred : comment nourrir sa famille sans voler ? comment assurer sa défense physique quand on renonce à la violence ?), mais cette image montre aussi comment représentations et mythes s’adaptent aux circonstances et font sens au cœur du quotidien.

La BM c’est la carapace, la croix, l’identité. Les discussions ont lieu dans les BM ou autour des BM, sur lesquelles les images des hommes se reflètent. Comme le chien blanc (la BM volée par Fred est blanche également : serait-il hors de propos de penser aux méditations d’Achab sur la couleur blanche de Moby-Dick, cachalot poursuivi sans relâche sans savoir ce qu’il est ni ce qu’il représente ?) que Fred dit envoyé par l’ange et qui devient, pour lui seul, symbole de la présence de Dieu, la BM est un symbole, mais à l’échelle de la communauté, et qui n’est plus perçu comme tel. Symbole unificateur, présence, qui clôt l’espace du camp sur lui-même, espace dont on ne sort qu’en BM. Ou pour voler une BM. La campagne alentour semble infinie, bouchée (ou ouverte ?) par la lumière rasante des fins de journée, signe de présence divine, de retour aux fondements des groupes et des velléités individuelles, no man’s land qu’on ne franchit qu’en BM ou avec l’âme.

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