Le pouvoir de l'amour
1Jean-Marc Mantel
http://jmmantel.net
"L'amour est l'ultime signification du monde"
Rabindranath Tagore
L'amour est présence. Il est la constance témoin de l'inconstance, la permanence témoin de
L'amour est indifférencié dans sa nature, différencié dans son expression. Sa nature est une,
son expression multiple.
Jacques - Pas de contraire à l’amour ? Que devient alors la haine dans cette description ?
La haine est un oubli de la nature ultime de l'être, qui est amour. L'oubli d'une chose n'est pas
l'opposé à cette chose. L'oubli de la lumière solaire du fait des nuages ne remet pas en cause
sa réalité.
Jacques - Fondamentalement être est, sans autre attribut, ou avec tous les attributs, n’est-ce
pas ?
Oui, être est. Dans sa nature, être est sans attribut. Dans son expression, être est toujours luimême,
mais prolongé par la forme.
Jacques - Oui, cependant, comment la "nature ultime de l’être" peut-elle être qualifiée, alors
que sa nature première est d’être, ni plus ni moins ? N’est-ce pas l’homme qui voudrait
qualifier ainsi, d’amour ou de compassion "sa nature", que je nommerais plutôt par exemple
le rien, le vide, le néant, la matrice originelle ?
Aucun nom ne peut désigner le sans-nom. Le nom n'est qu'un pointeur. Il n'est pas ce vers
quoi il pointe.
Guy - La lecture de votre texte m'a inspiré d'autres mots pour dire la même chose... L'amour
est le substrat originel par lequel toute la manifestation se déploie, l'amour est donc tout ce qui
est. C'est parce que l'amour est sans substance qu'il a le pouvoir de générer toute substance de
la création. L'amour est donc inclusif. En lui se déploient inconditionnellement des facettes
vues de façon paradoxale pour le mental : en l'Amour, le petit amour quémandeur de la
personne séparée, en lui la violence et la peur, en lui la destruction et la mort. L'amour est
l'unité de toutes choses séparées. L'amour est ineffable, c'est pourquoi il peut revêtir de
nombreux synonymes aux définitions paradoxales : énergie, vide, créateur, présence, absolu...
Michel – Si je vous lis bien, l'amour tel que vous le définissez n'a pas de contraire, et pas non
plus d'attributs. Il n'est pas rien puisque vous le dites identique à l'être (mais aussi à la
présence, à la constance, à la permanence, à l'intelligence, à Dieu, au silence et au savoir)
mais qui eux aussi possèdent les mêmes caractéristiques ou absence de caractéristiques. La
définition est donc paradoxale. A ce stade, ne peut-on pas franchir un pas supplémentaire en
disant de l'amour qu'il n'a pas non plus de nom, puisque le nom est quelque chose qui doit
désigner un objet avec des caractéristiques particulières sinon une définition ? Le mot
"amour" est donc ici un mot vide de sens tout comme les synonymes que vous lui attribuez. On
peut alors prolonger "ad libitum" cette liste de synonyme avec n'importe quel mot pour autant
que nous lui refusions toute désignation. Par exemple un vide mais qui n'est pas une absence
d'objets ou encore une pomme mais qui n'est pas le fruit d'un arbre (etc.). Dans chaque cas,
la pensée finit toujours par se heurter au limites du langage (et parfois à découvrir un
espace) mais en prenant un chemin différent. Avec le mot "amour", on part de l'émotion et du
sentiment pour finir par les vider de toute consistance mais comme par le haut, en gardant
leur essence commune ou ce qui les fonde (mais qui n'est pas pour autant une essence ou une
cause). Et donc pourquoi ne pas varier ces jeux de langage qui se font avec toujours les
mêmes thèmes (amour, pensée, ....) ? Pourquoi ne pas emprunter des voies inhabituelles ou
d'autres mots ? Et si vous nous faisiez un discours non-duel à partir de la pomme ou de
l'orange, ou encore de l'olivier ou du grillon ? :)
Toute volition n'est qu'un prolongement du vouloir être, désir profond, immuable, présent
chez tout un chacun, bien que rarement conscient. Lorsque vous réalisez que vous êtes déjà
comblé(e), que reste-t-il à combler ? Lorsque vous réalisez que vous êtes déjà ce que vous
cherchez, que reste-t-il à chercher ? Les mouvements de la personnalité se tarissent ainsi dans
la présence qui les transcende.
Carmen - L’amour semble être la seule chose essentielle au monde. Tous les êtres humains,
au-delà de toutes leurs différences et leurs divergences, sont à la recherche de l’amour. Peutêtre
est-ce parce qu’il constitue notre essence ?
Sans nul doute.
Oui.
Carmen - Ce que je sais, mais c’est en tant que personne, car je n’ai rien découvert qui puisse
m’autoriser à parler autrement, c’est que lorsqu’il y a amour, il n’y a plus de peur. C’est à la
fois extraordinaire et très important. Je crois que c’est cela pour moi, le pouvoir de l’amour :
faire disparaître la peur. Alors, on peut sentir que notre cœur sourit à la vie, et que tout est
simple, léger, doux. En quelque sorte, l’amour, c’est aussi la liberté…
http://www.recto-verseau.ch/
Jacques -
Si l’amour est "présence" et que la "conscience" est cette "présence", comment
pourrions-nous qualifier la conscience d’amour puisqu’en elle - la conscience- tout est
indifférencié ?
C'est pour éviter cet écueil que l'on utilise la négation. C'est l'amour lui-même qui voit ce que
l'amour n'est pas.
Le paradoxe que vous utilisez est un autre moyen. L'affirmation d'un terme (ou sa définition)
est alors "corrigée" par un adjectif, un groupe de mots ou une identité improbable. Par
exemple : "l'amour est présence", "l'amour est sans vouloir", "Etre est amour", ou "l'amour
est intelligence". La pensée ne sait plus ou se tourner, quoi saisir : son objet conceptuel a
disparu. La proposition devient insensée, sans signification, elle ne décrit plus rien. Mais à la
place a surgit un sens ou une direction, vers quoi la pensée peut prendre son envol et se
dissoudre.
C'est en effet cela. La pensée dirigée vers le silence se meurt en lui pour mieux le révéler.
Karine - Vous dites : "L'amour qui se réfléchit dans le mental individuel devient
individualisme, égocentrisme. Lorsqu'il se réfléchit dans le mental universel, il devient
universalisme, altruisme. Lorsqu'il se libère de toute réflexion, il est amour pur, unique
réalité." Le mental universel est-il un état intermédiaire entre le mental individuel (peu de
présence, en projection quasi-permanente) et la Conscience Pure (amour) ? Un état dans
lequel je m'identifie moins au corps-mental, je tiens moins de place en moi, donc il y a plus
d'espace pour les autres et pour les laisser exister tels qu'ils sont. Lorsque je dis "je tiens
moins de place en moi", c'est très lié au corps au départ, au sentiment d'occuper moins de
place dans mon corps, donc ses limites s'estompent et les autres, l'extérieur, peuvent être
englobés.
Oui, on peut le dire ainsi. Toutes les idées universalistes, plaçant l'individu au sein d'un vaste
espace, diluent le sentiment d'isolement et d'individualité. Ils ne remettent cependant pas en
cause l'existence individuelle, mais la repositionnent. Dans l'amour pur, conscience pure, il
n'y ni vous, ni l'autre, ni monde. La conscience est unique réalité.
Karine - Finalement, quand il est dit qu'il s'agit d'accepter ce qui se passe tel que cela se passe,
ce n'est possible que si l'identification a diminué. Et l'identification ne peut diminuer que si
j'accepte ce qui se passe tel que cela se passe. Est-ce que ces deux aspects se nourrissent l'un
l'autre alternativement ? Ou est-ce qu'ils sont la manifestation d'une même réalité instantanée,
ce qui rend absurde l'idée d'une progression vers l'amour pur ?
L'acceptation vous amène à ne plus vous positionner en tant que personne. Elle n'est pas un
processus psychologique. Elle n'est pas une action. Le regard est alors dépouillé de son
contenu. Il est sans mémoire. C'est pour cela qu'on le dit impersonnel. Sans personne, qui
pourrait donc bien s'interposer avec la réalité ?
L'acceptation n'est pas un processus actif. Elle a la même omniprésence que le soleil derrière
les nuages. Elle échappe à toute volition, puisque la volition elle-même est l'expression d'un
refus. Dès que le refus s'efface, l'acceptation, qui est la nature-même de l'être transparaît,
comme une présence inconditionnée, libre de choix et de préférence. On peut dire ainsi que
l'acceptation n'est ni accepter, ni refuser, mais la transcendance des deux. Elle est, dans son
sens ultime, unité à la conscience sans objet.
Karine - Un précurseur évident de l'acceptation me semble être une grande détente du corps
et du mental, un abandon. Pouvez-vous en dire plus sur cet abandon, cet effacement de la
volition ? Comment la volition et le refus peuvent-ils s'effacer ?
La détente est l'état naturel du corps. C'est la peur qui le maintient sous tension. La peur
trouve sa source dans le mental. Elle naît en même temps que la pensée moi et disparaît avec
elle.
Carmen
-Ce serait parce que nous sommes profondément cet amour que nous le recherchons
de multiples manières, sous de multiples formes ?
Oui.
Carmen
- Est-ce aussi pour cela qu’il est impossible, impensable, d’en parler, de le décrire ?
C'est tout à fait juste. L'amour ne connaît pas la peur, car il ne connaît pas la séparation