La Conférence de presse de lundi dernier (à l’occasion des vœux à la presse) a été présentée par certains comme le premier acte de campagne des présidentielles 2012. La manœuvre serait simple : faire oublier les avatars de la politique intérieure en se rabattant sur la politique internationale. Elle rappellerait du même coup aux électeurs qu’un président de la république a pour première mission d’être la voix de la France sur la scène mondiale, le Premier Ministre se chargeant des tâches subalternes du gouvernement.
Si cela était, ce serait sans doute un mauvais calcul. D’abord parce que les sondages révèlent que la plupart des électeurs n’ont cure des problèmes internationaux, dont certains, comme la réforme du système monétaire ou le marché des matières premières, sont d’une haute technicité. Ensuite parce tout le monde sait que les grandes décisions de politique interne sont prises plus souvent à l’Élysée qu’à Matignon, et les Français tiennent le président pour responsable de leurs ennuis quotidiens. Enfin parce que les grands projets de remise à plat de l’économie mondiale, et le principe même d’une gouvernance mondiale, sont hors de portée d’un seul homme politique, si décidé soit-il.
Voilà qui m’amène au point le plus important : le monde a-t-il besoin d’un président, d’une gouvernance, d’une régulation ?
La question est récurrente. Elle revient sur la table chaque fois que les gens sont en proie aux difficultés. Ils pensent que les difficultés rencontrées sur le terrain ne peuvent venir que « d’en haut », d’un système opaque et incontrôlé, donc on cherche la solution « en haut ».
Mais a-t-on jamais vu dans le passé le moindre succès d’une organisation internationale ?
Et, pour le futur, peut-on faire confiance à l’ONU, au G8, au G20, au FMI, à l’OMC, à Davos, etc ?
Si l’on scrute le passé, on évoquera à coup sûr la faillite de la Société des Nations. La SDN avait déjà pour tare de n’inclure ni les États-Unis ni l’Allemagne. Elle a été bien évidemment incapable de prévenir la seconde guerre mondiale, ni de surmonter la Grande Dépression. La création de l’ONU devait en tenir compte. Mais l’Allemagne et la Chine communiste ont été longtemps écartées du Conseil de sécurité, les interventions militaires des forces de l’ONU ont été un fiasco. Le Fonds monétaire international n’a jamais contribué à la stabilité des changes, et on ne voit réellement pas comment on pourrait ressusciter la monnaie qu’il a inventée il y a quelque quarante ans sous forme de droits de tirages spéciaux (DTS), le système de Bretton Woods a explosé en 1971 et personne n’a sérieusement songé à le ressusciter. L’Organisation mondiale du Travail a été dès l’origine un repaire de syndicalistes anti-capitalistes, et continue à nuire aux relations humaines dans le monde du travail. L’UNESCO a permis de financer les tiers-mondistes et les réseaux de drogue d’Amérique Latine. L’OMC n’a jamais réussi à éradiquer le protectionnisme agricole. On pourrait évidemment ajouter encore au palmarès de ces organes désorganisateurs. Parallèlement certains « grands du monde » viennent chaque année se pavaner à Davos pour être remarqués par la presse : ce spectacle très « people » laisse accroire que les « gens qui tirent les ficelles de l’économie mondiale » se retrouvent pour affiner leurs plans de domination du monde, alors qu’ils ne maîtrisent rien du tout, parfois même pas leur propre gouvernement ou leur propre société !
Dans le futur, il n’y a aucune probabilité d’un changement quelconque. Il n’est déjà pas possible de régler les problèmes de l’heure, comme la surévaluation du yuan, la dévaluation du dollar, les dettes souveraines. Il est encore moins pensable d’inventer une nouvelle monnaie internationale (et même pas de retourner à l’étalon-or), ou de « réguler » les flux financiers, ou a fortiori de maîtriser les marchés mondiaux des matières premières ou de l’industrie. Malgré tout son volontarisme, et son nouveau style très modeste, Nicolas Sarkzozy n’y pourra rien, ni avec les huit, ou les vingt, ou les quatorze (puisqu’il est question que le G8 s’élargisse à des pays comme le Mexique, le Brésil, l’Inde, etc.). Le G8 préparant les décisions du G 14 qui lui-même permettrait au G 20 de trancher : voilà de la gouvernance !
Ce que les chefs d’État ne mesurent pas aujourd’hui, ou ce à quoi ils ne peuvent se résoudre, c’est la perte de pouvoir et de crédit des États eux-mêmes. La mondialisation les a mis en concurrence : seuls les États restreints et modestes, diminuant leurs dépenses, leurs impôts, leurs réglementations, rendent un véritable service à leurs nationaux en compétition. Dire que les marchés sont incontrôlés, c’est déplorer qu’ils aient la capacité de tourner les règles mises en place par les États qui gênent l’activité économique et freinent la croissance. La concurrence est devenue institutionnelle et humaine aussi bien que technique ou financière.
Les États ont cru opportun de prendre leur revanche avec la crise actuelle, qu’ils avaient provoquée d’ailleurs. Ils se sont faits rassurants, généreux, ambitieux. Mais ils sont en faillite. Aujourd’hui les baudruches se dégonflent. Inutile de souffler dans un ballon percé.