Laurent Margantin, sur son site Œuvres ouvertes propose depuis peu des textes et des traductions inédites en téléchargement libre.
Parmi ses propositions, un très beau poème de l’écrivain brésilien Lêdo Ivo, dont voici le début. On peut télécharger l’intégralité de ce long poème (18 pages) ici
« Un peu profond ruisseau calomnié la mort »
Mallarmé
I
C’est ici que j’attends la venue du silence.
En face de l’arsenal putride
je ne distingue qu’une étincelle
dernier reste des feux.
Comme tous les restes, il a la marque
des choses cachées pour toujours,
des êtres ensevelis au sommet des dunes ;
comme les lettres marquées au fer rouge
sur la croupe d’un cheval volé par un gitan, ou une tache
de naissance
sur la hanche bien-aimée.
Maintenant la nuit descend pour toujours.
Mon regard fatigué suit la pirogue
qui s’éloigne des mangroves.
Une lumière sur le banc de sable. Un crabe dans la vase.
Et la vie s’évapore comme les âmes
dans un ciel qui n’abrite aucun dieu.
Tous les paysages que j’ai vus sont réduits en poussière
sur les cartes postales rongées. Et l’ongle sale, ourlé de
noir,
prend la place de la main ancienne. Les portes successives
des docks remplis de chapelets d’oignons et de sacs de
sucre
se resserrent dans l’obscurité, se réduisent à une seule
porte
insoumise au point du jour.
Face à la mer, sur la Barre San Miguel,
à peine maintenant je le sais :
la journée la plus longue de la vie d’un homme
dure moins qu’un éclair.
On ne célébrera plus le temps
parmi les constellations.
Le ciel et la terre vont s’enfoncer
dans la cendre trompée
des matins dérobés par la mort.
Et tout ce que j’ai aimé s’évanouit.
Le nuage écarlate se pose doucement
entre les maisons en pisé et la mer fendue par les vagues.
L’heure est venue de dire adieu à l’eau noire
qui s’agite dans la brume de la lagune
et au vent planétaire qui sèche les poissons
accrochés aux barres de fer des cabanes
et à la mer « caeté » qui s’est ouverte
au pied des falaises de ma patrie perdue.
L’éternité passe comme le vent.
Seul le temps est éternel. C’est ici que j’ai toujours été
au milieu de mon peuple décimé,
et au-delà des dunes mes mains ont préparé
le bûcher doré d’un étonnant festin
anthropophage. Une nuit de cendres
succède à présent aux clameurs et à la joie.
La mer étouffe tous les naufrages
et tout feu s’éteint, tout feu doré
se traîne et se meurt dans le silence du monde
Ledo Ivo, Requiem, traduction Philippe Chéron, Oeuvresouvertes.net, p. 2 à 4. (Pour lire la suite, cliquer ici)
Lire la présentation du poète brésilien Lêdo Ivo par Laurent Margantin
bio-bibliographie de Lêdo Ivo
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