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Etat chronique de poésie 1120

Publié le 03 février 2011 par Xavierlaine081

1120 

Tu restes là, derrière ta fenêtre fermée, à contempler les heures qui défilent. Bien sûr tu sais qu’il te faudra encore sortir d’ici, ne serait-ce que pour aller gagner de quoi payer le toit qui couvre tes cheveux grisonnants, et la pitance à mettre dans ton assiette, deux étages en-dessous. Dans tes rêves les plus fous, tu ne bouges plus de là, sauf à prendre quelques temps de repos, entre deux lignes, sur ton tapis, ou lire avec avidité ton stock inépuisable de littérature, accumulé au fil des ans. Tu sais d’ailleurs qu’un jour le temps, qui ne se rattrape jamais, va lui, te prendre par la main et t’intimer l’ordre de ne plus bouger de cette pièce, de cette lumière faible qui éclaire ce qui fut toute ton existence à ce jour, cette accumulation d’ouvrages hétéroclites dont tu n’as lu qu’une infime partie. Tu crèves d’envie de tout parcourir, de ne plus rien laisser au hasard de tes pensées qui n’en sont pas toujours, ou pas encore. Car à chaque page que tu tournes, tu mesures l’étendue de ton ignorance et la vanité de tes propos. A chaque page tournée, tu est contraint d’affronter le gouffre de tes insuffisances. A chaque couverture enfin refermée, tu sais que tes propos ne tiennent en aucun cas de ton invention, mais d’un cheminement particulier, au sein même de ton être, qui conduit les mots à s’agencer, en phrases, puis en pages. Tu sais que, parvenu à cette mille huit cent soixante neuvième, il te faudra peut-être tirer ta révérence, cesser d’écrire pour mieux contempler ce que les autres font, bien mieux que toi. Tu découvriras enfin toute l’étendue de ta vanité à te hisser au sommet quand d’autres, déjà parvenus à destination te tendaient, depuis, si longtemps, les cordes où t’agripper. Alors tu feras silence, et, non, content, de ne plus quitter ton lieu de lente méditation, tu prendra l’attitude détachée de tout que les sages ont parfois. Mais, là encore, tu te verras pris au piège de tes propres folies : car nul ne peut prétendre à la sagesse par lui-même. Seul le sage ignore qu’il l’est. Seuls ceux qui viennent le consulter ont connaissance de sa sagesse. Lui, il ne fait qu’être là, silencieux comme les murs et les portes qui l’entourent. Il n’ouvre plus la bouche que pour dire, en très peu de mots, quelque chose qui tient de l’air, tant ils sont insignifiants. Et pourtant ses disciples vont de par le monde pour proclamer sa parole, comme une révélation faite aux hommes. Déjà, ceux-là font du sage un dieu quand lui-même a abandonné depuis des lustres toute prétention. Il finit même par se taire, totalement. Même son silence sera transformé, par les bruyants, les agités, en message de haute philosophie à commenter, en longues exégèses, dans les universités où on se mettra à enseigner sa pensée, comme le nouveau testament d’un monde à venir. On prendra beaucoup de temps à éplucher le moindre de ses mots. On finira même par t’oublier, en ces lieux que nul ne viendra plus visiter et où tu finiras, sec et décharné, comme une momie au milieu des pages livrées à la poussière du temps. On finira même par oublier tes propos, tant ils seront noyés sous l’exégèse. Il n’y aura plus que vaines écritures de disciples qui ne t’auront pas connus, ni fréquentés mais qui sauront mieux que toi le fil ineffable de tes pensées profondes. 

Un matin, juste avant de mourir, tu saisiras ton vieux bâtons couvert d’écritures. Tu descendra dans un bruit de craquement d’os, les deux étages et l’escalier en colimaçon. Parvenu sur le seuil de ce qui fut ta demeure, tu ouvriras grand la porte. Sous les nuées grises d’un temps inchangé, tu avanceras, bien avant l’aube. Tu entendras, derrière les fenêtres les radios épeler ton nom comme une référence. Ignorant de toutes ces gesticulations, tu t’arrêteras un moment, sourire aux lèvres, avant de reprendre ton chemin vers les collines. Tu sais que, là-bas, entre les oliviers, s’ouvre la bouche noire des anciennes mines. C’est là que tes pas, tremblants, et ton bâton de toujours te mèneront. C’est là, pénétrant dans l’ombre des souvenirs où des hommes trimaient pour trois fois rien sur des wagonnets  noirs de misère et de crasse, que tu t’affaisseras, une larme ourlant tes paupières déjà tournées vers l’intérieur. Perdus dans leurs discours ronflant à ta mémoire, tes mots désormais perdus vrillés dans ton âme chenue, on ne s’inquiètera pas de ta disparition. Ta porte ouverte servira de refuge aux errants de passage. 

Toute la sagesse se résume à n’être rien 

Toute parole n’est que vent vite emporté 

Toute poésie passe sans que nul n’y prenne garde 

Il ne reste rien des hommes 

Sinon leur souvenir 

Fumée éblouissante jetée aux yeux de l’éphémère 

Ce que tu es aujourd’hui 

Dernier jour d’un temps d’espoir vaincu 

N’est que songe 

La parole est mensonge qui ne puise en la fraternité 

Son devoir d’apprendre à vivre toujours mieux en Hommes

Toute tentative de vivre en Homme qui se proclame 

N’est que vaine vanité 

Car tout est toujours à construire

Tout est toujours à reconstruire 

C’est une tâche aussi dure que d’extraire le charbon 

Des veines de la terre

Que celle d’aller au devant de la sagesse 

Conscient de son insignifiance 

Manosque, 31 décembre 2010 

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