J’ai beau être cinémaniaque sur les bords (paraît-il…), certaines situations vécues au cinéma me laissent convaincu qu’il n’est point besoin d’être aussi passionnés que ceux-là pour s’énerver et se montrer pointilleux dans son rôle de spectateur. Il y a quelques jours, j’ai fait les frais, ainsi que quelques autres spectateurs, d’un mauvais tour d’un cinéma art et essai parisien qui m’a énormément déçu. Pour ne pas le nommer, ce cinéma est Le Champo Espace Jacques Tati, et la mésaventure qui s’y rapporte est la suivante.
Mon amie Odie et moi nous rendions dans la salle du Quartier Latin pour La Dame de Shanghai en copie neuve. Il y a peu, j’ai découvert sur grand écran Citizen Kane, et la ressortie de cet autre chef-d’œuvre d’Orson Welles tombait à point nommé pour l’assoiffé de classiques que je suis en ce moment. Direction donc Le Champo un dimanche après-midi pour la séance de 15h30. Arrivés à 15h20, nous prenons notre place dans la file d’attente longeant le trottoir de la Rue des Écoles. Dans le froid bien sûr, mais ça, personne n’y peut rien. Au bout de quelques minutes, une employée du cinéma passe dans les rangs pour s’assurer que tout le monde a bien déjà acheté sa place. Ah bah non. Pas nous. Pas grave, je fonce en caisse prendre nos places, et retourne dans la queue.
15h25. 15h30. 15h35. 15h40. « Qu’est-ce qu’ils foutent là ? La séance n’était pas censée être à 15h30 ? ». On ressort L’Officiel des Spectacles et on vérifie. 15h30, c’est bien cela. Par contre, l’heure de la séance précédente me saute aux yeux. 14h. Et le film il dure combien de temps ? 1h30, plus 10 minutes de séance. Ah d’accord. Ok. Tout s’explique. Séance à 14h. Film à 14h10. Fin du film à 15h40. Et le temps que tous les spectateurs se lèvent et se rhabillent, ça pousse vers le 15h45 ça. Mais alors pourquoi caler la séance suivante à 15h30, en sachant qu’elle ne pourra en fait pas commencer avant 15h45, au mieux ? Et la suivante à 17h10, un autre horaire du même coup mathématiquement impossible à respecter ?
La conséquence inévitable, c’est que l’on rentre en salle avec un gros quart d’heure de retard. J’avais prévenu Odie « Tu prends une place vers le 5ème rang moi je file aux toilettes et je te rejoins ». Je sais, si j’avais su j’y serais allé avant, mais que voulez-vous… Et évidemment je n’étais pas le seul dans ce cas, et après avoir découvert qu’il n’y avait pas de toilettes dans cette salle, qu’il fallait ressortir et descendre vers la seconde salle du ciné pour aller aux toilettes, j’ai commencé à me dire que j’allais peut-être bien rater le début du film. Avec trois personnes faisant la queue devant moi, ça paraissait clair (et croyez-moi que des toilettes mixtes avec des mamies, c’est pas rapide…). Finalement j’y suis j’y reste, et lorsqu’enfin je reviens en salle (et encore, d’autres faisaient encore la queue derrière moi), celle-ci était plongée dans le noir, le film entamé, le générique d’ouverture à l’évidence déjà terminé. Et lorsque je dis « plongée dans le noir », ce n’est pas pour la forme. Une scène de nuit dans laquelle Orson Welles conduit une calèche dans laquelle se trouve Rita Hayworth, en noir et blanc, ça n’éclaire absolument rien. Je marche à l’aveugle dans la salle, dans cette travée centrale dans laquelle tâtonnent d’autres spectateurs, devant moi et dans mon dos, à la recherche d’une place.
Moi je cherche Odie, assise vers le 5ème rang, je ne distingue rien, je scrute, et finalement je la repère, au bout d’un rang. Zut. Je vais devoir déranger les spectateurs. Je chuchote « Pardon », « Désolé » tout en progressant sur le rang, vers Odie, écrasant des pieds malgré moi, entendant des souffles et des râles. Désolé, je les comprends, à leur place ça m’énerverait aussi. Finalement je m’assois, déçu et énervé d’avoir raté, à vue de nez, cinq bonnes minutes de film. Le retard ça arrive, je ne m’en offusque pas. Mais il ne s’agit pas là d’un retard imprévisible. Il s’agit d’une mauvaise gestion du cinéma, qui a soit mal calculé ses séances, soit les a choisies sans se soucier de l’inconfort que cela engendrerait pour ses spectateurs. Et ça, pas besoin d’être un cinémaniaque pour s’en offusquer.
Bien sûr le film de Welles a tout de même réussi à m’emporter, après une période transitive pendant laquelle mon énervement avait du mal à se dissiper. Mais la maestria du cinéaste et la sensualité de Rita Hayworth ont su prendre le pas sur les circonstances, en fin de compte. Tout comme Green Zone et Arietty avaient su renverser des conditions particulières. En sortant de La Dame de Shanghai, nous avons tiré un trait sur l’éventuel projet d’enchaîner avec La loi du silence d’Hitchcock, programmé dans l’autre salle du Champo. Je n’avais pas du tout envie de remettre les pieds dans ce cinéma après cette projection massacrée. Ce fut donc direction Le Nouveau Latina pour Carte des sons de Tokyo d’Isabel Coixet. Pas un choix franchement judicieux, malgré la belle atmosphère tokyoïte, mais Montgomery Clift attendra un peu…
Voilà longtemps que je n’avais pas raté le début d’un film. Les deux dernières fois, je m’en souviens parfaitement, c’était pour Kung Fu Panda (j’attendais un ami devant le ciné pendant qu’il m’attendait dans la salle…) et Sicko (longue hésitation avec une amie devant le cinéma avant de se décider pour le Michael Moore). J’espère bien que la prochaine n’est pas pour bientôt.
(P.S. : cette semaine, Le Champo a changé les horaires de projection de La Dame de Shanghai, laissant plus d'espace entre les séances... tiens donc !)