Partager une colocation avec personne âgée est un concept qui date de plusieurs années. Sans rencontrer le succès espéré, l'association Le Parisolidaire, à l'origine de l’initiative dans la capitale, continue tous les ans à mettre en relation des centaines de volontaires. C'est le cas d'Alexandre, 21 ans, et de François, 77 ans.
« On se retrouve tous les soirs devant le journal télévisé. On débat de l’actualité et on confronte nos points de vue. » Alexandre et François se disent ravis de leur quotidien. Depuis la rentrée, l’étudiant en 1re année d’école d’ingénieur loue une chambre dans la maison de François, médecin chirurgien à la retraite. « J’ai eu mes résultats de concours à la fin du mois de juillet, et il fallait que je trouve très vite un logement en région parisienne. Mes parents connaissaient ce système. Ils ont pris contact avec l’association Le Parisolidaire et tout est allé très vite. En septembre, j’avais ma chambre chez François. »
Le retraité, lui, n’en est pas à son coup d’essai : Alexandre est le troisième étudiant à installer ses affaires à l’étage. « J’ai une maison assez grande et je vis seul. Il y a trois ans, après avoir vu un reportage consacré à l’association, j’ai décidé de m’inscrire. C’est une très bonne idée, le système gagne à être connu. Et ça permet de rendre service aux étudiants qui connaissent de nombreuses difficultés pour se loger à Paris. »
Fixer les conditions de la cohabitation
Pour 350 euros par mois, le jeune homme profite donc des lieux comme il le souhaite, en totale indépendance. Le secret de leurs bonnes relations : des échanges enrichissants et une confiance mutuelle. Il y a des règles de vie à respecter, Alexandre : « Je préviens toujours si je ne rentre pas pour dîner, et je n’inviterais jamais des amis sans l’accord de François. Il faut savoir s’adapter et toujours considérer que ce mode de vie est basé sur le partage. Les séniors ont un vécu et il serait dommage de ne pas en profiter ». Un sourire aux lèvres, François ajoute : « Il faut être ouvert et accueillant. Il ne s’agit pas d’être un vieux ronchon ! »
Tous deux passionnés d’aéronautique, Alexandre affirme qu’il « considère un peu François comme son grand-père (…) Nos échanges sont toujours constructifs. En plus de nos points communs — nous avons tous les deux notre brevet de pilote —, François me parle de son enfance sous l’occupation, de son service militaire en Algérie, et répond à toutes mes questions. Il représente aussi un avis extérieur à ma famille, ce qui est appréciable dans certaines situations… » Loin d’être d’accord sur tout, leurs débats peuvent aussi être vifs, sur le sujet de la peine de mort par exemple. Et comme le révèle François, « celui qui est pour n’est pas forcément celui que l’on pourrait supposer… »
En ce qui concerne la vie quotidienne, Alexandre et François font leurs courses chacun de leur côté. Comme dans beaucoup de colocations, l’étudiant dispose d’un espace réservé dans le frigo, et sa chambre est équipée d’une salle de bain et d’un accès à Internet. Le jeune homme affirme profiter pleinement de sa vie d’étudiant, « et ça me change de l’internat, je suis libre de mes allers et venues, et c’est très agréable de ne pas être seul le soir en rentrant des cours ». Leur dernière activité commune : la galette des Rois, « accompagnée d’une bonne bouteille de champagne ! » souligne le malicieux retraité.
« En aucun cas l’étudiant ne doit devenir aide à domicile »
Comme Alexandre, plus de 200 étudiants parisiens membres de l’association Le Parisolidaire ont opté l’an dernier pour ce mode de vie particulier. La présidente, Aude Messéan, explique que l’idée est née après la canicule de l’été 2003 : « nous avons pu mesurer les conséquences dramatiques de l’isolement des personnes âgées, et le projet est né d’une volonté de mettre en contact des étudiants en recherche de logements avec des séniors ouverts à la colocation ».
Depuis septembre 2004, près de 1 200 binômes se sont ainsi formés. Deux formules de colocations sont possibles : soit le sénior offre une chambre contre le partage des tâches quotidiennes et un minimum de présence, soit l’étudiant peut être logé contre une participation financière. Un premier entretien permet de fixer les conditions de la cohabitation : heures de présence, tâches quotidiennes, montant du loyer éventuel, etc. Suivant les profils des candidats, l’association se charge d’organiser les rencontres. Si le charme opère, après la signature d’une convention d’habitation, l’étudiant peut s’installer.
Le Parisolidaire enregistre depuis près de deux ans une baisse du nombre des adhérents seniors, « nous souffrons de la concurrence, car l’idée est tendance et beaucoup de structures proposent maintenant ce type de service aux personnes âgées. Il y a un grand vide juridique autour de ce mode de cohabitation, cela peut conduire à des abus. En aucun cas l’étudiant ne doit devenir aide à domicile ». Comme le rappelle la présidente, « ce que notre association propose contre des frais d’adhésion annuels, ce sont avant tout un accompagnement et un encadrement sérieux des projets de vie entre générations. Nous n’avons pas de visées mercantiles, nous sommes reconnus d’utilité publique ».
Mais l’association doit aussi faire face au caractère précaire de ce type de colocations : les accueillants ont en moyenne 80 ans, et certaines cohabitations prennent fin plus tôt que prévu, « il y a des vagues de décès, des hospitalisations et des départs en maisons de retraite, mais nous enregistrons quand même 90 % de réussite à l’habitat ». Quoi qu’il en soit, vivre au quotidien avec une personne âgée ne convient pas à n’importe qui : « il faut avoir envie de partager, ne pas avoir peur de la maladie, être prêt à supporter le caractère stressant de certaines situations ». Avec la crise du logement, Aude Messéan explique que les candidats étudiants sont devenus plus nombreux que les accueillants séniors, « mais il faut qu’ils gardent en tête que l’objectif premier est la solidarité. Vivre avec une personne âgée, c’est respecter certaines règles de vie et engagements. Et nous demandons la même chose aux adhérents seniors ».
Par ailleurs, l’association s’engage aussi à trouver une solution de logement à tous leurs étudiants adhérents en cas d’interruption de la colocation.
Éléonore Autissier
Photo CC @LeParisolidaire