© Michel Cavalca, Photos du site de l’opéra de Lyon
L’intérêt suscité par ce Werther est largement dû à la première mise en scène de Rolando Villazón apparemment prévue de longue date, et donc non liée à l’état vocal actuel du ténor. L’impression est contrastée, mais pas négative. Je trouve à cet égard la “descente en flammes” du journal Le Monde injuste, notamment sur la lecture de la fin de l’ouvrage, même si on peut discuter l’approche et si la distribution n’est pas vraiment convaincante. Il reste que l’ensemble se laisse voir et passe assez bien au total. Ce n’est pas cependant un spectacle qui mérite qu’on y coure, mais en passant par là…
La mise en scène d’abord, on pourrait dire en plaisantant qu’elle nous ouvre des horizons sur l’espace mental de Rolando Villazón, et que sa lecture du personnage correspond assez bien au Werther qu’il compose lui même sur scène. Une question préalable: les couleurs de costumes des deux personnages au troisième acte noir/rouge/jaune seraient elles une déclinaison qui renvoie au drapeau allemand..?
Il semble que l’effort de Villazón ait consisté à montrer un monde qui soit une représentation de ce que voit Werther et de ce qu’il est par rapport aux autres.Ce Werther est à la fois enfantin, coloré, une parade de cirque à la Rimbaud où les personnages n’existent pas mais des ombres, des clowns, un monde vaguement fantasmagorique complètement antinaturel: Albert, le Bailli, Sophie et Charlotte ont des costumes à peu près normaux, mais les femmes, lorsqu’elles doivent se montrer adultes sont des mères, et donc en noir: elles sont au début en (une sorte de) combinaison: passage de l’enfance au monde gris des adultes. Seul Werther (noir etjaune) y échapperait un peu (son double, un jeune enfant, est lui tout en jaune, et son deuxième double, un clown en cage est en redingote jaune déjà tachée…tout cela doit bien avoir un sens mais ce me semble tortueux).
L’ouverture montre Charlotte après la mort de Werther cherchant les traces (redingote, objets) de Werther, l’Opéra serait donc une sorte de retour fantasmatique sur l’histoire, ou sur le roman (à la fin, Werther tient en main les lettres - allusion au roman épistolaire) et il meurt seul.
La cage où est isolé le double-clown de Werther, puis le couple Charlotte-Werther, puis Charlotte pour l’air des lettres, puis qui s’écroule sur le petit double de Werther dormant est évidemment symbolique de l’isolement de Werther, tendre oiseau en cage (la cage est en effet une cage à perruche géante…et l’habit de Charlotte pendant l’ouverture et à la scène finale est
© Michel Cavalca,une robe dont la couleur rappelle le plumage des perruches…mais cessons de railler.
La fin m’a semblé plus intéressante: Charlotte et Werther sont isolés,chacun dans son monde, l’un se meurt et attend l’aimée: Ils ne dialoguent pas, lui se parle à lui-même et n’entend pas Charlotte. Elle seule elle aussi, parle à la redingote jaune de Werther. Ils sont à deux mètres mais ne se croisent pas. Une mort dans la solitude, sans savoir que l’autre vient; Et de fait Charlotte arrive trop tard, Werther est mort. Claire allusion à Tristan et Isolde.
C’est à mon avis ce qu’il y a de plus émouvant et qui rattrape bien des approximations.
Jolies images quelquefois, éclairages colorés qui plaisent aux nombreux jeunes dans la salle, les apparitions des enfants (jeu des fleurs), ou des gens du village sont assez poétiques on est dans une sorte de monde parallèle, dans un pays des merveilles qui tournerait mal, ou qui finirait par tourner sans l’élément perturbateur, l’ange noir, qui décidément ne cadrerait pas avec lui.
Il y a incontestablement une vision, une intelligence, mais trop de détails restent cryptiques, et la conduite du jeu d ‘acteurs reste fruste (le ténor Arturo Chacon Cruz est une sorte de double de Rolando Villazón) et les chanteurs restent sur leur réserve. Il reste qu’on ne sort pas horrifié et que le spectacle est assez fluide.
Musicalement Serge Dorny a fait appel au vétéran Leopold Hager, choix du professionnalisme, de la solidité, rien à dire sur la direction d’orchestre, mais on aurait pu faire appel à l’un des jeunes chefs français dont on parle çà et là, pour voir comment le sang neuf s’en sort.
Sur la distribution, on a plaisir à revoir Jean-Paul Fouchécourt en Schmidt clownesque et le jeune Nabil Suliman, un habitué de Lyon à la voix chaude que j’apprécie dans chacune de ses apparitions lyonnaises. On est heureux aussi de revoir Alain Vernhes, qui nous offre son habituel Bailli. Autre habitué de Lyon, le baryton belge Lionel Lhote, qui cette fois est un peu décevant dans Albert, on est bien loin du style requis. Cela reste banal, sans couleur, sans force.
La Charlotte de Karine Deshayes a incontestablement la voix et la puissance, elle n’a pas toujours la juste ligne de chant ni le contrôle, et elle ne distille aucune émotion (c’était à peu près pareil dans Cherubino à la Bastille). C’est bien plat.
Le Werther de Arturo Chacon-Cruz a la puissance, il sait monter à l’aigu, mais est aux antipodes du style requis, la voix constamment ouverte, peu contrôlée, notamment dans les parties qui réclament des notes filées, un chant murmuré. En bref, pas d’émotion non plus de son côté.
Eh bien, la seule qui ait toutes les qualités que les autres n’ont pas, technique, contrôle, émotion, expression c’est la Sophie de Anne Catherine Gillet (d’ailleurs elle remporte le plus gros succès à l’applaudimètre): fait on un Werther avec une Sophie d’exception, non évidemment, mais il est temps de donner à cette artiste des rôles qui correspondent à ses qualités: chacune de ses apparitions est un beau moment.
En conclusion, et à me relire, je n’ai pas moi non plus beaucoup de choses très positives à dire, mais pourtant je ne suis pas sorti mécontent, sans doute par l’effet de cette fin que je trouve bien mise en scène. C’était une soirée d’opéra assez honorable. Lyonnais ou Rhônalpins, allez y quand même!