Et dire que Je suis heureux que ma mère soit vivante aurait pu ne jamais voir le jour. Quand ils commencent à imaginer un projet de film, nous sommes en… 1996 ! Jacques Audiard et Jean-Louis Livi viennent de tomber sur un article d’Emmanuel Carrère paru dans L’évènement du jeudi qui s’intitulait « Je la recherche, je la tue, je l’aime ou la disparition de la mère ». Livi demande alors à Carrère d’en écrire un scénario. Il y renoncera quelques mois plus tard mais pour autant, l’idée n’est pas abandonnée. A l’époque, le projet est mis entre parenthèses. Audiard tourne Sur mes lèvres, De battre mon coeur s’est arrêté et récemment Un prophète. Jean-Louis Livi s’impatiente et propose l’idée à Claude et Nathan Miller. Audiard accepte tout de suite.
Voilà comment un film peut naître ou disparaître du jour au lendemain. La persévérance de Livi aura fini par payer et le film de voir le jour. Je suis heureux que ma mère soit vivante raconte l’histoire de Thomas (Vincent Rottiers), un jeune homme à la recherche de Julie (Sophie Cattani), sa mère biologique qui l’a abandonnée à l’âge de quatre ans. Recueilli dans une famille d’accueil (incarnée par le couple Christine Citti et Yves Verhoeven) avec son frère, Thomas cherche à comprendre dès son plus jeune âge pourquoi sa mère a laissé depuis quinze ans ses deux fils sur le bord de la route. Quand Thomas retrouve sa mère, une certaine ambiguïté s’installe entre les deux personnages. Elle le tutoie, lui la vouvoie. Ils apprennent à se gérer, à se connaître jusqu’à une réaction explosive de Thomas pourtant si calme et posé.
Si le thème de l’abandon n’est pas nouveau, la manière dont les deux réalisateurs traitent le sujet est singulière. À aucun moment, Claude et Nathan Miller ne tombent dans un manichéisme primaire où l’on retrouverait d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Malgré son acte final, Thomas n’est pas fou. Cette minute de folie ne surgit pas par hasard. Elle puise sa source dans un mal-être profond et un passé douloureux. Thomas n’est pas devenu un délinquant, Julie n’est pas une mère abominable et indigne comme on pourrait le penser, les parents adoptifs de Thomas forment un couple naturel, sans enjolivement niaiseux. C’est là toute la force du film. L’existence étant à l’image des personnages : difficile et complexe. Chacun essaie de s’accommoder au mieux du rôle qui lui incombe. Peut-on reprocher à une mère encore jeune fille de ne pas avoir eu la bonne notice à 17 ans ? De ne pas avoir été une « bonne » mère ? Mais qu’est-ce qu’être une bonne mère ? Le film a l’intelligence de ne pas répondre à ces questions mais de simplement les poser, sans jugement moral, et de montrer les difficultés relationnelles auxquelles les êtres humains sont parfois confrontés. Je suis heureux que ma mère soit vivante, un long-métrage tout simplement époustouflant.
Sortie en DVD le 16 mars 2010